Google, Apple, Facebook, Amazon seront bientôt soumis au consentement des internautes en Europe.
Grégoire Pouget, ancien responsable technique chez Reporters sans frontières, est membre de l’association Nothing 2 hide qui aide journalistes, avocats et activistes à se protéger, ainsi que leurs sources.
Il compare les effets d’Internet au panoptique conçu par l’architecte Samuel Bentham au XVIIIe siècle : une prison en cercle avec un poste de surveillance au milieu qui crée le sentiment d’être observé à tout moment.
Avec tout ce qu’on l’on entend à propos des dérives du Web, on a le sentiment d’être potentiellement surveillé : quelqu’un peut tout savoir sur nous s’il prend la peine de chercher, tout ce que nous faisons peut un jour être utilisé contre nous. Peu importe que ce soit vrai ou pas, le résultat est le même : l’autocensure.
Grégoire Pouget, membre de l'association nothing 2 hide
En signant une pétition, votre nom peut y être associé dans un moteur de recherche, consulté par un futur employeur ; un frein pour affirmer ses engagements militants. Une photo de vous souriant sur les réseaux sociaux et votre entreprise considère que votre arrêt maladie pour dépression est factice ; de quoi fuir les moments de sociabilité où des photos pourraient être prises. Mais Grégoire Pouget met en garde contre la paranoïa : « Le modèle économique des géants du Web est basé sur la collecte de données massive, qui sont revendues et permettent une publicité ciblée. Il s’agit cependant d’une collecte massive, pas individuelle ».
« Si c’est gratuit, c’est vous le produit »
Claude Castelluccia, chercheur au sein de l’Inria, dirige l’équipe Privatics qui travaille sur la protection de la vie privée. Pour lui, ces intrusions dans nos vies sont problématiques.
« Il y a cette idée répandue du "peu importe que l’on puisse accéder à mes données, je n’ai rien à cacher". Lorsque mes étudiants me disent cela, je leur réponds : "OK, donnez-moi tous vos comptes et vos mots de passe". Bien entendu, personne ne me les fournit. C’est bien la preuve qu’il y a une nuance entre confidentialité et vie privée : même si nous ne faisons rien d’illégal, ce n’est pas pour autant que nous acceptons que n’importe qui accède à nos informations personnelles, c’est-à-dire à notre intimité ».
Pour lui « les médias se focalisent sur la surveillance gouvernementale et négligent souvent la surveillance commerciale effectuée par les GAFA [Google, Apple, Facebook, Amazon] qui me paraît au moins aussi dangereuse. Le modèle économique de ces entreprises se base sur l’exploitation de nos données et comme dit l’adage : “Si c’est gratuit, c’est vous le produit” ».
Et ces entreprises n’ont pas la transparence chevillée au corps, comme le confirme Fabrice Le Guel, économiste à l’université Paris-Sud : « Avec notre équipe de recherche, nous souhaitons déterminer comment et entre qui et qui s’échangent les flux de données personnelles, mais la tâche est ardue tant le marché est opaque. En un sens, on peut dire que ce secteur est similaire au Farwest : une ruée des GAFA et des start-up sur les données personnelles, et les régulateurs étatiques qui tentent de cadrer tout cela pour éviter les dérives ». Et cette ruée vers l’or porte ses fruits. 90 milliards de dollars de chiffre d’affaires pour Google en 2016, 44 pour Amazon, 215 pour Apple ou encore 28 pour Facebook. Grâce à l’exploitation des données personnelles, la publicité remplit leurs caisses.
Le consentement, nouvelle gageure
L’Europe tente d’y mettre de l’ordre, à défaut de pouvoir y faire le ménage. Un règlement européen entrera en application en mai 2018. Il faudra que chaque internaute donne son accord explicitement pour pouvoir collecter ses données personnelles.
Cela ressemble à un vœu pieux tant il est difficile d’imaginer les entreprises scier la branche sur laquelle elles sont assises en demandant à leurs internautes de cocher la case : « Oui, j’accepte que mes données soient collectées et exploitées à des fins commerciales ».
Mais l’internaute lui-même a du mal à prendre la mesure du problème.
Prenons le cas de Google et de ses différents services : boîte e-mail, recherche Internet, cartographie, partage de documents ou encore de vidéos avec YouTube. Tous ces services sont connectés les uns aux autres, ce qui facilite grandement le quotidien de l’internaute. Vouloir se protéger signifie renoncer à Google.
Un véritable chamboulement va devoir s’opérer. Claude Castelluccia est optimiste.
De plus en plus d’entreprises ont compris que la protection de la vie privée va devenir un enjeu économique important et commencent à proposer des services plus respectueux de ses utilisateurs
Claude Castelluccia, chercheur au sein de l’Inria
Des alternatives simples à utiliser comme Qwant, Startpage, Firefox, Framasoft, accessibles gratuitement. Olivier Ertzscheid, enseignant-chercheur à l’IUT de la Roche-sur-Yon, étudie l’impact de la culture Internet sur les rapports humains. « De plus en plus d’ingénieurs entrent, si on peut dire, "en résistance" pour que les services que nous utilisons préservent notre vie privée automatiquement, sans configuration de la part des internautes ».
Une inflexion que confirme Fabrice Le Guel, économiste à l’université Paris-Sud : « Il semble que de plus en plus de personnes soient prêtes à payer pour des services de qualité, dans le respect de leur vie privée. Si ce changement de modèle économique se confirme, cela va rebattre les cartes ».
— Julie Lallouët-Geffroy pour La Chronique d'Amnesty International
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