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Arabie saoudite. Une femme condamnée à 11 ans de prison pour avoir exprimé en ligne son soutien aux droits des femmes

Les autorités saoudiennes doivent libérer immédiatement et sans condition Manahel al Otaibi, professeure de fitness et militante des droits des femmes âgée de 29 ans, qui a été condamnée à 11 ans de prison en raison de ses choix vestimentaires et de son soutien aux droits des femmes, ont déclaré Amnesty International et l’ALQST le 30 avril 2024. Cette décision ne concorde absolument pas avec les discours des autorités vantant les réformes et l’émancipation des femmes.

Manahel al Otaibi a été condamnée lors d’une audience secrète par le tristement célèbre tribunal antiterroriste, le Tribunal pénal spécial, le 9 janvier 2024. Toutefois, la décision n’a été révélée que des semaines plus tard, dans la réponse officielle du gouvernement saoudien à une demande d’information formulée dans une communication conjointe par les rapporteurs spéciaux de l’ONU sur cette affaire.

Les chefs d’accusation pesant sur Manahel al Otaibi ont uniquement trait à ses choix vestimentaires et à l’expression de ses opinions en ligne : elle a notamment réclamé sur les réseaux sociaux la fin du système de tutelle masculine en vigueur en Arabie saoudite, a publié des vidéos dans lesquelles elle porte des « vêtements indécents » et s’est rendue « dans les magasins sans porter l’abaya » (habit traditionnel). Sa sœur Fawzia al Otaibi est en butte à des accusations similaires ; elle a fui l’Arabie saoudite par crainte d’être arrêtée après avoir été convoquée pour interrogatoire en 2022.

Cependant, selon la mission permanente de l’Arabie saoudite auprès des Nations unies à Genève, Manahel al Otaibi a été déclarée coupable d’« infractions terroristes » absurdes, au titre des articles 43 et 44 de la loi antiterroriste draconienne du royaume, criminalisant « toute personne qui crée, lance ou utilise un site Internet ou un programme sur un ordinateur ou un appareil électronique […] ou publie des informations sur la fabrication d’engins incendiaires, d’explosifs, ou de tout autre engin utilisé dans des crimes terroristes », ainsi que « toute personne qui, par quelque moyen que ce soit, diffuse ou publie des informations, des déclarations, des rumeurs fausses ou malveillantes, ou tout message similaire en vue de commettre un crime terroriste ». La famille de Manahel al Otaibi n’a pas eu accès aux documents judiciaires de son dossier, ni aux preuves retenues contre elle.

La condamnation de Manahel al Otaibi à 11 ans de prison est une injustice révoltante et cruelle. Depuis le moment où elle a été arrêtée, elle a été soumise à une série implacable d’atteintes aux droits humains, allant de la détention illégale pour avoir défendu les droits des femmes à la disparition forcée pendant plus de cinq mois alors qu’elle était secrètement interrogée, jugée et condamnée, et soumise à des passages à tabac répétés par des personnes au sein de la prison

Bissan Fakih, chargée de campagne sur l’Arabie saoudite à Amnesty International

« La condamnation de Manahel al Otaibi à 11 ans de prison est une injustice révoltante et cruelle. Depuis le moment où elle a été arrêtée, elle a été soumise à une série implacable d’atteintes aux droits humains, allant de la détention illégale pour avoir défendu les droits des femmes à la disparition forcée pendant plus de cinq mois alors qu’elle était secrètement interrogée, jugée et condamnée, et soumise à des passages à tabac répétés par des personnes au sein de la prison. Avec cette condamnation, les autorités saoudiennes démontrent la vacuité des réformes en matière de droits des femmes qu’elles se targuent pourtant de mettre en œuvre ces dernières années et illustrent leur détermination à étouffer toute dissidence pacifique », a déclaré Bissan Fakih, chargée de campagne sur l’Arabie saoudite à Amnesty International.

« La confiance de Manahel dans le fait qu’elle pouvait agir en toute liberté aurait pu faire une publicité positive à la rhétorique tant vantée de Mohammed ben Salmane quant aux réformes entreprises dans le royaume en matière de droits des femmes. Or, les autorités saoudiennes ont préféré l’arrêter et lui infliger cette peine révoltante, mettant de nouveau en évidence le caractère arbitraire et contradictoire de leurs soi-disant réformes, ainsi que leur volonté inébranlable de contrôler les femmes en Arabie saoudite », a déclaré Lina Alhathloul, responsable du suivi et du plaidoyer à l’ALQST.

S’il est vrai que certaines restrictions imposées aux femmes par le système de tutelle masculine ont été supprimées, de nombreuses dispositions discriminatoires demeurent. La Loi relative au statut personnel de 2022, très attendue et qui devait être une réforme majeure, sert en fait à codifier plutôt qu’à abolir de nombreux aspects restrictifs du système, notamment en ce qui concerne le mariage, le divorce, la garde des enfants et l’héritage.

Paradoxalement, Manahel al Otaibi comptait parmi les premières à croire aux promesses de réforme du prince héritier Mohammed ben Salmane. Dans une interview télévisée accordée en 2019 au diffuseur allemand Deutsche Welle, elle racontait les « changements radicaux » en cours dans le royaume saoudien, y compris les réformes du code vestimentaire, et déclarait se sentir libre d’exprimer ses opinions et de porter ce qui lui plaisait, en se fondant sur les déclarations du prince héritier. Pourtant, elle a été arrêtée le 16 novembre 2022 précisément pour avoir exercé ces libertés.

Les autorités saoudiennes ont préféré l’arrêter et lui infliger cette peine révoltante, mettant de nouveau en évidence le caractère arbitraire et contradictoire de leurs soi-disant réformes, ainsi que leur volonté inébranlable de contrôler les femmes en Arabie saoudite

Lina Alhathloul, responsable du suivi et du plaidoyer à l’ALQST

À la suite de son arrestation, Manahel al Otaibi a subi des violences physiques et psychologiques à la prison de Malaz, à Riyadh, et a été victime d’une disparition forcée pendant cinq mois, du 5 novembre 2023 au mois d’avril 2024. Le 14 avril, lorsqu’elle a enfin pu reprendre contact avec sa famille, elle leur a dit qu’elle était détenue à l’isolement et avait une jambe cassée du fait de sévices physiques. Elle a ajouté que les soins médicaux lui avaient été refusés.

« Les autorités saoudiennes doivent libérer immédiatement et sans condition Manahel al Otaibi et toutes les personnes actuellement détenues dans le royaume pour avoir exercé pacifiquement leurs droits fondamentaux. En attendant sa libération, elles doivent garantir sa sécurité et lui permettre de bénéficier de soins de santé adéquats », a déclaré Lina Alhathloul.

« Il est temps que les autorités saoudiennes modifient les dispositions discriminatoires de la Loi relative au statut personnel de 2022 et abolissent le système de tutelle masculine dans son intégralité », a déclaré Bissan Fakih.

Selon la réponse du gouvernement saoudien aux Nations unies, au 25 janvier 2024, la condamnation de Manahel al Otaibi était susceptible d’appel et son cas restait « en cours d’examen devant les tribunaux ».

La condamnation de Manahel al Otaibi s’inscrit dans un contexte de durcissement de la répression de la liberté d’expression en Arabie saoudite, notamment en ligne. Depuis deux ans, les tribunaux saoudiens ont condamné des dizaines de personnes à de lourdes peines d’emprisonnement pour s’être exprimées sur les réseaux sociaux, dont de nombreuses femmes ; c’est le cas de Salma al Shehab (27 ans), Fatima al Shawarbi (30 ans), Sukaynah al Aithan (40 ans) et Nourah al Qahtani (45 ans).

En 2019, alors que le pays s’ouvrait au tourisme, un assouplissement des codes vestimentaires a été annoncé pour les femmes étrangères visitant l’Arabie saoudite. Toutefois, cette concession ne concerne pas les citoyennes ni les habitantes, qui sont confrontées à un flou juridique lorsqu’elles s’habillent librement en public. Plus tard en 2019, dans une vidéo promotionnelle publiée par l’agence de sécurité de l’État, les autorités ont classé le féminisme en tant que forme de pensée « extrémiste ». Elles ont rapidement dû faire marche arrière et la Commission saoudienne des droits humains s’est sentie obligée de préciser que le féminisme n’était « pas un crime ».

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