Dans une lettre ouverte adressée à Emmanuel Macron, notre président Jean-Claude Samouiller alerte sur l'urgence de suspendre toutes les ventes d’armes à Israël face au risque de génocide.
Monsieur le président,
Depuis le 7 octobre 2023, jour où le Hamas et d'autres groupes armés palestiniens ont commis des crimes abominables, auxquels les autorités israéliennes ont répondu de façon disproportionnée, la question de l’arrêt des livraisons d’armes, de pièces détachées et de munitions à Israël - mais aussi au Hamas et autres groupes armés palestiniens -, est régulièrement soulevée. Et au fur et à mesure que le bilan humain s’alourdit, elle prend de plus en plus d’importance et revêt un caractère d’urgence.
Interrogé par Mediapart, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a précisé le 24 janvier 2024, que la France exportait « des équipements militaires à Israël afin de lui permettre d’assurer sa défense, comme l’article 51 de la Charte des Nations unies lui en donne le droit », sans pour autant préciser la nature de ces transferts, ni si ceux-ci étaient encore en cours après le 7 octobre 2023. Quand bien même, cette logique du droit à la légitime défense doit s’exprimer dans le respect des règles fondamentales des lois de la guerre, ce qui n’est clairement pas le cas aujourd’hui
Deux jours plus tard, le 26 janvier, un arrêt de la Cour internationale de justice (CIJ) est venu poser par extension et de façon plus accrue encore cette question des transferts d’armes et de matériels de guerre à Israël par tous les États, dont la France. La CIJ a en effet ordonné à Israël, à titre de mesure conservatoire, de s’abstenir de commettre des actes entrant dans le champ d’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
Par cette décision, et au regard du désastre humanitaire qui prévaut actuellement dans la Bande de Gaza, tous les États, y compris ceux qui ont critiqué le dépôt de plainte pour génocide de l’Afrique du Sud ou s’y sont opposés, ont clairement l’obligation de veiller à l’application de ces mesures. Cela passe par un appel à un cessez-le-feu durable, qu’Amnesty International réitère depuis des mois, mais aussi par un arrêt des livraisons d’armes et de matériels de guerre à Israël. En tant qu’État partie à la Convention sur le génocide, la France doit respecter un devoir de prévention du génocide. Cela implique notamment de ne pas fournir à Israël de moyens lui permettant de commettre des actes entrant dans le cadre d’un risque de génocide.
Signer notre pétition pour un cessez-le-feu immédiat
Plusieurs États ou administrations régionales (l'Espagne, l'Italie, la Wallonie en Belgique) ont déjà pris des mesures visant à restreindre ou à suspendre temporairement l’octroi de licences d’exportation et la poursuite des livraisons. Dans le secteur privé, le groupe japonais Itochu a également déclaré vouloir cesser sa coopération avec la société d’armement israélienne Elbit Systems, faisant suite à l’arrêt de la CIJ.
« Si vous pensez que trop de gens sont tués, peut-être devriez-vous fournir moins d'armes. N'est-ce pas logique ?», déclarait le 13 février 2024 Josep Borrell, le Haut représentant de l'Union européenne pour les Affaires étrangères, en évoquant la position ambiguë du président des États-Unis, et alors que les risques de génocide s’accentuent dans la Bande de Gaza. Monsieur le Président, le lendemain, vous avez indiqué au Premier ministre israélien que « le bilan humain et la situation humanitaire étaient intolérables et [que] les opérations israéliennes devaient cesser » ? Peu auparavant, la diplomatie française rappelait que la « France est profondément attachée au respect du droit international et réaffirme sa confiance et son soutien à la Cour internationale de justice ».
Monsieur le président, afin d’agir en cohérence, la France doit respecter ses engagements internationaux qu’il s’agisse de la Convention sur le génocide (1948) ou encore du Traité sur le commerce des armes (2014). Et peu importe que les exportations d’armes françaises à destination d’Israël soient « très résiduelles », comme l'a affirmé le 14 février, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, lors de son audition au Parlement, sans apporter la moindre précision, contribuant ainsi à l’opacité française en matière de ventes d’armes maintes fois dénoncées.
La transparence française est si lacunaire, que ce n’est qu’en juin 2024 que la représentation nationale et la société civile seront informées de potentielles livraisons de la France à Israël. Or, au terme du Traité sur le commerce des armes auquel la France est partie, aucun État ne peut vendre d’armes à un autre État s’il a « connaissance [...] que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, [...] ou d’autres crimes de guerre ». A cet égard, aux Pays-Bas, la justice vient d’ordonner que le gouvernement cesse les transferts de pièces et composants pour les avions de chasse F-35 israéliens en raison du risque clair qu’ils soient utilisés dans la commission de violations graves du droit international humanitaire en fondant là encore en partie son argumentaire sur l’arrêt de la CIJ.
Dans ces circonstances terribles, la France ne peut pas à la fois adhérer aux décisions de la CIJ tout en continuant à armer ceux à qui la Cour a ordonné de tout faire pour prévenir le génocide contre les Palestiniens de la Bande de Gaza. Nous demandons donc à votre gouvernement d'agir immédiatement en mettant fin aux exportations d'armes et de matériels de guerre ainsi qu’à la délivrance ou au renouvellement de licences d’exportations de ces derniers vers Israël.
Dans un passé récent, la France a pris des mesures restrictives à l’encontre de la Russie (2014), et de la Turquie (2019). La France se doit d’être cohérente, il n'y a aucune raison pour qu'une politique similaire ne puisse pas ou ne doive pas être mise en œuvre à l'égard d'Israël. Il s’agit de s’assurer qu’aucun matériel de guerre de quel que sorte que ce soit puisse être utilisé pour commettre ou faciliter des crimes de droit international.
En tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la voix de la France compte. Une décision de cette nature prise au plus haut niveau pourrait permettre in fine d’éviter une escalade supplémentaire dans la violence et éviter l’irréparable.