Nous avons authentifié quinze vidéos qui témoignent d’un usage de la force illégal de certains membres des forces de l’ordre pendant le confinement.
Nous avons authentifié quinze vidéos qui témoignent d’un usage de la force illégal de certains membres des forces de l’ordre pendant le confinement.
Insultes racistes ou homophobes, usage illégitime de la force, car ne répondant pas aux critères de nécessité ou proportionnalité : toutes ces vidéos illustrent des cas flagrants de violations du droit international relatif aux droits humains.
Bien que nous ne tirions pas de conclusion générale, la gravité des faits constatés et leur répétition en différents endroits du territoire, nous conduisent à tirer la sonnette d’alarme. Ces quinze vidéos reflètent une réalité préoccupante lors de certains contrôles et interpellations. Dans beaucoup des cas analysés, la violence est exercée à titre punitif, ce qui est en toute circonstance contraire au droit international. Ils appellent à une réaction immédiate, globale et concrète des pouvoirs publics.
Depuis plusieurs années nous alertons sur plusieurs tendances inquiétantes, notamment l’usage excessif de la force ou l’utilisation de techniques dangereuses.
Ce travail de recherche et d’analyse vidéo confirme nos préoccupations. Il a été réalisé avec notre plateforme « Evidence Lab », et son équipe d’experts chargés de mener des enquêtes pointues au moyen de ressources numériques en libre accès.
Des coups pour punir : un traitement cruel, inhumain et dégradant
Dans sept des vidéos analysées, un ou plusieurs membres des forces de l’ordre portent des coups aux personnes contrôlées ou arrêtées : coups de pied, de poing, ou à l’aide d’un objet. Dans quatre situations, ces coups étaient portés alors que les personnes étaient au sol. Dans tous ces cas, ces coups n’étaient pas légitimes.
Ainsi, à Toulouse, dans la nuit du 24 au 25 avril, un homme a été frappé à plusieurs reprises à la tête, alors qu’il ne présentait aucun signe d’agressivité au moment des faits, et qu’il était plaqué au sol. Tout en le frappant avec une muselière, les policiers lui donnent des ordres - « Couche toi », « Mets tes mains dans le dos ». Le fait de frapper un individu pour qu’il obtempère n’est absolument pas nécessaire ni proportionné. D’autres moyens sont disponibles : de la négociation à l’usage d’une force plus faible visant spécifiquement à obtenir l’objectif visé (fouille de la personne pour obtenir des papiers, techniques de contrôle pour la menotter). En outre, les policiers ont utilisé le plaquage ventral, une technique dangereuse qui crée un risque d’asphyxie mortelle. Nous l’avons déjà dénoncée à maintes reprises et demandons sa suspension.
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Dans plusieurs cas, il semble que le contexte antérieur à l’interpellation filmée est invoqué pour justifier les coups portés. Aux Ulis, Sofiane, qui a été conduit sous un porche et frappé alors qu’il était allongé à terre, aurait dans un premier temps fui le contrôle de police . En aucun cas il ne peut être considéré comme légitime que les forces de l’ordre utilisent la force comme punition corporelle. Les punitions pour des infractions et délits doivent être données dans un cadre légal : c’est-à-dire par un tribunal administratif ou judiciaire lors d’un procès équitable.
Dans deux vidéos analysées, la police aurait eu recours au Taser. L’une d’elles montre l’arrestation d’un homme à Villeneuve Saint Georges, contrôlé, plaqué au sol et tasé alors qu’il était sorti réparer sa voiture le 7 avril . Son certificat médical, auquel nous avons eu accès, fait état de coups et blessures volontaires. En outre, le Taser semble avoir été utilisé en mode « contact », un mode dont le seul effet est d’infliger de la douleur. Un objectif illégitime. Nous recommandons l’interdiction de l’utilisation des Tasers en mode contact .
Une autre vidéo parmi celles que nous avons analysées montre l’arrestation du journaliste Taha Bouhafs le 19 avril à Villeneuve-la-Garenne , alors qu’il couvrait, avec d’autres collègues, des affrontements entre forces de l’ordre et des jeunes. L’usage de la force à l’encontre des journalistes alors qu’ils sont en train d’exercer leur métier est particulièrement inquiétant car il constitue une entrave à la liberté de la presse, et une atteinte à la liberté d’expression.
Les injures homophobes et racistes des forces de l’ordre
Deux vidéos analysées permettent d’entendre les policiers formuler des injures à caractère discriminatoire. A Torcy, le 19 mars, un policier échange des insultes avec un voisin qui observait la scène. Le policier tient des propos aux caractères homophobe (« tafiole », « baltringue ») et discriminatoire (« rentre dans ton pays ») .
Le 26 avril, à l’Île- Saint- Denis, un policier qualifie la personne interpellée de « bicot » et indique « qu’il aurait fallu lui accrocher un boulet au pied » alors même que cette personne venait d’être récupérée de la Seine. .
Dans ce dernier cas, les autorités françaises ont immédiatement réagi en dénonçant publiquement les propos tenus et en suspendant les policiers concernés et le Procureur de la République a ouvert une enquête. Les propos discriminatoires des forces de l’ordre ont une influence particulièrement néfaste sur le respect des droits humains dans leur ensemble. Ils vont à l’encontre de l’obligation qu’à l’État de lutter contre toutes les formes de discrimination et créent un sentiment de méfiance envers la police. Les victimes peuvent être, par la suite, moins enclines à porter plainte auprès de la police et obtenir à terme réparation.
Même dans le cas où le policier fait lui-même l’objet d’insultes de la part d’un tiers, il ne doit pas répondre par des insultes ou par l’usage de la force. Seules des menaces ou violences physiques à son encontre peuvent justifier un usage de la force, en dernier recours et de manière proportionnée. Dans tous les cas, c’est à la justice via un tribunal de décider de la sanction à infliger.
Toutes ces situations contribuent à une perte de confiance dans la police et les autorités, qui est particulièrement problématique dans un contexte de lutte contre une pandémie. Une approche exclusivement répressive risque de contribuer à une augmentation des tensions et à un rejet des règles de santé publique, pourtant essentielles.
Nos recommandations
Les autorités françaises doivent donner des instructions claires aux agents déployés sur le terrain pour rappeler les conditions de l’usage de la force et le risque de sanctions en cas de non-respect de ce cadre légal.
Les autorités doivent condamner publiquement et de façon systématique toute situation révélant des pratiques discriminatoires ou d’un usage manifestement illégal de la force de la part des forces de l’ordre.
Des enquêtes indépendantes et impartiales doivent être systématiquement menées en cas d’allégation d’usage illégal de la force ou de discrimination, afin de garantir aux victimes de tous ces cas, un accès à la justice.
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