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Égypte. Les autorités n’appliquant pas les ordonnances de remise en liberté, les détenus se retrouvent pris au piège d’une «boucle sans fin»
Les autorités égyptiennes ont de plus en plus tendance à réincarcérer des personnes soumises à une arrestation arbitraire, au lieu d’appliquer les ordonnances judiciaires de remise en liberté : cela témoigne d’un délabrement très inquiétant du système judiciaire en Égypte, a déclaré Amnesty International.
L’organisation s’est penchée sur les cas de cinq personnes, pour lesquelles le service du procureur général de la sûreté de l'État a passé outre les décisions judiciaires ordonnant la fin de leur détention arbitraire et décidé de les incarcérer dans le cadre de nouvelles affaires fondées sur des accusations forgées de toutes pièces, dans le but de les maintenir derrière les barreaux pour une durée indéterminée.
« La pratique qui consiste à réincarcérer des prisonniers pour des accusations manifestement forgées de toutes pièces alors qu’ils sont sur le point d’être libérés est un procédé alarmant qui illustre la décadence du système judiciaire en Égypte, a déclaré Najia Bounaim, directrice des campagnes pour l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« Au vu de cette pratique illégale, des détenus déjà incarcérés pour des motifs fallacieux se retrouvent bloqués dans les " portes à tambour " du système de détention arbitraire égyptien, victimes d’un stratagème délibéré visant à prolonger leur détention. »
Amnesty International s’est entretenue avec des avocats et des proches de détenus, et a examiné des déclarations dans les médias et des images vidéo en vue d’analyser cinq dossiers.
Dans chaque cas, la personne avait au départ été soumise à une disparition forcée ou détenue au secret au moment de son arrestation, avant de comparaître par la suite devant le service du procureur général de la sûreté de l'État, qui a ordonné son placement en détention dans l’attente des résultats de l’enquête pour « appartenance à une organisation terroriste », en lien avec ses activités légitimes ou des accusations sans fondement. La détention de ces personnes a ensuite été renouvelée à plusieurs reprises, dans certains cas pour des mois ou des années, avant qu’un juge n’ordonne finalement leur libération assortie d’une mise à l’épreuve. Pourtant, dans chaque cas, au lieu d’ordonner la remise en liberté des détenus, le service du procureur général de la sûreté de l'État les a inculpés de nouvelles infractions, reprenant les mêmes charges ou des charges similaires, et a ordonné leur réincarcération. Au cours de leur détention provisoire prolongée, les détenus n’ont été interrogés que durant la première semaine.
« La pratique qui consiste à refuser de libérer des personnes détenues de manière arbitraire, alors que leurs familles attendent de pouvoir les serrer dans les bras après des mois ou des années de détention, est plus que cruelle pour les victimes et leurs familles. Imaginez que l’on vous dise que vous allez être libéré et pouvoir retrouver ceux qui vous sont chers après des mois de détention arbitraire, pour entendre au dernier moment que vous allez en fait être renvoyé en prison », a déclaré Najia Bounaim.
Ces cas font écho à une pratique courante sous le régime de l’ancien président Hosni Moubarak : la police ignorait les décisions judiciaires ordonnant la libération des détenus et les réincarcérait au titre de la Loi relative à l'état d'urgence, qui permettait de maintenir en détention administrative sans inculpation ni jugement des personnes pour une durée indéterminée. La Cour suprême constitutionnelle a supprimé l’article qui autorisait la détention administrative en vertu de la Loi relative à l'état d'urgence en juin 2013.
Le service du procureur général de la sûreté de l'État reproduit le modèle de la détention administrative en enfermant des personnes pendant des mois, voire des années, sans inculpation officielle ni procès, sur la seule base d’investigations secrètes que ni les avocats ni les accusés n’ont le droit de connaître. Après les interrogatoires au cours de la première semaine, les prisonniers sont rarement, voire jamais, interrogés au cours des mois ou des années que dure leur détention provisoire, qui devient ainsi en elle-même une sanction.
« Les autorités égyptiennes réactivent les méthodes répressives de l’époque de Hosni Moubarak, notamment la détention provisoire prolongée, pour réduire au silence les militants pacifiques, les journalistes et sanctionner les citoyens en raison de leurs affiliations politiques, en les plaçant en détention pour une durée indéfinie, ce qui témoigne de leur volonté d’écraser toute dissidence sous prétexte de combattre le " terrorisme " », a déclaré Najia Bounaim.
Dans l’un des cas les plus récents étudiés, au lieu d’appliquer la décision de justice ordonnant la remise en liberté d’Ola al Qaradawi, fille du dignitaire religieux Youssef al Qaradawi, le 3 juillet 2019, le service du procureur général de la sûreté de l'État a ordonné le lendemain son placement en détention dans le cadre d’une autre affaire sans fondement. Elle a été réincarcérée pour « appartenance à un groupe terroriste » et « financement d’un groupe terroriste via ses relations dans le centre de détention », alors qu’elle a passé toute sa détention à l’isolement. Elle était détenue de manière arbitraire depuis le 30 juin 2017, tout comme son époux Hossam Khalaf, pour des accusations forgées de toutes pièces, notamment appartenance à un « groupe terroriste » et soutien financier à ce groupe. Depuis, elle était détenue à l’isolement pendant de longues périodes dans des conditions s’apparentant à de la torture. Amnesty International estime que sa détention est arbitraire et qu’elle est prise pour cible en raison des liens qu’entretient son père avec les Frères musulmans. Ola al Qaradawi a entamé une grève de la faim pour protester contre le traitement qui lui est réservé, après avoir été renvoyée à l’isolement la semaine dernière.
Autre cas, celui du producteur d’Al Jazira Mahmoud Hussein, maintenu en détention arbitraire depuis le 23 décembre 2016 en lien avec son travail de journaliste. Le service du procureur général de la sûreté de l'État l’a inculpé d’« appartenance à une organisation terroriste », « réception de fonds de l’étranger » et « publication de fausses informations » lors d’une audience, en l’absence d’un avocat, et a ordonné son placement en détention provisoire aux fins de l’enquête. Alors qu’il a été enfermé pendant deux ans et demi, il n’a été interrogé qu’une seule fois au moment de son arrestation. Le 21 mai 2019, un juge a enfin ordonné sa libération assortie d’une mise à l’épreuve, une décision confirmée deux jours plus tard. Les autorités l’ont transféré au poste de police d'Abu el Nomrs, dans le gouvernorat de Guizeh, en prévision de sa libération. Pourtant, le 28 mai, le service du procureur général de la sûreté de l'État a décidé de l’inculper d’« appartenance à une organisation interdite », « réception de fonds étrangers » et « collaboration avec des organisations internationales », de nouveau en l’absence de son avocat, et a ordonné sa réincarcération. Or, Mahmoud Hussein avait déjà passé plus de deux ans derrière les barreaux, durée maximale prévue par le droit égyptien pour la détention provisoire.
Parmi les autres cas, citons Somia Nassef et Marwa Madbouly, arrêtées de manière arbitraire en raison de leurs activités militantes pacifiques le 31 octobre 2018, dans le cadre de la répression visant les militants des droits humains. Elles ont été soumises à une disparition forcée pendant trois semaines et, durant cette période, elles ont été torturées et ont notamment reçu des coups et des décharges électriques.
Le service du procureur général de la sûreté de l'État a ensuite ordonné leur détention dans l’attente des résultats de l’enquête pour « appartenance à un groupe terroriste » et « réception de fonds de l’étranger ». Somia Nassef et Marwa Madbouly ont alors été détenues au secret au siège de l’Agence de sécurité nationale, à Abbassiya, pendant deux mois, avant d’être transférées à la prison pour femmes de Qanatar en janvier 2019. Un juge a ordonné leur libération assortie d’une mise à l’épreuve le 25 mai, décision confirmée trois jours plus tard. Pourtant, le service du procureur général de la sûreté de l'État a décidé de les inculper d’« appartenance à un groupe terroriste » et de « réception de fonds de l’étranger » dans le cadre de la même affaire qu’Ola al Qaradawi et a ordonné qu’elles soient de nouveau placées en détention.
« Au lieu de les maintenir en détention arbitraire pour des accusations infondées, les autorités égyptiennes doivent libérer immédiatement et sans condition Ola al Qaradawi, Mahmoud Hussein, Somia Nassef et Marwa Madbouly, ainsi que toutes les personnes détenues uniquement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion, a déclaré Najia Bounaim.
« Dans l’attente de leur libération, elles doivent veiller à ce que ces personnes soient détenues dans des conditions légales, et notamment à ce que leur détention à l’isolement prenne fin, et à ce qu’elles puissent communiquer avec leurs familles et leurs avocats et recevoir tous les soins médicaux nécessaires. »
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