Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles
©Thomas Imo/Photothek via Getty Images
Rwanda
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 155 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Rwanda en 2023.
La justice britannique a statué que l’accord conclu avec le Rwanda pour relocaliser des personnes demandant l’asile au Royaume- Uni était illégal. Cette année encore, les droits à la liberté d’expression et d’association ont été restreints. Paul Rusesabagina a été libéré de prison en mars, à la faveur d’une grâce présidentielle. Des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire ont été déférés à la justice pour répondre d’actes de torture présumés. Plus de 100 personnes sont mortes dans des inondations et des glissements de terrain ; des habitant·e·s de zones à haut risque étaient susceptibles de devoir s’installer ailleurs sans bénéficier d’une indemnisation. Le procès de Félicien Kabuga, accusé d’avoir financièrement soutenu le génocide, a été suspendu sine die. Des auteurs présumés d’actes de génocide ont été arrêtés, extradés ou déclarés coupables par la justice rwandaise ou des juridictions exerçant la compétence universelle.
CONTEXTE
Dans son rapport de juin, le Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo de l’ONU a réaffirmé le rôle des Forces de défense rwandaises dans le conflit sévissant dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), notamment à travers des actions directes et un soutien au groupe armé Mouvement du 23 mars (M23) (voir RDC). Le Rwanda a rejeté ce rapport.
Deux membres des Forces de défense rwandaises dont les noms étaient cités dans le rapport des experts de l’ONU ont été sanctionnés par l’UE et les États-Unis, respectivement.
En septembre, les États-Unis ont déclaré le Rwanda complice de l’utilisation ou du recrutement d’enfants soldats, compte tenu de l’appui prêté par ce pays au M23.
Alors que les relations avec la RDC continuaient de se dégrader, les rapports avec le Burundi ont montré en début d’année des signes d’amélioration. La situation s’est toutefois tendue de nouveau en décembre lorsque le président burundais a accusé le Rwanda de soutenir un groupe armé (voir Burundi). Les élections législatives ont été reportées à 2024 de sorte qu’elles soient alignées sur le calendrier de l’élection présidentielle.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
En janvier, le président Paul Kagame a déclaré à propos des personnes réfugiées de RDC : « Nous ne pouvons pas continuer d’accueillir des réfugié·e·s si c’est pour plus tard se voir en plus réclamer des comptes à leur sujet, ou même se voir insulter. » Depuis fin 2022, 13 643 personnes ayant fui les combats dans l’est de la RDC s’étaient réfugiées au Rwanda.
Au Royaume-Uni, les actions en justice contestant l’accord qui permettrait de relocaliser au Rwanda des personnes demandant l’asile au Royaume-Uni (voir Royaume-Uni) se sont poursuivies. En juin, la Cour d’appel a statué que cet accord était illégal car le Rwanda n’était pas un lieu sûr pour les personnes en quête d’asile. Elle a estimé en effet que les défaillances de la procédure de demande d’asile au Rwanda faisaient courir le risque que des personnes soient renvoyées dans leur pays d’origine alors qu’elles pourraient y être soumises à des persécutions ou d’autres mauvais traitements. La ministre britannique de l’Intérieur a introduit un recours devant la Cour suprême, qui a statué en novembre et confirmé la décision de la Cour d’appel. Le Rwanda et le Royaume-Uni ont signé un nouveau traité en décembre, et un projet de loi relatif à la « sécurité du Rwanda » a été déposé au Parlement britannique.
LIBERTÉ D’EXPRESSION ET D’ASSOCIATION
John Williams Ntwali, un journaliste d’investigation qui travaillait sur des questions en rapport avec les droits humains, est mort en janvier dans des circonstances suspectes. La police a déclaré que cet homme était décédé le 18 janvier dans un accident de la route à Kigali, la capitale, et qu’elle avait arrêté le conducteur impliqué dans la collision. La veille de sa mort, John Williams Ntwali avait dit à un autre journaliste qu’il craignait pour sa sécurité. Bien que l’affaire ait suscité un vif intérêt, le procès du conducteur s’est tenu en l’absence d’observateurs·trices indépendants ; l’accusé a été déclaré coupable d’homicide involontaire et de coups et blessures non intentionnels. La décision écrite ne mentionnait aucune preuve visuelle recueillie auprès de la police routière qui s’était occupée de l’accident ; en outre, certains éléments importants – comme le lieu précis de l’accident – manquaient et les références à un rapport médical étaient vagues.
Développement et liberté pour tous (DALFA- Umurinzi) et la Plateforme rwandaise pour la démocratie (RPD), deux partis d’opposition, n’étaient toujours pas reconnus officiellement. Peu après avoir créé la RPD en 2021, le journaliste Christopher Kayumba a été accusé de viol, chef d’accusation dont il a été acquitté en février 2023. Le ministère public ayant interjeté appel, il a finalement été condamné en novembre à une peine de deux ans d’emprisonnement, dont un avec sursis.
DROIT À UN PROCÈS ÉQUITABLE
Déclaré coupable en 2021 de chefs d’accusation liés au terrorisme à l’issue d’un procès entaché de nombreuses violations du droit à un procès équitable, Paul Rusesabagina a été libéré de prison en mars à la suite de négociations entre les autorités rwandaises et le gouvernement des États- Unis. Il avait écrit en 2022 au président Paul Kagame pour solliciter une grâce et s’était engagé à ne plus s’intéresser à la politique rwandaise. En juillet, il a diffusé une vidéo décrivant les Rwandais·es comme étant « prisonniers à l’intérieur de leur propre pays ».
TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
Contrairement à ce qu’il s’était passé dans d’autres cas de plaintes pour torture et autres mauvais traitements, neuf fonctionnaires (anciens ou en poste) de la prison de Rubavu, dont l’ancien directeur, ont été arrêtés en août pour répondre d’accusations de torture sur des détenus. Ils étaient toujours en détention provisoire à la fin de l’année.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
Au moins 115 personnes ont trouvé la mort dans des inondations et des glissements de terrain survenus en mai dans l’ouest et le nord du pays. Prévoyant des précipitations plus abondantes que d’habitude en fin d’année, la ville de Kigali a de nouveau appelé 3 131 familles vivant dans des zones à haut risque à déménager avant la saison des pluies (qui s’étend généralement de septembre à novembre). En août, le maire de Kigali a indiqué qu’aucune aide ne serait apportée aux habitant·e·s – une politique qui, si elle était appliquée, violerait le droit au logement des hommes, des femmes et des enfants concernés. Néanmoins, les personnes jugées trop fragiles pour déménager pourraient être indemnisées.
En juin, les pouvoirs publics ont lancé la Stratégie révisée de croissance verte et de résilience climatique, qui doit aider le Rwanda à atteindre sa cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 38 % d’ici à 2030. Ses objectifs déclarés étaient notamment la sécurité énergétique et des approvisionnements bas carbone, l’utilisation durable des terres, la gestion durable des ressources en eau et la protection sociale pour réduire la vulnérabilité face aux effets du changement climatique.
La mise en œuvre de la Stratégie nécessiterait 2 milliards de dollars des États-Unis par an : 700 millions imputés sur le budget de l’État et le financement complémentaire provenant d’autres sources, dont des fonds pour le climat, le secteur privé et des partenaires de développement.
DROIT À LA VÉRITÉ, À LA JUSTICE ET À DES RÉPARATIONS
La chambre d’appel du Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des tribunaux pénaux (le « Mécanisme ») a ordonné en août que la procédure visant Félicien Kabuga, principal soutien financier présumé du génocide, âgé de 90 ans, soit suspendue sine die. La chambre de première instance avait conclu en juin qu’il était en trop mauvaise santé pour endurer un procès mais avait proposé une « procédure alternative visant à dégager des conclusions », suggestion rejetée en appel.
Fulgence Kayishema, soupçonné d’avoir participé au génocide, a été arrêté en Afrique du Sud en mai. Il était inculpé de 54 infractions au droit national sud-africain. Il a été de nouveau arrêté en août en application d’un nouveau mandat qui autoriserait son extradition vers la Tanzanie, où siégeait le Mécanisme.
Soupçonné lui aussi de participation au génocide, Théoneste Niyongira a été expulsé du Malawi vers le Rwanda en juin.
En février, la chambre de la Haute Cour du Rwanda spécialisée dans les crimes internationaux et transfrontaliers a condamné Jean Twagiramungu à 25 ans de réclusion pour génocide. Cet homme avait été extradé par l’Allemagne en 2017. La Cour d’appel du Rwanda a confirmé en mars la condamnation de Ladislas Ntaganzwa, déclaré coupable de génocide en 2020, à la réclusion à perpétuité.
En septembre, Sylvestre Gacumbitsi, reconnu coupable de génocide, est mort au Mali alors qu’il purgeait une peine de 30 ans de réclusion infligée par le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Aloys Simba, à qui le Mécanisme avait accordé une libération anticipée, est mort au Bénin en juillet.
Des progrès ont été enregistrés dans plusieurs affaires liées au génocide qui ont été examinées en Europe en vertu du principe de compétence universelle. En juin, la cour d’assises de Paris a déclaré l’ancien gendarme Philippe Hategekimana coupable de génocide et de crimes contre l’humanité et l’a condamné à la réclusion à perpétuité. Pierre Kayondo, ancien préfet de Kibuye, a été arrêté en France en septembre et inculpé de complicité de génocide et de crimes contre l’humanité. Pierre-Claver Karangwa a été arrêté aux Pays-Bas en octobre. La Cour suprême des Pays-Bas avait refusé en juin son extradition vers le Rwanda en raison d’inquiétudes quant à l’équité de son procès. En Belgique, Séraphin Twahirwa et Pierre Basabose ont été déclarés coupables de génocide et de crimes de guerre en décembre. Ce même mois, un tribunal de Paris a condamné Sosthène Munyemana à 24 ans de réclusion pour génocide.