Aller au contenu
Agir
Faire un don
ou montant libre :
/mois
Grâce à la réduction d'impôts de 66%, votre don ne vous coûtera que : 5,1 €/mois
URGENCE PROCHE ORIENT

Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles

Des femmes maltraitées par leurs maris et reniées par leur famille se rassemblent dans une salle de tissage d'un centre pour femmes en détresse à Alger, avril 2007. © Reuters

Algérie : Une loi en souffrance

La loi criminalise les violences conjugales. Mais elle ne donne pas aux femmes les moyens de se défendre.

« Sans mes parents, je serais à la rue aujourd’hui ».

Lorsque Amina (le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat de la victime), 35 ans, a quitté son mari violent, elle n’avait nulle part où aller. « Il m’avait obligée à arrêter de travailler au début de notre mariage. Je n’avais même pas de quoi payer le taxi pour quitter la ville », raconte-t-elle.

Amina décide de retourner chez ses parents avec ses deux enfants, à 600 kilomètres de là. Aujourd’hui, la jeune femme a repris une activité professionnelle. Chargée de marketing dans une entreprise automobile, elle gagne 32 000 dinars (236 euros), un salaire qui ne lui permet pas de louer son propre appartement.

« Mes parents n’ont que deux pièces, alors on a installé des lits superposés dans le salon. La cohabitation n’est jamais simple, mais je suis à l’abri et mes enfants aussi ».

Selon les responsables de la Sûreté nationale algérienne, 7 061 cas de violences contre des femmes ont été signalés au cours des neuf premiers mois de 2018. Des chiffres bien en dessous de la réalité.

La vraie difficulté pour une victime en Algérie consiste surtout à rebondir après avoir dénoncé des violences. Il faut un accompagnement et une protection réelle

Meriem Belaala, présidente de l'association SOS femmes en détresse à Alger.

Fin 2015, l’Algérie a amendé son Code pénal, criminalisant les violences contre les femmes. Le nouveau texte prévoit des peines de un an de prison à la réclusion à perpétuité contre « quiconque, volontairement, cause des blessures ou porte des coups à son conjoint ». Il instaure également des peines pour la violence verbale et psychologique, les agressions sexuelles, le harcèlement et les atteintes à la pudeur.

Pour les acteurs associatifs, il s’agit d’une réelle avancée. « Ces modifications sont nécessaires parce qu’elles permettent une protection légale et une prise en charge juridique, estime Nadia Ait Zai, directrice du Centre de documentation sur les droits des enfants et des femmes (Ciddef). Il y avait urgence à criminaliser ces violences et à les classifier ».

À l’époque, plusieurs associations dénonçaient la clause du pardon, permettant à un agresseur d’échapper aux poursuites pénales lorsque la victime le pardonnait, et si les violences n’occasionnaient pas d’infirmité permanente.

Déficit d’information, manque de formation

Dans les locaux de l’association Aprosch Chougrani, au centre-ville d’Oran, une femme frappe à la porte : « Vous avez des nouvelles ? » Mustapha Lahici, l’un des responsables de l’association, secoue la tête : « Je vous appelle dès que j’ai du nouveau ».

L’association propose aux femmes, notamment aux victimes de violences, une formation d’aide-soignante, et fait le lien avec de potentielles familles employeurs.

La violence touche toutes sortes de femmes, y compris des médecins et des universitaires. Elles n’en parlent pas et, quand elles le font, elles n’évoquent que les violences physiques. La violence sexuelle demeure un grand tabou.

Mustapha Lahici, responsable de l’association Aprosch Chougrani

Un long travail de sensibilisation reste à faire. Dans une enquête associative menée en 2013, 59 % des femmes interrogées considéraient « normal » qu’un homme batte son épouse, notamment lorsque celle-ci « manque de respect envers ses parents », « sort sans prévenir » ou « refuse de donner son salaire ».

Selon les enquêtes menées par les médecins légistes des centres de santé publics, les auteurs des violences contre les femmes sont très majoritairement leurs maris, mais peuvent être un frère ou un voisin.

« Cette modification du Code pénal en 2015 a eu un impact sur le système de pensée. On a parlé de la violence comme étant quelque chose d’anormal, estime Atiqa Belhassen, 30 ans, militante. Une femme peut dire : je ne veux pas. Cependant, sur le terrain, les acteurs censés détecter la violence et la prendre en charge manquent de formation ».

Les associations d’Oran témoignent d’une prise de conscience du problème par les autorités. Le ministère de la Solidarité, l’autorité référente sur la question, cherche à former ses cadres.

Nabila, maltraitée par son mari, nourrit son enfant de trois mois dans un centre pour femmes en détresse à Alger, avril 2017 © Reuters

À l’automne 2018, l’association Aprosch Chougrani a mené une série de consultations dans différentes « wilayas » (collectivités territoriales) du nord-ouest du pays avec les représentants de la justice, des forces de sécurité, des acteurs de l’action sociale, des associations et des médecins légistes.

« Nous avons constaté que les professionnels n’étaient pas outillés. Ils ne connaissent pas la stratégie nationale et ne travaillent pas ensemble. Il est absolument nécessaire de travailler en réseau », analyse Djamila Hamitou, la responsable du projet.

Au cours des rencontres, une autre idée s’est imposée : raccourcir les procédures. « À Oran, désormais, toute femme qui arrive au CHU peut obtenir un certificat médical de blessures. Elle n’a besoin de se présenter à la police que si elle souhaite aller voir le juge d’instruction », affirme Mustapha Lahici.

Un guide pour uniformiser les procédures de prise en charge est en cours de rédaction. Pourtant, aller en justice relève toujours du parcours du combattant.

Pour obtenir l’aide juridictionnelle (la prise en charge par l’État des frais de justice, ndlr), il faut prouver que vous n’avez pas de moyens. Comment le prouver quand vous êtes partie de chez vous sans aucun document ? Comment une femme peut payer les frais d’huissier ?

Fatma Boufenik, de l’association Femmes algériennes revendiquant leurs droits (Fard)

La principale faiblesse du dispositif reste l’hébergement. Il n’existe qu’une poignée de centres d’accueil d’urgence, principalement dans les régions du nord, même si la majorité des wilayas disposent d’une Diar El Rahma, un établissement pour accueillir les personnes démunies.

Depuis l’amendement du Code pénal, un centre d’accueil pour femmes d’une capacité de 50 places a été ouvert à Mostaganem, à 90 kilomètres à l’est ­d’Oran. « La procédure est fluide, assure Atiqa Belhassen. Une femme qui se présente au commissariat ou à la Ddas, et dit qu’elle n’a pas où passer la nuit est admissible d’office, peu importe la région d’où elle vient ».

Un deuxième centre a été créé et équipé dans la ville de Tlemcen, à l’ouest d’Oran, mais reste fermé faute de budget de fonctionnement.

Cependant ces centres étatiques ne permettent pas d’accueillir des enfants. « On n’a pas progressé, se désole Meriem Belaala. Certes, tout le monde parle des violences, et la question du genre est devenue centrale, mais sur le terrain, on n’a rien à offrir à une femme accompagnée d’enfants ! »

Des associations sous pression

« Pour protéger efficacement les femmes, il faut créer des ordonnances d’éloignement, renchérit Nadia Ait-Zaï. C’est à l’homme violent de quitter le domicile, la femme doit rester à l’abri ».

Soumise aux autorités, cette option a été écartée. Dans le monde associatif algérien, les coutumes et traditions pèsent lourd, même au plus haut niveau de l’État.

« On a posé la problématique de la violence comme ne relevant que du droit. Or, s’il ne faut pas frapper sa femme, ce n’est pas à cause de la loi, mais parce que ce n’est pas bien » soupire Atiqa Behassen.

Le Code de la famille reste ambigu sur le droit des femmes : la sœur hérite moins que son frère, l’homme peut divorcer sans motifs, mais pas la femme… L’idée sacrée selon laquelle les hommes sont supérieurs aux femmes demeure.

Atiqa Behassen, 30 ans, militante

« L’Algérie a modifié le Code pénal sous la pression des organisations onusiennes, mais nous revendiquions une loi cadre. Sans ça, l’impact sur le terrain reste limité », estime Fatma Boufenik.

« L’État s’appuie surtout sur le travail des associations, or nous n’avons pas les moyens de tout faire », ajoute Djamila Hamitou. D’autant que les autorités accentuent la pression sur les acteurs associatifs depuis plus d’un an.

En mars 2017, les locaux de Fard ont été fermés sur décision administrative et n’ont rouvert que grâce à la mobilisation des militants. Une structure œuvrant à l’autonomisation des femmes est interdite, accusée d’avoir « reçu du matériel médical » sans autorisation.

Conformément à la loi sur les associations de 2012, toutes les structures doivent faire une demande de « mise en conformité » de leur agrément. Dans les régions des Hauts-Plateaux, plusieurs associations de femmes ne l’ont pas obtenue, or, sans agrément, impossible d’avoir un compte bancaire ou d’organiser un événement public.

« Beaucoup d’associations ont disparu du paysage », affirme Fatma Boufenik. Au sein de SOS femmes en détresse, la fatigue se fait sentir.

Depuis deux ans, la situation socio-­économique du pays rend la prise en charge des victimes extrêmement difficile. Aller dans un hôpital, c’est une galère. Notre réseau est trop sollicité, les gens sont épuisés, alors nous n’accueillons pas autant de personnes que les locaux nous le permettraient.

Meriem Belaala, militante

Meriem Belaala aimerait davantage de soutien de l’État. « Il ne faut pas déconsidérer le travail associatif, car, mine de rien, nous avons une vraie longueur d’avance ».

— Yasmine Chaib, pour La Chronique d'Amnesty International

Agir

Abonnez-vous à la Chronique

Recevez chaque mois le magazine d'information et d'action d'Amnesty International