Christian Caujolle est le fondateur de l’Agence VU. Il nous raconte son "juin 1989" en Chine au travers d'une série de photos chocs.
Je travaillais avec ce photographe chinois dont je ne dévoilerai pas le nom depuis un an.
À l’époque, on nous faisait passer les rouleaux de pellicules en cachette, via Roissy, à l’arrivée des avions en provenance de Pékin. Il travaillait dans une grande ville de province, et comme c’est souvent le cas, il avait de bonnes relations avec les autorités qui lui passaient commande lors de certains événements.
Au moment des grandes manifestations étudiantes de juin 1989, l’armée a donc fait appel à lui pour réaliser des photos. Il s’est rendu sur place avec deux appareils. Sur ses clichés on voit qu’il s’agit de manifestants grâce aux inscriptions sur les pancartes qu’ils portent au cou. Ils ont été arrêtés, jugés, puis exécutés, devant lui.
Certaines de ces images furent ensuite affichées devant le tribunal, le siège du parti, comme outils de propagande. Le photographe avait trouvé le moyen de nous faire parvenir des tirages, auxquels il avait joint un mot : Il nous demandait explicitement qu’ils soient publiés dans la presse au plus vite. J’ai refusé, considérant cela comme dangereux pour lui, et les ai mis dans le coffre de l’agence. Six mois après, nous avons réussi à le faire sortir du pays, sans sa fille et son épouse restées là-bas. En arrivant en France, il n’arrêtait pas de dire qu’il n’était pas content, que je ne connaissais rien à la Chine, que ses photos avaient étaient prises en province et qu’il ne risquait rien.
Elles furent publiées pour le premier anniversaire du massacre de la place de Tiananmen dans The Independent en Angleterre, puis en France, en Allemagne et dans le monde entier.
Ce que je craignais est arrivé : une semaine après, son épouse et sa fille étaient arrêtées par la police. J’ai alors activé tous les réseaux diplomatiques, des députés au quai d’Orsay.
Ils ont été formidables : nous sommes parvenus à faire sortir sa famille de Chine. Aujourd’hui, ses photos sont l’un des rares témoignages d’exécutions des manifestants du printemps de Pékin.
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