Au Soudan du Sud, des milliers de personnes, des femmes, des filles et des hommes, ont été violées et agressées sexuellement à cause de leur appartenance ethnique. Sans personne vers qui se tourner pour obtenir de l'aide, elles se trouvent dans un état de détresse psychologique total dans un pays en plein conflit.
Il s’agit de violences sexuelles préméditées à grande échelle. Des femmes ont été violées en réunion, agressées sexuellement au moyen de bâtons et mutilées au couteau.
Il est arrivé que les agresseurs tuent les femmes qu’ils venaient de violer. Ils ont même mutilé le sexe d’une femme au couteau, après l’avoir violée, parce qu’elle avait tenté de résister. Elle a succombé à ses blessures quatre jours plus tard.
Des hommes ont aussi été agressés. Certains ont été violés, d’autres ont été castrés ou ont eu les testicules transpercées par des aiguilles. Dans un cas particulièrement sordide, quatre militaires de l’armée gouvernementale ont inséré de l’herbe dans le rectum d’un jeune homme, y ont mis le feu et l’ont regardé brûler vif.
Violées et agressées en raison de leur origine
De très nombreuses victimes ont été visées en raison de leur appartenance ethnique, de plus en plus perçue comme une allégeance politique au régime ou à l’opposition.
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Les auteurs appartiennent à chacune des parties au conflit, qui oppose les forces gouvernementales du président Salva Kir, du groupe Dinka, aux forces d’opposition de Riek Machar, au groupe Nuer, ainsi que les groupes armés qui leur sont alliés.
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Certaines des agressions semblent avoir pour objectif de terroriser, d’avilir et de déshonorer les victimes, ou encore d’empêcher des hommes de groupes politiques rivaux de procréer.
Dans la plupart des cas sur lesquels nous avons enquêté, des hommes dinkas s’en sont pris à des femmes nuers et des hommes nuers à des femmes dinkas.
Ils m’ont violée parce que je suis Nuer [...]. Ils parlaient de ce qui s’était passé à Bor, où des femmes et des filles dinkas avaient été violées et tuées par des Nuers, du groupe ethnique de Riek Machar.
Nyaluit, violée par cinq membres des forces gouvernementales en décembre 2013
Parfois aussi, comme dans l’État d’Unité, des hommes nuers partisans du régime ont violé des femmes de leur propre groupe, qu’ils estimaient favorables à l’opposition. Il est arrivé également que les forces gouvernementales agressent des femmes appartenant à d’autres ethnies.
Ils [des soldats de l’armée régulière] m’ont dit que je devais en vouloir à Dieu de m’avoir créée nuer
Nyachah, une femme de 36 ans violée par sept militaires loyalistes à Djouba
James, un Dinka, a été forcé à regarder neuf combattants nuers de l’opposition qui avaient fait irruption chez lui violer sa femme, Acham, à tour de rôle avant de la tuer. « Vous ne savez pas que les Dinkas et les Nuers s’affrontent et que beaucoup de Nuers ont été tués par des Dinkas à Djouba ? », ont déclaré les agresseurs.
Des histoires terribles
En 2016, publié déjà un rapport sur les conséquences dramatiques du conflit sur la santé psychologique des habitants du Soudan du sud. Ici une femme pleurant à Gumbo la mort de son mari © Tim McKulka
Gatluok, un homme qui n’a pas pu s’échapper avec les autres lorsque des membres de l’armée gouvernementale ont effectué un raid dans son village :
Comme je suis aveugle, je n’ai pas pu m’enfuir avec les jeunes hommes et j’ai été attrapé. Ils m’ont demandé de choisir entre être violé et être tué. J’ai dit que je ne voulais pas être tué alors ils ont décidé de me violer.
Gatluok, violé dans son ville de l'État d’Unité, en mai 2015
Une des femmes que nous avons entendue est désormais atteinte du VIH. D’autres présentent une fistule ou une incontinence intestinale. Plusieurs hommes sont devenus impuissants.
De nombreuses victimes souffrent de cauchemars, de pertes de mémoire et de problèmes de concentration. Ils ont pensé au suicide ou à la vengeance – symptômes courants d’un état de stress post-traumatique.
Jokudu, une jeune femme de 19 ans, a été violée avec brutalité par cinq membres de l’armée régulière près de la ville de Yei, en décembre 2016. Elle n’est plus en mesure de retenir ses urines et saigne fréquemment.
Nyabake, 24 ans, a été violée en réunion par des militaires des forces gouvernementales à un poste de contrôle de Djouba, en juillet 2016. Elle ne dort plus que trois heures par nuit, tout au plus, à cause des cauchemars. Elle a toujours l’impression que les soldats reviennent.
Je ne veux pas me rappeler mais parfois ça me revient en tête et je pleure. Parfois, je me demande si mes enfants s’en souviennent. Quand ils vont grandir, que vont-ils penser de leur mère ?
Sukeji a été violée en réunion devant ses deux enfants par trois soldats de l’armée loyaliste à Kajo Keji
Nyagai, qui a été violée en réunion par des militaires fidèles au régime à Djouba, en juillet 2016, a perdu la foi depuis son agression. Elle a cessé de se rendre à l’église et ne prie plus. « Satan est passé en moi le jour où j’ai été violée ».
Jacob, dont l’épouse Aluel a été violée sous ses yeux par des combattants du Mouvement populaire de libération du Soudan-Opposition (MPLS-Opposition) à Djouba, en juillet 2016, confie qu’il a envisagé de mettre fin à ses jours.
Face aux violences sexuelles : L’insupportable silence des deux camps
A Juba au Soudan du Sud © Natalia Jidovanu
Les conséquences de ces actes indéfendables, affaiblissent les victimes physiquement et psychologiquement. Le cours de leur vie est changé. De nombreuses femmes sont rejetées par leur mari et leur belle-famille et stigmatisées par la société.
Il est temps que les autorités sud-soudanaises
- prennent des mesures volontaristes pour enrayer cette vague de violences sexuelles, en commençant par envoyer un message clair de tolérance zéro
- diligenter immédiatement une enquête indépendante et efficace sur les agressions perpétrées
- et veiller à ce que les responsables présumés soient amenés à rendre des comptes dans le cadre de procès équitables.
- préviennent les violences sexuelles, notamment en écartant les suspects des forces armées jusqu’à ce que les allégations les mettant en cause soient confirmées ou infirmées de manière indépendante. Il faut que les victimes obtiennent justice, soins médicaux et réparation.
Les forces d’opposition doivent, elles aussi :
- interdire les violences sexuelles dans leurs rangs
- mettre en place des mécanismes solides pour surveiller leurs combattants
- coopérer à toutes les enquêtes et poursuites dont leurs membres sont susceptibles de faire l’objet en vertu du droit international.
* Les noms de toutes les victimes ont été modifiés afin de protéger leur vie privée et leur sécurité.