Depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2013, nous avons documenté un rétrécissement organisé des espaces d’expression et de manifestation, et l’élargissement de l’action de la Chine pour bâillonner toute voix considérée comme portant atteinte à la ligne du Parti.
La visite d’État du président Xi Jinping les 6 et 7 mai 2024 en France s’inscrit dans un contexte de recul dramatique des droits et libertés en Chine continentale et à Hong-Kong, 35 ans après le massacre de Tian an Men.
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Alors que l'année 2024 célèbre les soixante ans des relations diplomatiques entre la France et la Chine, tout renforcement des liens avec le pays doit permettre d'obtenir des engagements de la part des autorités chinoises pour faire cesser les violations massives des droits humains documentées par notre organisation.
Trente-cinq ans après la répression sanglante de la place Tiananmen, dix ans après l'emprisonnement de l'économiste et universitaire ouïghour Ilham Tohti, force est de constater que cette visite retour s'inscrit dans un contexte de dégradation continue des droits humains en Chine continentale et à Hong Kong.
En Chine continentale, depuis 2014, sous couvert de « sécurité nationale », une série de lois et de réglementations (employant des concepts extrêmement vagues et généraux), accordent des pouvoirs sans restriction aux autorités. Ce resserrement vise tous les pans de la société : vague d’arrestations visant les avocats (dès 2015), ingérence dans le travail des ONG (loi de 2017), répression des défenseurs des droits humains, ou encore répression des minorités ethniques et religieuses.
Les défenseurs des droits humains continuent d'être victimes d'entraves posées aux garanties d'un procès équitable, de la torture et de détentions au secret. Dans le même temps, notre organisation continue de documenter de graves violations des droits des minorités ethniques et religieuses, en particulier les minorités ouïghoures et kazakhes.
A Hong Kong, où le gouvernement local devait bénéficier d’une certaine autonomie (suivant le principe « un pays, deux systèmes ») jusqu’en 2047 (soit 50 après la rétrocession britannique de Hong Kong à la Chine), nous assistons à un rétrécissement rapide de l’espace démocratique et des libertés et à une inféodation grandissante à Pékin. Cela a conduit de nombreux acteurs de la société civile, dont Amnesty International qui présente depuis 40 ans à Hong Kong, a pris la décision de fermer ses bureaux fin 2021. Des nombreux organes de presse ont fermé ou déplacé leur bureau, et nous avons assisté à l'exil de nombreux militants pro-démocratie.
L'adoption en mars 2024 de l'article 23 de la Loi de sécurité nationale marque un tournant dramatique, qui souligne la nécessité pour les autorités de Hong Kong de se plier à la volonté de Pékin malgré tous leurs engagements passés en matière de droits humains. Elle constitue un signal supplémentaire du rétrécissement considérable de l'espace civique et de l'érosion des normes garantissant les droits et libertés de la population hongkongaise.
Hors Chine, la traque se poursuit. Les ONGs font l'objet de cyberattaques. La diaspora est ciblée et menacée par le gouvernement. Elle fait l'objet d'une surveillance accrue de la part des autorités chinoises (espionnage, traçage des messages) pouvant aller jusqu'aux menaces de représailles à l'encontre des proches restés en Chine et au Xinjiang si les individus ne se plient pas aux exigences des officiels chinois. Les étudiants chinois à l'étranger sont également surveillés et soumis, ainsi que leur famille, à des pressions de la part du gouvernement chinois, y compris en France.
Quant à la loi relative à la sécurité nationale de 2020, elle prévoit que toute personne en transit sur le territoire chinois peut techniquement être arrêtée si elle est considérée comme une menace à la sécurité nationale de la Chine.
Rassemblement de militants et militantes d'Amnesty International France, le samedi 4 mai 2024, sur le Parvis des Droits de l'Homme à Paris, pour mettre en lumière la situation catastrophique des droits humains en Chine.
Voici quatre sujets majeurs sur les violations des droits humains en Chine.
1. La libération des personnes détenues arbitrairement
Ce que nous dénonçons
En Chine, les autorités ignorent les mises en garde de la communauté internationale concernant les droits des minorités et elles étouffent en interne toute forme de contestation du régime. Des journalistes, des avocats, des défenseures et défenseurs des droits humains, ainsi que leurs proches et leurs familles, doivent faire face à une surveillance constante - amplifiée par les nouveaux outils numériques – et à un harcèlement judiciaire et policier insupportable.
Découvrez quatre défenseur-es des droits humains emprisonnés en Chine et pour lesquels nous nous battons
👉 Zhang Zhan : une journaliste citoyenne ayant tenté de couvrir la répression du gouvernement chinois pendant le Covid et emprisonnée depuis 4 ans.
👉 Chow Hang-Tung : une avocate hongkongaise, actuellement détenue pour quatre chefs avoir bravé l'interdiction de commémorer la répression de Tiananmen.
👉 Yu Wensheng et Xu Yan : un avocat défenseur des droits humains et sa femme, régulièrement inquiétés pour leurs activités et emprisonnés depuis un an.
👉 Ilham Tohti : un universitaire et éminent défenseur des droits humains, emprisonné depuis 10 ans, pour avoir dénoncé les atteintes dont est victime la minorité ouïghoure en Chine.
Ce que nous demandons
➡️ La France doit appeler publiquement à la libération immédiate et sans condition de toutes les personnes détenues arbitrairement, notamment les défenseures et défenseurs des droits humains, en particulier l’économiste et universitaire ouïghour Ilham Tohti, l’avocat des droits humains Yu Wensheng et son épouse l’activiste Xu Yan, Zhang Zhan journaliste citoyenne, ou encore l’avocate hongkongaise Chow Hang-Tung.
2. La fin des persécutions au Xinjiang
Ce que nous dénonçons
Dans la région autonome du Xinjiang, les Ouïghours, les Kazakhs et les autres minorités ethniques à majorité musulmane, sont toujours victimes d’emprisonnements arbitraires massifs, de tortures et de persécutions à grande échelle orchestrées par l’État, qui s’apparentent à des crimes contre l’humanité.
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Ce que nous demandons
➡️ Nous appelons Emmanuel Macron à demander la libération immédiate des centaines de milliers de personnes toujours arbitrairement détenues dans les camps et prisons au Xinjiang, et à exiger des autorités chinoises qu’elles mettent fin aux persécutions exercées à l’encontre des Ouïghours, Kazakhs et aux autres minorités ethniques et religieuses, dénoncées avec force par les ONG et les Nations Unies.
3. L’abrogation de la Loi sur la sauvegarde de la Sécurité Nationale à Hong Kong
Ce que nous dénonçons
A Hong Kong, la Chine impose progressivement son système politique au territoire rétrocédé, et les militants pro-démocratie font face à une répression et un harcèlement judiciaire renforcés par la Loi sur la sauvegarde de la sécurité nationale de Hong-Kong - dite législation de l’Article 23.
Adoptée en mars 2024, cette loi vise à supprimer ce qui restait d’espace civique à Hong Kong, rendant notamment toute action de protestation plus dangereuse que jamais.
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Ce que nous demandons
➡️ La France doit se saisir de la venue de Xi Jinping pour demander son abrogation.
4. Un “multilatéralisme responsable” commence par le respect du droit international
Ce que nous dénonçons
Alors que la politique étrangère de la Chine prône un « multilatéralisme responsable », elle sape aujourd’hui les principes et procédures qui fondent le système international en matière de droits humains. Elle refuse notamment de mettre en œuvre les recommandations du rapport du Haut-commissariat des Nations unies pour les droits de l’Homme (HCDH) de 2022 concernant la région autonome ouïghoure du Xinjiang. Cela participe à fragiliser encore l'ordre mondial bâti après 1945, aujourd'hui "au bord de la rupture".
Sûre de l’impunité que lui confère son statut de puissance économique et géopolitique, la Chine ignore l’ensemble de ces critiques, et exerce sa répression au-delà de ses frontières où les ressortissants chinois peuvent faire l’objet de surveillance systématique, sous une pression permanente des services de renseignements, y compris en France, notamment dans les milieux étudiants.
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Ce que nous demandons
➡️ Il est urgent de rappeler aux autorités chinoises qu’il ne saurait y avoir de multilatéralisme sans respect du droit international et des droits fondamentaux.
➡️ Lors de l’Examen périodique universel (EPU) de la Chine devant le Conseil des droits de l’Homme, en janvier 2024, la France a soumis des recommandations importantes aux représentants chinois qui doivent être rappelées.
L'EPU est une procédure qui consiste à évaluer la situation des droits humains dans tous les États membres du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Tous les Etats membres sont libres de formuler des recommandations à l’Etat examiné sur sa politique de droits humains, qui de son côté doit en rendre compte et accepter ou non les recommandations des autres Etats.
Le quatrième EPU de la Chine a été réalisé le 23 janvier 2024. Au cours de celui-ci, la Chine a nié la portée et l’ampleur des atteintes aux droits humains énoncées dans les rapports de l’ONU, tout en présentant son approche anti-droits humains comme un modèle pour d’autres pays.
A cette occasion, la France a soumis des recommandations à la Chine qui allaient dans le sens de nos demandes (bien que moins ambitieuses), en particulier concernant :
La mise en place d’un moratoire sur la peine de mort
La nécessité de cesser les arrestations arbitraires et détentions de DDH, et d’abolir la pratique de la « résidence surveillée dans un lieu désigné »
La garantie de la liberté d’expression et d’association en ligne, notamment à Hong Kong
La garantie de la protection de la liberté de religion, en particulier pour les personnes ouïghoures et tibétaines
La ratification de la Convention sur les disparitions forcée
Ratification de la Convention sur les disparitions forcées, moratoire sur la peine de mort, protection des libertés d’expression, fin des arrestations et détentions arbitraires, nous espérons qu’Emmanuel Macron profitera de ses entretiens avec Xi Jinping pour réitérer ces demandes faites par la France à la Chine dans le cadre de son Examen Périodique Universel au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU.
Jean-Claude Samouiller, Président d'Amnesty International France