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France : face aux violences policières dans les manifestations
Zineb Redouane, tuée par un tir de grenade lacrymogène
Zineb Redouane est morte le 2 décembre 2018, après avoir été touchée en plein visage par une grenade lacrymogène, tirée par un CRS. Quatre ans plus tard, l’enquête est au point mort. Dans le cadre de notre opération phare "10 jours pour signer", nous nous mobilisons pour que justice soit rendue. Récit.
Demandez aux autorités françaises que le tireur et sa hiérarchie rendent des comptes
Marseille-Alger, c’est entre les deux rives de la Méditerranée que Zineb Redouane, 80 ans, partageait sa vie. « Mama Zina », comme l’appelaient ses six enfants. Elle vivait seule et menait ses habitudes tranquilles d’octogénaire. Un jour, tout a basculé.
« Le policier m'a visée. Je l'ai vu… »
1er décembre 2018. Centre-ville de Marseille. Un immeuble rue des Feuillants, quatrième étage. Fin de journée. Zineb Redouane est dans son appartement. Elle prépare le dîner et discute en même temps au téléphone avec sa fille, Milfet. Sous sa fenêtre, une manifestation passe : un collectif local – le collectif du 5 novembre - manifeste contre l’habitat précaire à Marseille. Les Gilets jaunes se joignent au cortège. Les forces de l’ordre dispersent les manifestants à coup de gaz lacrymogènes. Des odeurs de gaz s’infiltrent dans l’appartement de Zineb Redouane. Elle décide de fermer la fenêtre et reste en communication avec sa fille. Elle remarque des policiers en bas de son chez elle. Soudain, l'un d'eux pointe un lance-grenades vers l'immeuble et tire : Zineb est touchée en plein visage. Milfet, sa fille, est toujours au bout du fil. Malgré le choc, Zineb dit à sa fille : « Le policier m'a visée. Je l'ai vu…»
Action commémorative à Marseille, du 2 au 3 décembre 2022.
« 10 jours pour signer »
Zineb fait partie des cas défendus dans le cadre de notre opération phare "10 jours pour signer". Du 2 au 12 décembre, nous vous proposons de vous mobiliser pour dix personnes victimes de la répression du droit de manifester et de la liberté d’expression dans le monde. Rejoignez-nous !
Grenade lacrymogène : la dérive
Entre le tireur et l’immeuble de Zineb Redouane en direction duquel il vise, à peine 30 mètres de distance. L’arme à l’origine du tir : un lance-grenade Cougar, conçu pour tirer jusqu'à 200m. La munition : une grenade lacrymogène MP7. Elle a été tirée en direction de la façade de l'immeuble de Zineb, et non en direction des manifestants, ce qui est strictement interdit. De plus, l’usage d’une arme de ce type est prévu pour évacuer un espace extérieur de 1000 m2. La grenade explose dans l'encadrement de la fenêtre de Zineb, à l'impact avec son visage. Une grande quantité de gaz se disperse dans l'appartement alors que le gaz lacrymogène ne doit jamais être utilisé dans des espaces clos.
Dossier : France, face aux violences policières dans les manifestations
Le gaz lacrymogène est présenté comme un moyen de disperser les personnes suspectées de « troubler l'ordre public ». Mais de trop nombreuses dérives existent. Il fait partie de l’arsenal des armes dites à « létalité réduite » (alternatives aux armes à feu) des forces de sécurité. On parle d’armes à létalité réduite et non pas d’armes non létales, car, bien qu’elles ne soient pas conçues pour tuer, elles peuvent tout de même avoir des conséquences mortelles. Les nombreux cas d’usage excessif des gaz lacrymogènes que nous avons déjà recensés l’ont prouvé.
Rappel des règles qui encadrent l’usage des gaz lacrymogènes par les forces de l’ordre.
1. Le gaz lacrymogène ne peut être employé que dans les situations de violence généralisée
Le gaz lacrymogène ne peut être utilisé dans tout type de situation : les forces de l’ordre peuvent l’utiliser dans le but de disperser une foule, dans le seul cas où elles n’ont pas d’autres moyens de contenir les troubles à l'ordre public. Or, dans la pratique, les forces de police utilisent le gaz lacrymogène d’une manière qui ne correspond absolument pas à l’usage prévu, souvent de manière excessive et sans distinction, le plus souvent à l'encontre de personnes exerçant simplement leur droit de manifester, utilisant également les grenades censées être tirées vers le ciel comme des projectiles d'impact, directement dirigées.
2. Le tir ne peut pas être direct
Les grenades et les projectiles lacrymogènes ne doivent jamais être tirés directement sur des personnes. Lorsqu’elles sont tirées, ces grenades deviennent de dangereux projectiles, et tout impact direct peut causer un traumatisme par pénétration ou la perte de la vue, particulièrement lorsqu’elles sont tirées à bout portant ou en direction de parties spécifiques du corps.
3. Le gaz lacrymogène ne peut pas être utilisé dans des espaces confinés
Il ne peut être utilisé que lorsque les gens ont la possibilité de se disperser et non quand ils se trouvent dans un espace confiné ou lorsque les rues et autres issues sont bloquées. Les gens doivent être avertis du recours imminent à ces moyens et être autorisés à se disperser.
4. Les grenades lacrymogènes contenant des substances irritantes ne doivent jamais être directement tirées sur une personne
Lorsque le gaz lacrymogène est utilisé, il convient d’éviter toute exposition répétée ou prolongée et de mettre en place immédiatement des procédures de décontamination.
5. Les policiers qui font un usage abusif de leur arme doivent rendre des comptes devant la justice
Amnesty International a vérifié près de 500 vidéos d’usage abusif de gaz lacrymogène dans 31 pays et territoires, dont plus de 100 cas sont présentés pour illustrer les différentes utilisations abusives de gaz lacrymogène. Découvrir notre enquête sur l’usage abusif du gaz lacrymogènes dans le monde.
Pourtant, rare sont les cas où les forces de l’ordre sont suspendues ou rendent des comptes devant la justice.
Zineb Redouane est gravement blessée au visage et inhale abondamment le gaz. 21h. Arrivée à l’hôpital. Zineb doit être opérée de toute urgence. De longues heures d'attente. Elle est finalement admise au bloc opératoire. Elle s’adresse à son amie, Imen, qui l’accompagne : « Quand je me réveille de l’opération, tu as intérêt d’être là, je veux savoir pourquoi ce policier m’a visée. » Zineb ne se réveillera pas. Elle décède à l’hôpital.
Mobilisez-vous pour que justice soit rendue à Zineb Redouane et sa famille
Un combat pour la justice
Depuis quatre ans, ses enfants se battent pour rendre justice à leur mère. En mars 2019, ses proches portent plainte contre le policier qui a tiré la grenade ayant entraîné la mort de leur mère. À une heure de grande écoute à la radio, Christophe Castaner, ministère de l’Intérieur de l’époque, défend les policiers : « Je ne voudrais pas que l'on pense que les forces de l'ordre ont tué Zineb Redouane. Parce que ce n'est pas vrai. Elle est morte du choc de l'opération. » Pour la famille, c’est un coup de massue. L’Etat nie la responsabilité des forces de l’ordre dans la mort de leur mère. Des rapports continuent de mettre les policiers hors de cause : un rapport d'expertise balistique du 20 mai 2020 identifie le policier mais indique que le tir « a été effectué selon les règles d'usage. »
Action commémorative à Marseille. Du 2 au 3 décembre, nous étions à Marseille à l’occasion du triste anniversaire de la mort de Zineb Redouane, aux côtés de Yassine Bouzrou, l'avocat d'une partie de la famille de Zineb Redouane. Ensemble, nous avons mené une action symbolique en extérieur, suivie du rassemblement commémoratif organisé par les groupes locaux au pied de l'immeuble de Zineb Redouane et d'une marche commémorative contre les violences policières... © Lara Levy
1. Quelle hypothèse défendez-vous dans la responsabilité du policier quant à la mort de Zineb Redouane ?
Je connais parfaitement le lieu sur La Canebière à Marseille. L’appartement de Madame Redouane est au 4ème étage, c’est un vieil immeuble, pas très haut en réalité. Au moment du tir, les policiers sont sur le trottoir d’en face. À mon avis, ils ont là une visibilité parfaite. Ils doivent donc voir à ce moment-là un individu avec un téléphone à la main. Je pense que les policiers ont dû imaginer que madame Redouane les filmait. Evidemment, je n’imagine pas un policier se dire « Voilà une dame âgée au 4ème étage, je vais la viser en pleine tête pour la tuer. » Ce n’est pas ce que je pense et ce n’est pas ce que je dis. Par contre, se dire qu’on va « intimider » en tirant en direction d’une personne qui filme, vu ce qu’il se passait à ce moment-là en bas de l’immeuble, c’est une hypothèse qui me paraît parfaitement plausible.
2. Comment analysez-vous les réactions du ministère de l’Intérieur de l’époque et du procureur de la République de Marseille suite à la mort de Zineb Redouane ?
Nous avons un ministère de l’Intérieur, Christophe Castaner à l’époque, qui rapidement prend position et qui indique qu’on ne peut pas accuser les policiers d’avoir tué Madame Redouane. Nous avons un procureur de la République, Xavier Tarabeux à Marseille qui indique que le décès résulte d’un choc opératoire à l’hôpital. Là, il fait exprès de ne pas savoir que ce qui a conduit Madame Redouane à l’hôpital c’est cette grenade qu’elle reçoit en pleine tête. Nous avons donc un procureur qui ment, il n’y a pas d’autres mots. Un procureur qui a menti pour faire croire qu’il y avait eu erreur médicale. Si Madame Redouane a été mise sur une table d’opération c’est parce qu’elle a reçu un projectile en pleine tête. Un tir tendu, avec une vitesse extrême qui lui explose quasiment au visage.
3. Pourquoi quatre ans après les faits l’enquête est toujours au point mort ?
En août 2019, l’enquête a été dépaysée à Lyon. Aujourd’hui, nous avons deux juges d’instruction à Lyon qui refusent d’instruire réellement ce dossier. Nous sommes face à un déni de justice. Le policier qui a tué une dame de 80 ans en visant un immeuble d’habitation n’a même pas été mis en examen ! Nous en sommes arrivés à un cas, que je n’avais encore jamais vu, où l’arme du crime n’est pas saisie car l’auteur du crime refuse de la donner. Nous ne voyons ça nulle part dans le monde ! Il faut dire les choses clairement : nous avons une justice qui refuse de respecter la loi et qui organise l’impunité du policier meurtrier.
Mes clients ont compris que nous n’étions pas face à une affaire judiciaire mais politique. Nous pourrions parler de scandale d’Etat : les plus hautes autorités de l’Etat ont pris position publiquement afin d’exercer une pression sur la justice en indiquant clairement que le policier en question n’a pas commis de faute et en refusant d’enquêter et d’instruire un dossier correctement.
4. En quoi une importante mobilisation permettra des avancées dans l’affaire Zineb Redouane ?
Il est important de mobiliser mais surtout, d’informer le public pour que le nom de Madame Redouane ne soit pas oublié. Et surtout, pour que le policier qui l’a tuée puisse rendre des comptes un jour devant la justice.
Les conclusions de l’expertise officielle sont aussi contredites formellement par une enquête de deux médias d’investigation, Disclose et l'agence Forensic Architecture, publiée en novembre 2020. En reconstituant les événements, ils prouvent que le tir de la grenade lacrymogène n'était ni régulier ni légal. Dernier rebondissement en date, octobre 2021 : l'AFP révèle que l'IGPN, la police des polices, préconisait le renvoi du CRS mis en cause dans l’affaire Redouane devant le conseil de discipline. Avis dont n’a pas tenu compte le directeur général de la police nationale. Nouvel obstacle pour l'accès à la justice. L'impunité de fait prévaut.
Quatre ans après la mort de « Mama Zina », personne n’a été inculpé, ni même suspendu pour cet homicide. Une partie de sa famille mène un combat pour la vérité et pour la justice. Tant que ses proches ne sauront pas qui a tué leur mère, leur amie, leur voisine et pourquoi, ils ne pourront pas faire leur deuil.
La situation de la famille de Zineb Redouane est emblématique des difficultés que rencontrent les victimes de violences policières pour accéder à la justice en France. Cette impunité de fait et le déni des autorités permettent la répétition des violences. Pour Zineb et toutes les victimes des violences policières, la justice doit être rendue.
Justice pour Zineb !
Quatre ans plus après la mort de Zineb Redouane, personne n’a été inculpé ni suspendu. Toutes les personnes impliquées dans cet homicide, y compris le policier soupçonné d’avoir tiré la grenade et ses supérieurs hiérarchiques, doivent être amenées à rendre des comptes.