En France, une proposition de loi « visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs » est discutée à l'Assemblée nationale. Si elle était adoptée, cette loi aurait de graves conséquences sur le droit de manifester pacifiquement en France.
Tout d’abord, si elle était adoptée, une telle loi ne répondrait pas aux violences commises par des individus dans les manifestations. Elle donnerait en revanche tout loisir à un pouvoir politique qui serait peu soucieux des droits humains de priver arbitrairement des milliers de citoyens de manifester. Elle permettrait aux autorités de poursuivre arbitrairement de nombreux manifestants et aurait un effet dissuasif fort sur la participation des citoyens à des manifestations.
Voir la vidéo : manifester est un droit
Le grand retour des interdictions administratives
La proposition de loi introduit la possibilité pour les préfets d'interdire à des personnes de manifester, sans aucun contrôle par un juge judiciaire, avec une possible obligation de pointage, sous peine de prison et d’amende. Elle prévoit aussi que ces interdictions administratives s'appliqueront à quiconque « appartiendrait à un groupe ou entretiendrait des relations régulières avec des individus incitant, facilitant ou participant à la commission » d’actes délictueux.
Cela n'est rien d'autre qu'une présomption de culpabilité par association. Il sera ainsi possible pour le préfet d'interdire à une personne de manifester, simplement sur la base de ses fréquentations jugées mauvaises par les services de renseignement ou le pouvoir exécutif .
Les préfets pourront aussi interdire à une personne de manifester lorsqu’il existe de « sérieuses raisons de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ».
Cette formulation, vague et floue, est la même que celle utilisée pour les personnes suspectées de terrorisme dans la loi SILT (sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme), qui a intégré les principales dispositions de l’état d’urgence en matière de lutte antiterroriste. Comme nous l'avions déjà dénoncé, une telle notion est contraire au principe de droit international de sécurité juridique. En ne permettant pas aux citoyens de connaitre les règles qui sanctionnent leur comportement et d’ajuster leurs choix en conséquence pour ne pas être punis injustement, elle ouvre la voie à l’arbitraire.
Des critères larges et flous
Avec des critères aussi larges et flous pourtant, ce sont des milliers de personnes qui pourraient potentiellement être visées par de telles mesures, loin du regard de la justice.
Entre novembre 2015 et 2017, les pouvoirs d'exception de l'état d'urgence permettaient déjà aux préfets d'interdire à des personnes de manifester sans contrôle judiciaire : plus de 700 interdictions individuelles avaient ainsi été prises.
Comme nous l'avions constaté à l'époque, ces interdictions n'avaient en rien empêché les violences importantes commises par certains individus pendant les manifestations contre le projet de loi « travail », mais avaient privé arbitrairement des centaines de personnes de leur droit de manifester pacifiquement.
Au moment de mettre un terme à l'état d'urgence, le gouvernement d’Edouard Philippe avait eu la sagesse de refuser d'intégrer dans le droit commun cette atteinte fondamentale au droit de manifester.
Néanmoins moins de 15 mois plus tard, le même gouvernement assume sans complexe d'attaquer délibérément ce droit, alors que des centaines de milliers de personnes ont manifesté ces deux derniers mois, pour la plupart pacifiquement.
Cette logique de suspicion est déjà entrée dans le droit commun pour les personnes suspectées de relation avec d’autres personnes elles-mêmes suspectées de sympathie avec le terrorisme. Nous avons longuement documenté dans un rapport récent les conséquences dramatiques vécues par certaines des personnes visées.
Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron s'était publiquement engagé auprès de notre organisation à garantir le droit de manifester pacifiquement. Si une telle loi venait à être adoptée par le parlement, non seulement cela irait à l’encontre de ces engagements, mais cela signifierait un grave recul en France d’une liberté fondamentale.
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