Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles
©Philippe Huguen/AFP/Getty Images
Royaume-Uni
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 155 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Royaume-Uni en 2023.
Le gouvernement britannique a continué de suivre un programme politique contraire à ses obligations internationales en matière de droits humains et qui réduisait la protection des droits fondamentaux. Ces mesures ont tout particulièrement visé les personnes demandeuses d’asile ou migrantes, ainsi que les manifestant·e·s. De nouvelles lois ont encore restreint la liberté de réunion et la liberté d’expression. Des enquêtes ont révélé l’existence d’un racisme institutionnel et d’autres formes de discrimination au sein de la police. Bien que l’avortement ait été dépénalisé en Irlande du Nord, l’accès aux services d’interruption de grossesse y restait difficile. Dans le reste du Royaume-Uni, l’avortement demeurait interdit en dehors des exceptions prévues par la législation. Une loi mettant un terme aux enquêtes et aux poursuites à propos des violations des droits humains commises durant les troubles en Irlande du Nord a été adoptée. Le maintien d’un service minimum en cas de grève a été rendu obligatoire dans différents secteurs.
CONTEXTE
Le Conseil des droits de l’homme [ONU] a adopté en mars le rapport final de l’EPU du Royaume-Uni. Le projet de loi visant à remplacer la Loi relative aux droits humains par une nouvelle charte des droits, présenté en 2022, a été officiellement retiré, mais la Loi relative aux droits humains a continué de faire l’objet d’une offensive en règle, prenant notamment la forme du non-respect partiel de ses dispositions dans d’autres lois et de propos hostiles tenus par les autorités.
La pression politique en faveur de la dénonciation de la Convention européenne des droits de l’homme s’est accrue. À l’inverse, le gouvernement écossais décentralisé a lancé une consultation sur un nouveau projet de loi relative aux droits humains, qui élargirait la protection juridique de ces droits en Écosse.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
Le gouvernement a annoncé en septembre le report, et dans certains cas l’abandon, de politiques clés destinées à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. L’interdiction de la vente des voitures neuves à essence ou diesel à partir de 2030 a été reportée de cinq ans. Initialement prévue pour 2026, l’élimination progressive des chaudières au gaz de pétrole liquéfié pour le chauffage des logements a elle aussi été reportée à 2035. L’obligation pour les propriétaires d’habitations d’améliorer l’isolation de leurs biens d’ici 2028 a été supprimée.
En novembre, le gouvernement a annoncé son intention de faire adopter une loi autorisant les entreprises du secteur des combustibles fossiles à demander de nouvelles autorisations de forage de pétrole et de gaz une fois par an. Cette possibilité resterait ouverte tant que, dans l’année donnée, les prévisions d’importation de combustibles fossiles par le Royaume-Uni seraient supérieures à la production domestique et que les émissions de carbone produites par les nouveaux forages resteraient inférieures aux émissions provenant de l’équivalent en combustibles importés. Bien que des ONG aient souligné que ces politiques n’allaient pas dans le bon sens, le gouvernement a continué de soutenir qu’il respecterait son objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE RÉUNION
Le Parlement a adopté en mai la Loi relative à l’ordre public, qui est venue durcir la répression législative des manifestations pacifiques entamée en 2022 avec la Loi relative à la police, à la délinquance, aux condamnations et aux tribunaux. Le nouveau texte érigeait en infractions différentes formes de manifestations pacifiques, comme le fait de « s’enchaîner ». Il élargissait les pouvoirs de la police en matière d’interpellation et de fouille, créait des arrêtés d’interdiction de manifester et donnait au ministre de l’Intérieur le pouvoir de réclamer des ordonnances civiles contre des manifestant·e·s pacifiques.
Une réglementation portant modification de la Loi de 1986 relative à l’ordre public sur les graves perturbations de la vie de la collectivité a été adoptée en juin. Cette législation secondaire élargissait les circonstances dans lesquelles la police pouvait imposer des conditions à la tenue de manifestations et prévoyait des peines d’emprisonnement pour les contrevenant·e·s. Ces conditions pouvaient être toute mesure considérée par la police comme nécessaire pour éviter de « graves perturbations », définies dans la Réglementation comme une obstruction constituant « un obstacle plus que mineur aux activités quotidiennes ».
En mai, des dizaines de manifestant·e·s pacifiques ont été arrêtés avant et pendant le couronnement du roi Charles III, dont certain·e·s de façon préventive. La majorité des charges retenues contre ces personnes ont été abandonnées par la suite.
Cette année encore, des manifestant·e·s pacifiques défendant l’environnement ont été arrêtés, poursuivis et emprisonnés. Dans certains cas, des manifestant·e·s inculpés se sont vu interdire par les juges de faire valoir le changement climatique ou d’autres préoccupations environnementales dans leur défense devant les jurés. Celles et ceux qui n’ont pas respecté cette interdiction ont fait l’objet de poursuites pour outrage à magistrat et ont été condamnés à des peines d’emprisonnement.
Après les attaques perpétrées par le Hamas en Israël le 7 octobre et les bombardements et l’invasion terrestre de Gaza par Israël qui s’en sont suivis, des manifestations non violentes de grande ampleur se sont régulièrement tenues pour réclamer un cessez-le-feu. La ministre de l’Intérieur et d’autres membres du gouvernement ont cherché à faire pression sur la police pour qu’elle interdise ces manifestations, les qualifiant de « marches haineuses ». Les autorités policières ont répondu qu’elles n’avaient pas le pouvoir juridique d’interdire les manifestations. Le gouvernement a fait part de son intention de légiférer pour élargir les pouvoirs d’intervention de la police contre les manifestations non violentes.
Des personnes qui vivaient au Royaume- Uni avec un titre de séjour temporaire ont vu la durée de celui-ci raccourcie parce qu’elles avaient participé à des manifestations propalestiniennes.
TRANSFERTS D’ARMES IRRESPONSABLES
En juin, la Haute Cour a rejeté un recours judiciaire déposé par la Campagne contre le commerce des armes (CAAT) contre la décision du gouvernement de poursuivre ses ventes d’armes à l’Arabie saoudite dans le contexte du conflit en cours au Yémen. La Cour a jugé que le gouvernement n’avait pas agi de façon irrationnelle en décidant de procéder à de nouvelles ventes.
Des ONG se sont inquiétées de la poursuite des transferts de pièces d’avions de combat à Israël. En décembre, un groupe d’ONG a demandé un contrôle judiciaire des licences d’exportation d’équipements militaires susceptibles d’être utilisés par les forces israéliennes à Gaza. L’affaire était toujours en cours à la fin de l’année.
DISCRIMINATION
En janvier, le gouvernement du Royaume-Uni a bloqué la promulgation de la Loi réformant la reconnaissance du genre adoptée par le Parlement écossais. Le gouvernement écossais décentralisé a contesté cette décision devant la Court of session (Cour suprême écossaise compétente en matière civile), mais a été débouté en décembre.
En février, le gouvernement a rendu public le rapport Shawcross sur le volet « Prévention » de la stratégie gouvernementale de lutte contre le terrorisme. Parmi ses nombreuses recommandations, ce rapport préconisait de faire porter davantage la prévention sur l’« extrémisme islamiste non violent » et d’adopter une interprétation plus restreinte de l’« extrême droite ». Dans le cadre de ses propres recherches, Amnesty International a constaté que ce volet Prévention donnait lieu à des discriminations et des atteintes aux libertés d’opinion et d’expression .
Commandé par le gouvernement, le rapport Casey sur les normes comportementales et la culture interne au sein de la police métropolitaine est paru en mars. Il signalait de nombreux problèmes, dont le racisme institutionnel, le sexisme et l’homophobie. En mai, peu avant qu’il ne quitte ses fonctions, le directeur de la police écossaise a reconnu dans une allocution que le racisme institutionnel, le sexisme, la misogynie et la discrimination étaient une réalité au sein des forces de police.
La commissaire aux droits de l’enfant pour l’Angleterre et le Pays de Galles et le Conseil de la police d’Irlande du Nord ont publié, respectivement en mars et en juin, des recherches sur le recours par la police aux fouilles à nu sur des mineur·e·s. Parmi les multiples préoccupations soulevées, la commissaire aux droits de l’enfant a conclu dans son rapport que les mineur·e·s noirs avaient jusqu’à six fois plus de probabilité de subir de telles fouilles que les autres enfants.
Le nombre de crimes de haine antisémites et islamophobes signalés a explosé après le 7 octobre. La police métropolitaine a ainsi indiqué avoir enregistré, entre le 1er octobre et le 13 novembre, 779 signalements d’infractions antisémites, soit une augmentation de 1 200 % par rapport à la même période de l’année précédente. Dans le même intervalle, 343 infractions islamophobes ont été signalées, ce qui représentait une hausse de 236 %.
DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS
Dépénalisé en Irlande du Nord, l’avortement restait interdit en Angleterre, au Pays de Galles et en Écosse en dehors des exceptions prévues par la loi, soumises à décision médicale. Six femmes ont été inculpées d’avortement illégal durant l’année. En juillet, une femme a été condamnée à 14 mois de prison avec sursis après avoir plaidé coupable d’avoir pris des pilules abortives au- delà du délai légal.
Depuis la dépénalisation en Irlande du Nord, des obstacles continuaient d’entraver l’accès aux services d’avortement, notamment les nombreux manquements du gouvernement décentralisé, le manque de moyens et de personnel dans les services, les refus pour des raisons de conscience, la mauvaise information et la réprobation sociale généralisée.
IMPUNITÉ
La Loi sur les conséquences des troubles en Irlande du Nord et la réconciliation a été adoptée en septembre. Elle instaurait une amnistie de fait et mettait un terme à toutes les enquêtes sur les homicides et autres violations des droits humains liées à ces troubles, les remplaçant par un examen peu approfondi mené par la nouvelle Commission indépendante pour la réconciliation et la récupération de l’information (ICRIR).
Cette loi a été vivement critiquée par des victimes, des partis politiques d’Irlande du Nord et le gouvernement de la République d’Irlande, ainsi que par de nombreux observateurs et observatrices internationaux des droits humains. Elle a immédiatement fait l’objet de recours juridiques engagés par des victimes et des familles de victimes.
En décembre, le gouvernement irlandais a annoncé qu’il avait l’intention de saisir la Cour européenne des droits de l’homme d’une requête étatique contre le Royaume-Uni pour non-conformité des dispositions de la loi avec la Convention européenne des droits de l’homme.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
La « Loi sur l’immigration illégale » a été adoptée en juin. Cette loi et les propos tenus par les autorités à son sujet ne respectaient pas les dispositions de la Convention relative au statut des réfugiés [ONU] ni celles de la Convention européenne des droits de l’homme. Le texte interdisait le traitement des demandes d’asile déposées par des personnes arrivées dans le pays sans autorisation, ces dernières devant être expulsées et écartées à jamais de toute autorisation de séjour au Royaume-Uni. Ces dispositions durcissaient la politique existante consistant à refuser de traiter les demandes d’asile de personnes dont les autorités estimaient qu’elles étaient arrivées illégalement via des pays jugés sûrs. La majorité des demandeurs et demandeuses d’asile au Royaume-Uni étaient concernés.
En novembre, la Cour suprême a jugé illégale la politique gouvernementale prévoyant l’expulsion vers le Rwanda de personnes en quête d’asile au Royaume-Uni. En réaction, le gouvernement a signé un nouveau traité avec le gouvernement rwandais et soumis au Parlement un nouveau projet de loi demandant aux tribunaux de considérer le Rwanda comme un pays sûr, en violation de nombreuses dispositions de la Loi relative aux droits humains et d’autres instruments juridiques de protection des droits. Le traité restreignait en outre fortement la capacité d’intervention des tribunaux. La procédure législative était en cours à la fin de l’année.
Les conclusions d’une enquête demandée par le gouvernement sur les mauvais traitements dont auraient été victimes des personnes placées au centre de détention de Brook House ont été rendues publiques en septembre. Ce rapport d’enquête révélait une culture généralisée de la violence, avec notamment 19 cas de traitements inhumains ou dégradants infligés par le personnel à des détenus sur une période de cinq mois. Or, la « Loi sur l’immigration illégale » de 2023 élargissait les pouvoirs de détention pour des raisons liées à l’immigration sans véritable contrôle judiciaire.
Les propos hostiles aux migrant·e·s se sont multipliés tout au long de l’année, tant de la part du gouvernement que dans les médias. En septembre, la ministre de l’Intérieur a critiqué les victimes de la traite, les réfugiés gays et les femmes réfugiées. La « Loi relative à l’immigration illégale » a supprimé ou réduit des garanties qui protégeaient les migrant·e·s victimes de la traite des êtres humains et les mineur·e·s non accompagnés. Dans le même temps, les frais de visa ont fortement augmenté, ce qui a contribué à appauvrir davantage les migrant·e·s au Royaume-Uni.
DROITS DES TRAVAILLEUSES ET TRAVAILLEURS
En réponse aux grèves de grande ampleur menées dans le secteur public (écoles, universités, hôpitaux et transport ferroviaire), le Parlement a adopté en juillet la Loi sur le service minimum en cas de grève, qui risquait de porter atteinte au droit à la liberté d’association. Cette loi accordait aux ministres une grande latitude pour déterminer le niveau de service minimum devant être maintenu en cas de mouvement social dans une série de secteurs très larges, comme « la santé », « l’éducation » et « les transports ». Les travailleuses et travailleurs ne respectant pas les « injonctions à travailler » nominatives établies pour assurer le service minimum perdraient leur protection contre les licenciements abusifs. La loi prévoyait aussi de lourdes pénalités financières pour les syndicats qui ne feraient pas le nécessaire pour que leurs membres désignés dans les injonctions à travailler cessent la grève.