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Cinq choses à savoir sur l’obligation ou l’interdiction du port du foulard 

L'autonomie corporelle des femmes et le choix des vêtements qu’elles portent, sont régulièrement pointés du doigt, examinés, jugés, stigmatisés, restreints. Leurs tenues vestimentaires font l’objet de lois, de réglementations et sont strictement contrôlées dans de nombreux pays. Une discrimination et une hostilité subies par des femmes du monde entier.  

En France et en Europe, les discussions sur le port du foulard sont emblématiques de ces discriminations liées au genre. Voici cinq choses à savoir.  

1. Les femmes ne doivent subir aucune pression ni coercition quant à leur façon de s’habiller  

Amnesty International soutient le droit des femmes à choisir ce qu’elles veulent ou ne veulent pas porter, dont le sens est divers en fonction de chaque femme : expression de leur croyance ou de leur identité religieuse, culturelle, politique ou personnelle... En effet, leur imposer ou leur interdire une forme d’habillement, quel qu’il soit, relève de la discrimination basée sur le genre, ancrée dans des stéréotypes négatifs selon lesquels le corps des femmes doit refléter les valeurs d’une société donnée, au détriment des volontés et croyances individuelles de chaque femme. 

La contrainte de codes vestimentaires, que ce soit par l’imposition du port de vêtements ou leur interdiction, traduit une volonté d’exercer un contrôle du corps des femmes et des jeunes filles et de les priver de leur autonomie personnelle, en voyant dans leur corps une manifestation symbolique des valeurs de la communauté ou de la nation. Ces stéréotypes sont les causes sous-jacentes des différentes violations de droits humains dont sont massivement victimes les femmes à travers le monde, et qui les impactent plus fréquemment et plus violement que les hommes. 

Les femmes ne doivent subir aucune pression ni coercition quant à leur façon de s’habiller, que celle-ci vienne d’individus ou de groupes, ou de l’Etat. S'il s'avère que des femmes subissent des pressions ou des coercitions pour porter, par exemple, le foulard (ou d'autres formes d'habillement), les États se doivent d'intervenir pour protéger leur droit à la liberté d'expression, de pensée, de religion et de conscience. 

En France, si la violence ou la menace est utilisée pour contraindre des femmes à s'habiller d'une certaine façon, la réponse appropriée des autorités est d'intervenir dans chaque cas individuel, en utilisant, par exemple, des mesures de soutien à l’endroit des femmes qui subissent des pressions et/ou des mesures répressives à l’encontre des personnes qui forcent le port d’un vêtement. Chaque situation est unique et mérite une réponse spécifique dans l’intérêt premier des victimes de violations de droits humains. De la même manière, l’Etat ne doit pas non plus exercer une forme de pression ou de coercition en mettant en place des interdictions générales du port du voile ou de tout autre type d’habillement. 

 

2. Toute interdiction ou imposition du port de signes religieux ou culturels aux femmes est une atteinte à leurs droits  

Amnesty International considère que l'obligation ou l’interdiction de port de signes religieux ou culturels comme le foulard, viole les droits à la liberté d'expression, de pensée, de religion et de conscience des femmes. 

Ainsi, Amnesty International a condamné les discriminations à l'égard des femmes dans des pays comme l'Afghanistan, l'Indonésie, l'Iran, l'Iraq, le Pakistan, ou l'Arabie Saoudite, où elles sont soumises à des règles vestimentaires ou d'autres restrictions dans l'exercice de leurs droits humains. En Iran, nous soutenons les défenseures des droits humains qui militent contre les lois liberticides sur le port obligatoire du voile. En Afghanistan, nous avons documenté la guerre menée par les Talibans contre les filles et les femmes et dénonçons un crime contre l’humanité. 

En Europe et particulièrement en France, les règles imposant des codes vestimentaires qui visent à empêcher les femmes de porter des vêtements ou symboles religieux violent également les droits des femmes. Écouter la parole des personnes concernées, ainsi que les recherches sur ce sujet, montrent qu'il est faux de supposer que le port du foulard résulte nécessairement d'une pression ou d'une coercition (6). En effet, le port du foulard, ou de tout vêtement qui peut être considéré comme religieux ou culturel, revêt des sens très variés que seules les femmes qui le portent sont à même de définir, pour elles-mêmes, individuellement. Définir à leur place le sens de ses vêtements, et ainsi leur confisquer le droit de définir elles-mêmes le sens qu’elles leur donne, constitue une nouvelle violence.  

C’est pourquoi Amnesty International soutient le droit des femmes de choisir librement ce qu’elles souhaitent porter, car toute contrainte à porter ou ne pas porter un foulard, prive les femmes de leur autonomie corporelle. Les femmes doivent avoir le choix d'exprimer (ou non) leur religion, leur culture ou leur tradition en portant (ou en ne portant pas) des formes spécifiques d'habillement.  

Si des femmes subissent des pressions ou des coercitions de la part d’un Etat, d’une communauté ou de toute personne pour porter un vêtement, nous le condamnons en rappelant que toutes les femmes devraient être libres de choisir ce qu'elles veulent porter.  

Du point de vue du droit international, la responsabilité d’assurer à chaque femme la liberté d’expression, de pensée, de conscience et de religion, revient à l’Etat. C’est pourquoi le travail d’Amnesty International se concentre sur les restrictions ou obligations au port de signes religieux ou culturels mis en place par les Etats, et non aux potentielles pressions et coercitions mises en place par des acteurs non-étatiques. 

 

3. L’interdiction du port de signes religieux en France s’inscrit dans un contexte de montée de discours de haine stigmatisant particulièrement les personnes musulmanes 

En France, ces vingt dernières années, Amnesty International constate une prolifération des lois et mesures visant à interdire aux femmes certains vêtements considérés comme religieux. Ces mesures s’inscrivent dans un contexte de montée de discours de haine, stigmatisant les personnes musulmanes et tout particulièrement les femmes et les filles portant le foulard. 

Ce constat, à l’échelle européenne et française, est largement fait par les mécanismes internationaux de défense des droits humains, comme la Commission Européenne Contre le Racisme et l’Intolérance (ECRI) (1) des experts onusiens (2) ou encore la Défenseure des Droits (3).

Ainsi, si les mesures limitant le port de signes religieux et culturels ne mentionnent pas les femmes musulmanes explicitement, dans les faits, les débats politiques et médiatiques qui entourent leur adoption visent expressément celles-ci ; rendant ces mesures discriminatoires. 

Dans son rapport de 2021, le rapporteur spécial de l’ONU sur la liberté de religion ou de conviction a par ailleurs souligné le caractère intersectionnel de la discrimination et de l’hostilité subies par les femmes musulmanes, qui « peuvent être confrontées à une “triple peine”, en tant que femmes, issues d’une minorité ethnique et musulmane ».  

Dans ce contexte, des universitaires et des ONG ont fourni de nombreuses preuves illustrant la réalité de l’islamophobie genrée dont souffrent les femmes et les filles musulmanes en France. Depuis plusieurs années, les autorités françaises n’ont eu de cesse de multiplier les législations et les règlementations incriminantes portant sur les vêtements des filles et des femmes musulmanes. Ces mesures, alimentées par des stéréotypes, renforcent et exacerbent les discriminations fondées sur le genre visant les filles et les femmes musulmanes, ainsi que celles perçues comme telles. Certains médias décrivent systématiquement les femmes musulmanes comme un problème. Elles sont présentées comme étant soit « opprimées », et victimes d’un patriarcat religieux ; soit « dangereuses », et assimilées à l’« islam radical », ou encore comme enfreignant les « valeurs républicaines » de « laïcité » et de « neutralité ». Ces discours, qui nient l’individualité des femmes musulmanes, et leur attribue des caractéristiques prétendues propres à un groupe dans la société (les “musulmans”), sont des discours racistes. Les récits et les narratifs qui tentent de lutter contre ces représentations trouvent très peu d’écho dans l’espace médiatique.  

 

Les femmes musulmanes font souvent l’objet de discussions, mais la parole ne leur est que rarement accordée. On dénombre très peu de femmes musulmanes dans des médias et sur d’autres plateformes en France. 

C’est dans ce contexte de discriminations systémiques que nous nous opposons aux mesures d’interdiction du port du foulard, non pas parce que nous nous opposons au principe de la laïcité qui les justifient, mais parce qu’elles sont attentatoires aux droits humains. 

 

4. La discrimination contre les personnes musulmanes, ou perçues comme tel, peut être considérée comme une forme de discrimination raciale 

Le racisme, dont les discriminations fondées sur la race sont l’une des formes d’expression, découle du postulat selon lequel certains groupes d’êtres humains, souvent minoritaires, ont des caractéristiques propres et inférieures au groupe majoritaire, ou problématiques pour le reste de la société. 

En France, l’imaginaire collectif identifie les groupes « maghrébins », « arabes », « immigrés » ou encore « étrangers », et les individus qui y sont rattachés, comme ayant des caractéristiques propres inférieurs au groupe majoritaire. Ceci est du racisme. 

Les recherches sur le racisme en France démontrent aujourd’hui une confusion, un mélange, entre ces groupes et celui des “musulmans”. Par exemple, l’enquête Trajectoires et Origines* menée conjointement par l’INED et l’INSEE, fait état du fait que des personnes anciennement discriminées en raison de leur race ou origine supposées (qui étaient donc considérées comme “maghrébine”, “arabe” etc.), le sont à présent pour leur religion supposée (et sont donc considérées comme “musulmanes”). 

Ainsi, dans l’exercice d’une discrimination, le motif religieux est difficilement dissociable du motif racial. Parmi les musulmans ayant déclaré une discrimination, un tiers les attribue à leur religion, alors qu’ils n’étaient que 15 % dans ce cas dix ans auparavant. Réciproquement, la part de l’origine ou couleur de peau dans les discriminations subies par les musulmans est tombée à 81 % alors qu’elle était à 91 % dix ans plus tôt, témoignant d’un glissement du motif de l’origine vers celui de la religion (4)

Les organes internationaux de défense des droits humains font ce même constat : celui de la construction, dans l’imaginaire collectif, d’un groupe social homogénéisé des “musulmans”, qui imbrique la religion, l’origine ethnique ou nationale, des éléments culturels, voire physiques. (5)

Face à ce constat les discriminations subies par les personnes musulmanes ou perçues comme tel, peuvent être considérées comme des discriminations raciales. 

 

5. Ce que dit le droit international sur le principe de laïcité  

En France, la laïcité est un principe structurant de l’organisation politique. Instaurée par la loi de 1905 selon laquelle “La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées (...) dans l'intérêt de l'ordre public.”. Le principe de laïcité a aussi une valeur constitutionnelle, puisque selon l’article premier de la Constitution : “La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale.” 

La définition précise de ce principe varie entre les différents responsables politiques. Certains le conçoivent comme un moyen de préserver la liberté de culte (y compris l’absence de croyance), d’autres considèrent qu’il implique une expression du culte réduite au cercle familial/intime, voire une absence totale de religion ou de croyance. 

Amnesty International ne prend pas position sur l’organisation politique d’un pays, ni sur les visions et idéologies politiques de ses dirigeants. Ainsi, nous ne soutenons ni ne nous opposons à la laïcité par principe. Cependant, nous nous penchons sur l’impact des mesures prises par les pays, quelle qu'en soit la justification, sur les droits humains. 

Au regard du droit international des droits humains, quel que soit le sens que l’on donne à la laïcité, celle-ci ne peut restreindre abusivement la liberté de religion, de pensée, de conscience et d'expression et violer le droit à la non-discrimination. Ceci est vrai, même lorsque la laïcité est un des principes fondamentaux des politiques publiques. 

Or, comme expliqué ci-dessus, les mesures d’interdiction de ports de signes religieux prises au nom de la laïcité sont discriminatoires. Dans leurs intentions (au vu des discours de haine qui les entourent) et dans leurs effets (puisqu’elles s’appliquent avant tout aux femmes et filles musulmanes), ces mesures sont discriminatoires sur la base de la religion des personnes qui les subissent, et leur genre.  

De plus, en droit international, toute restriction au droit à la liberté d’expression, de pensée de religion ou de croyance, mais aussi droit à la non-discrimination, doit répondre à trois conditions rigoureuses. Elle doit : 

- être prescrite par la loi 

- remplir un but précis, légitime et explicitement autorisé par le droit international, c’est-à-dire la protection de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé publique, des bonnes mœurs ou la protection des droits d’autrui 

- être nécessaire et proportionnée à la réalisation du but visé, et l’Etat se doit démontrer cette nécessité et proportionnalité. 

Ainsi, l’interdiction généralisée de port de signes religieux au nom de la laïcité n’est pas conforme au droit international car la laïcité ne fait pas partie des buts précis, légitimes et explicitement autorisés par le droit international pour restreindre la liberté d’expression, de pensée, de religion et de conscience. De plus, l’Etat ne démontre pas la nécessité et la proportionnalité de la mesure pour atteindre son but. Enfin, de manière générale, le droit international considère que les restrictions généralisées à des libertés sont difficilement proportionnelles au but visé.

(4) Insee Première, n° 1911, Juillet 2022

(5) Recommandation de politique générale n° 5 révisée sur la prévention et la lutte contre le racisme et la discrimination antimusulmans de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance du Conseil de l’Europe, décembre 2021