L’ambassadeur des droits de l’homme pratique une diplomatie de convictions.
On va fêter, en 2018, le 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Pourquoi la France, qui en est le pays d’origine et fut celui de son lancement, a-t-elle besoin d’un ambassadeur pour l’incarner ?
François Croquette C’est essentiel d’avoir dans notre réseau diplomatique un ambassadeur qui coordonne l’action sur les sujets de droits de l’homme.
Ce poste existe depuis une bonne quinzaine d’années au sein du ministère des Affaires étrangères, afin que les personnes qui travaillent sur ces questions, et elles sont nombreuses, puissent se parler et coordonner leurs efforts.
Vous occupez ce poste d’ambassadeur des droits de l’homme depuis février 2017 après avoir exercé diverses fonctions diplomatiques. Quelle est la spécificité de votre poste actuel ? Comment travaillez-vous ?
Ce poste dont je suis très fier, est l’aboutissement de vingt-cinq ans de carrière au cours desquels j’ai eu l’occasion, de m’intéresser de près aux droits de l’homme, sur le terrain, comme à Kinshasa en RDC, à Moscou en Russie, auprès de ministres, comme Pascal Canfin au Développement, ou du président du Sénat, Jean-Pierre Bel.
Dans ces différentes fonctions, la dimension des droits de l’homme a toujours été essentielle, y compris lorsque j’étais en charge de l’Institut français à Londres. C’est pour moi un fil rouge. Je peux aujourd’hui le conjuguer avec mon engagement personnel.
Ce n’est un secret pour personne : je suis militant d’Amnesty International depuis vingt-cinq ans.
Donc il s’agit aussi d’un aboutissement personnel. Nous sommes une petite structure, mais nous nous appuyons sur le réseau du ministère. Et mon long compagnonnage avec Amnesty et d’autres organisations de défense des droits de l’homme facilite les choses. Je crois à une forme de complémentarité entre l’action des ONG et celle du ministère des Affaires étrangères, sur le terrain et à Paris.
Un portrait de Mandela sur la façade du quai d’Orsay ouvre votre page Facebook. Quel est pour vous la portée du message de Mandela ?
Mandela représente pour moi plus qu’une icône. J’ai eu la chance de le rencontrer lors de sa première visite à Paris, puisque je suivais l’Afrique du Sud au Quai d’Orsay.
En le raccompagnant à Roissy à l’issue de sa visite, j’ai été frappé de sa curiosité au sujet de notre pays. Nous avions croisé en traversant Paris une manifestation de lycéens et d’étudiants qui protestait contre une réforme. Il m’a interrogé sur leurs motivations, mais aussi sur les forces de police qu’il voyait déployées.
Cela résume bien l’homme qui ne s’est jamais contenté de son statut d’icône. Il est resté accessible, sachant se mettre au niveau des préoccupations des gens.
Deux choses caractérisent la lutte contre l’apartheid, la non-violence sur le terrain et le recours aux opinions occidentales via le boycott des produits sud-africains. Que peut-on retenir de ce message politique ?
Quand Mandela a été arrêté en 1964, c’était pour sa participation à la lutte armée. Un cheminement l’a amené à la non-violence, à prôner justice et réconciliation.
On a beaucoup à apprendre de cette histoire, y compris en termes d’instruments pour défendre les droits de l’homme. Le boycott a été l’une des clés de la chute de l’apartheid. Il a été politiquement discuté à l’époque, le Royaume-Uni de Margaret Thatcher étant très réticent.
On dit souvent que le boycott est dépassé, avec les nouveaux enjeux de la mondialisation. Mais il reste l’une des armes possibles qu’il ne faut jamais totalement écarter lorsque l’on est confronté à des situations de blocage total, d’absence de dialogue, avec le préalable absolu de la non-violence. Pour moi, dans un contexte donné, le boycott a fonctionné et a contribué au démantèlement de l’apartheid.
Y a-t-il d’autres ambassadeurs des droits humains dans le monde, et comment travaillez-vous ensemble ?
On n’est pas très nombreux ! Mais oui, cette fonction existe dans quelques pays européens, pas tous, et au-delà. C’est le cas des pays scandinaves, de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la Suisse, du Canada, de l’Argentine.
Il y a aussi un « envoyé spécial » aux États-Unis, mais le poste est vacant pour le moment. Cela forme un embryon de réseau, qui permet de travailler à des projets conjoints. Il y avait aussi un ambassadeur pour les droits de l’homme en Russie, mais qui n’avait évidemment pas le même rôle dans le système russe actuel.
Ce petit club se réunit deux fois par an, au moins au niveau européen, et peut aussi échanger plus rapidement. La difficulté consiste à trouver un terrain d’entente, ne pas dupliquer des procédures et des institutions existant déjà, notamment en Europe. Mais l’arme qui nous est commune, c’est la souplesse.
On peut être amenés à agir rapidement, et c’est une des plus-values que nous pouvons apporter.
N’avez-vous pas le sentiment parfois, de servir de caution à des politiques que vous n’approuvez pas forcément ?
Si c’était le cas, je ferais autre chose.
Dans la lutte contre le terrorisme, comment protéger à la fois les droits humains et les libertés individuelles ?
L’équilibre entre sécurité et liberté est un sujet majeur. L’essentiel, est bien, au final de trouver un point d’équilibre pour préserver ce qui fait le socle de nos libertés publiques.
La France est un État de droit et le restera. Je crois qu’il y a des institutions et des contre-pouvoirs - la presse, l’opposition - très attentifs à cet équilibre.
Cela fait partie de notre force démocratique. L’important est de pouvoir parler de cet équilibre. Je le ferai dans le cadre de l’examen périodique universel (EPU) qui a été mis en place par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, auquel se soumettra la France en 2018.
Ce sera pour nous l’occasion de répondre aux questions posées, et d’entendre d’éventuelles objections. Cette revue par les pairs est une avancée d’un système onusien qu’on a tendance parfois à critiquer pour sa lenteur et son impuissance.
Les gouvernements n’ont peut-être pas su expliquer aux opinions en quoi consiste l’EPU…
C’est vrai que la procédure reste un peu confidentielle, mais elle existe. Nous la prenons très au sérieux ici en France. Cela fait l’objet d’une concertation au niveau interministériel, mais également avec la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), qui nous fait des observations dont nous devons tenir compte dans la préparation du rapport soumis au Conseil des droits de l’homme.
C’est un processus étalé sur plusieurs mois, et pour nous, l’occasion de revenir sur un certain nombre de difficultés. Nous constatons alors que nous avons pu apporter des réponses et que parfois nous sommes encore en retard. La piqûre de rappel est toujours utile. La question de la surpopulation carcérale en France revient régulièrement sur la table, et c’est à nous de prendre enfin en compte les remarques qui nous sont faites.
D’une manière plus large, de nombreux acteurs des droits humains, comme le Secrétaire général d’Amnesty Salil Shetty, pensent qu’on ne peut isoler la question des droits humains de celle de la justice sociale et des inégalités. Qu’en pensez-vous ?
Dans mon parcours, j’ai été amené à traiter des questions de développement, de changement climatique. Il me semble évident que c’est un continuum qui doit être traité comme tel.
Cela vaut également pour la question de la pauvreté, que la France, historiquement, essaye de porter. Elle a récemment fait adopter une résolution sur l’extrême pauvreté au sein du Conseil des droits de l’homme. C’est ce qui a permis, à mon sens, le succès de la Cop 21 à Paris.
Si on a pu réunir autant d’intérêts aussi divergents, c’est grâce à une prise de conscience de l’interdépendance entre ces problèmes, une prise en compte nouvelle de ce continuum.
Après il faut le faire vivre. Il faut à la fois être réaliste et très ambitieux, mais ne jamais perdre de vue que ces problématiques de développement et de pauvreté, de lutte contre le changement climatique doivent être intégrées dans notre projet sur les droits de l’homme.
Les lois contre les ONG se multiplient dans de nombreux pays, au risque d’étouffer les sociétés civiles.
C’est une vraie préoccupation et vous avez raison de pointer ce qui est, à mon sens, une forme de matrice qui se reproduit dans un certain nombre de pays.
Les dispositions législatives encadrant de façon très stricte le fonctionnement des ONG ont clairement pour but de les empêcher de fonctionner.
Ces différentes lois, — en Russie, en Hongrie, en Chine, en Égypte, en Israël — ont la même philosophie. Pour s’opposer à cette dérive, nous sommes intervenus publiquement par exemple en Russie, notamment à propos de l’association Femmes du Don, dont la dirigeante, Valentina Tcherevatienko, a été la première à être inculpée au titre du financement par l’étranger des ONG.
Pour l’instant, les poursuites sont abandonnées, donc je crois que l’on peut être efficace. Il faut intervenir aussi bien en privé qu’en public pour faire connaître nos désaccords sur la stigmatisation du combat essentiel de la société civile. Je m’y emploie à chaque fois que je me déplace à l’étranger, je rencontre quand c’est possible ces ONG pour affirmer notre soutien au travail de fourmi qu’elles mènent. Faire savoir notre soutien à la société civile est une partie essentielle de mes fonctions.