Des femmes, des jeunes filles et des fillettes yézidies ayant été réduites en esclavage, violées, frappées et torturées par le groupe armé État islamique (EI) ne bénéficient pas d’un soutien adéquat de la part de la communauté internationale.
Lors de notre mission dans la région semi-autonome du Kurdistan irakien en août 2016, nous avons recueilli les propos de 18 femmes et jeunes filles qui avaient été enlevées par l’EI.
Depuis que des combattants de l’EI ont attaqué la région de Sinjar, dans le nord-ouest de l’Irak en août 2014, les Yézidis sont systématiquement et délibérément pris pour cible. Des milliers de personnes ont été enlevées ; des centaines d’hommes et de garçons ont été massacrés ; beaucoup ont été menacés de mort s’ils ne se convertissaient pas à l’islam.
Des femmes et des jeunes filles yézidies enlevées sont séparées de leurs proches, puis « offertes » ou « vendues » à d’autres combattants de l’EI en Irak et en Syrie. Elles sont souvent échangées à plusieurs reprises entre combattants, violées, frappées ou victimes d’autres violences physiques, privées de nourriture et d’autres biens de première nécessité, et forcées à nettoyer, cuisiner et accomplir d’autres corvées pour leurs ravisseurs.
Les femmes qui ont témoigné ont pu s'échapper ou être libérées après le paiement d'une rançon par leur famille. Elles nous ont raconté que certaines de leurs filles ou de leurs sœurs se sont suicidées en captivité après de terribles souffrances. Plusieurs témoins nous confient qu'elles aussi ont envisagé le suicide.
L'horreur en captivité
Jamila*, une jeune femme de 20 ans enlevée en 2014a été violée à plusieurs reprises par au moins 10 hommes différents après avoir été « revendue » d’un combattant à l’autre.
Jamila a expliqué que des combattants les ont forcées, elle et d’autres femmes et jeunes filles à se déshabiller et à « poser » pour des photos à Mossoul, avant de les « revendre ». Elle a essayé de s’échapper à deux reprises mais a été rattrapée à chaque fois. À titre de punition, elle a été attachée à un lit par les mains et les jambes, a subi un viol en réunion, et a été frappée à coups de câbles et privée de nourriture.
Elle a finalement été libérée en décembre 2015 après le paiement d’une rançon par sa famille.
Comme de nombreuses autres femmes, ce qu’elle a vécu en captivité l’a amenée à envisager le suicide. Mais elle est déterminée à s’exprimer :
Je ne veux pas cacher ce qui s’est passé, pour que les gens puissent aider non seulement celles qui sont toujours avec Daech [acronyme arabe de l’EI], mais aussi les anciennes victimes à reconstruire leur vie. »
Jamila
Nour, une jeune fille de 16 ans de Siba Sheikh Khidir ayant donné naissance à une petite fille durant sa période de captivité qui a duré près de deux ans, a été transférée entre plusieurs lieux en Syrie et en Irak, notamment à Tal Afar, à Mossoul, à Alep et à Raqqa.
Elle a décrit à quel point les mauvais traitements que les combattants de l’EI infligent aux Yézidis sont déshumanisants.
Pour eux nous sommes des "kouffar" [infidèles] et ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent. Ce fut tellement humiliant. Nous étions emprisonnés ; ils ne nous donnaient pas à manger ; ils nous frappaient [tous] même les jeunes enfants ; ils nous achetaient et nous vendaient et nous faisaient ce qu’ils voulaient [...] C’est comme si nous n’étions pas humains pour eux », a-t-elle dit, ajoutant que ses trois sœurs et sa tante sont toujours en captivité. (...) Je suis libre maintenant, mais d’autres continuent à vivre ce cauchemar, et nous n’avons pas assez d’argent pour subvenir à nos besoins et payer pour faire revenir nos proches.
Nour
Une femme de 42 ans originaire de la région de Sinjar, qui a passé 22 mois en captivité avec ses quatre enfants, a indiqué qu’ils restent traumatisés. Elle a expliqué qu’un combattant de l’EI particulièrement brutal a cassé les dents de son fils de six ans et s’est moqué de lui, et frappé sa fille de 10 ans si sauvagement qu’elle s’est uriné dessus. Elle s’inquiète également du remboursement de l’argent emprunté pour obtenir leur libération. Elle a arrêté d’aller chez le médecin parce qu’elle n’en a plus les moyens.
Traumatismes et dettes
La majorité des centaines de femmes et de jeunes filles yézidies parvenues à s’échapper après avoir été capturées vivent dans des conditions difficiles, soit avec des membres de leur famille sans ressource qui ont été déplacés de chez eux, ou dans des camps pour personnes déplacées du Kurdistan irakien.
En plus deleurs traumatismes, elles se retrouvent à devoir rembourser d’énormes dettes - jusqu’à des dizaines de milliers de dollars américains -, après que leur famille a fait des emprunts pour payer leur libération.
Il faut renforcer les moyens d’agir des victimes et leur donner la capacité de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Il n’existe actuellement aucun système unifié permettant d’évaluer et satisfaire les besoins des personnes ayant connu la captivité aux mains de l’EI, et la plupart dépendent de réseaux familiaux ou de proximité pour obtenir de l’aide.
Les services et l’assistance humanitaire dont bénéficient actuellement les victimes, fournis par divers gouvernements, organisations non gouvernementales et agences des Nations unies sont sous-financés et leur qualité est variable.
Un programme soutenu par le gouvernement allemand a permis à 1 080 Yézidis - des personnes ayant subi des violences sexuelles et leur famille immédiate - de se rendre en Allemagne pour recevoir des soins spécialisés, mais les victimes ont désespérément besoin d’autres initiatives de ce genre.
Les donateurs doivent établir et financer des programmes de soutien et de soins spécialisés, en consultation avec les victimes, les militants de cette communauté et les prestataires de soins.
3800 femmes et enfants toujours en captivité
Beaucoup de personnes nous ont dit que leurs enfants leur ont été arrachés. Des garçons ayant plus de sept ans ont été emmenés pour être endoctrinés et entraînés au combat, tandis que des fillettes n’ayant pas plus de neuf ans ont été « vendues » comme esclaves sexuelles.
Selon certains politiciens, militants et prestataires de services de santé locaux, quelque 3 800 femmes et enfants se trouvent toujours en captivité aux mains de l’EI. On ne sait pas ce qui est advenu de centaines d’hommes yézidis enlevés et on craint que la plupart ne soient morts.
Une impunité totale
Jusqu’à présent, pas une seule personne accusée d’avoir commis des crimes contre la communauté yézidie n’a été poursuivie ni jugée en Irak. Les quelques procès ayant eu lieu concernant des crimes que l’EI aurait commis en Irak n’ont pas fait grand chose pour établir la vérité sur les violations, ni rendre justice et accorder des réparations aux victimes.
Si les autorités irakiennes veulent réellement obliger les membres de l’EI à rendre des comptes pour leurs crimes, elles doivent de toute urgence
- ratifier le Statut de Rome et déclarer la Cour pénale internationale compétente pour juger de tous les crimes perpétrés en Irak dans le cadre de ce conflit.
- promulguer des lois érigeant en infraction les crimes de guerre et crimes contre l'humanité, et
- réformer les secteurs de la sécurité et de la justice afin de les mettre en conformité avec les normes internationales.
- coopérer avec la communauté internationale afin de garantir que ces crimes donnent lieu à des enquêtes et des poursuites efficaces.
* Tous les noms ont été modifiés pour protéger l’identité des victimes.