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France. La police doit cesser de recourir à une force excessive contre les manifestants et les lycéens

Plus de 1 400 personnes ont été blessées lors des manifestations des « gilets jaunes ».

Une force excessive a été utilisée contre des lycéens, des journalistes et des manifestants. 

« J'ai entendu un tir de flashball et j'ai vu un élève s'effondrer. Il avait la joue ouverte. »

Les autorités françaises doivent faire preuve de retenue dans le maintien de l'ordre des manifestations prévues samedi 15 décembre 2018, afin d'éviter que de nouvelles personnes soient blessées comme cela a été le cas à la suite de leur réponse très violente aux précédentes manifestations de « gilets jaunes » et aux mouvements de lycéens. 

Les forces de l'ordre ont utilisé des flashball (lanceurs de balles en caoutchouc), des grenades de désencerclement et des gaz lacrymogènes contre des manifestants majoritairement pacifiques, qui ne menaçaient pas l'ordre public. Amnesty International a recensé de nombreux cas de recours excessif à la force par des policiers.

« Une fois les nuages de gaz lacrymogène dissipés, il est clairement apparu que la police avait utilisé une force excessive contre des manifestants principalement pacifiques, contre des journalistes et même contre des mineurs », a déclaré Rym Khadhraoui, chercheuse d'Amnesty International pour l'Europe de l'Ouest.

« Il est vrai que le maintien de l'ordre pendant les manifestations est une tâche délicate et que certains manifestants ont commis des actes violents et illégaux, mais il n'en reste pas moins indispensable de respecter le droit français et le droit international relatif aux droits humains. Les policiers ont le devoir de maintenir l'ordre public et, ce faisant, ne peuvent recourir à la force que lorsque cela est strictement nécessaire. Lorsque le recours à la force est inévitable, ils doivent en user avec retenue. »

Selon les chiffres officiels, 1 407 manifestant·e·s ont été blessés – dont 46 grièvement – depuis le début des manifestations le 17 novembre 2018. Au total, 717 policiers, gendarmes et pompiers ont aussi souffert de violences. Or, si les autorités ont – de manière tout à fait légitime – condamné à maintes reprises les actes de violence commis par des manifestants, elles n'ont pas exprimé d'inquiétudes concernant le recours excessif à la force par des policiers, qui doit faire l'objet d'une enquête indépendante, impartiale et efficace.

Manifestant·e·s et journalistes visés par des flashball

Des récits de victimes et de témoins, ainsi que des vidéos examinées par Amnesty International, montrent que la police a fait un usage inapproprié des flashball, en tirant sur la foule. Elle a aussi lancé des grenades de désencerclement, qui ne devraient jamais être utilisées dans des opérations de maintien de l'ordre.

Selon les chiffres officiels, 225 personnes ont été blessées durant les manifestations du 8 décembre à Paris. Audrey, une secouriste qui se trouvait sur place, a indiqué à Amnesty International que 10 des 15 personnes soignées par son équipe avaient été blessées par des flashball, dont une à la tête.

Outre des manifestants, de nombreux journalistes ont été blessés, et certains ont affirmé avoir été délibérément visés. Une vidéo examinée par Amnesty International montre un journaliste portant un casque de presse touché dans le dos par une grenade de désencerclement alors qu'il s'éloignait du cordon de policiers.

Thierry Olivier, photojournaliste, a déclaré à Amnesty International que, selon lui, « les photographes étaient vraiment ciblés ». Un autre journaliste, qui a souhaité rester anonyme, a raconté que lui et ses collègues avaient été « visés à plusieurs reprises par des tirs de flashball de la part des forces de l’ordre ».

Thomas Morel-Fort, journaliste également, souffre de multiples fractures à la main après avoir été touché par un tir de flashball, alors qu'il portait un casque sur les deux côtés duquel figurait clairement la mention « presse ».

Gaz lacrymogènes, confiscation d'équipements de protection et arrestations préventives

Les forces de l'ordre semblent avoir adopté une tactique délibérée consistant à installer des barrages pour fouiller toutes les personnes qui se rendaient aux manifestations, afin de confisquer les équipements de protection des manifestants, des journalistes et même du personnel médical.

Denis Meyer, photographe, a raconté à Amnesty International que des policiers lui avaient confisqué son casque, ses lunettes de protection et son masque, et qu'il avait par la suite été blessé par une balle de flashball tirée à faible distance. « Je marchais, mon œil devant le viseur de mon appareil photo, j’ai reçu un tir de flashball à une distance d'une dizaine de mètres. »

Audrey, la secouriste, a indiqué à Amnesty International qu'elle s'était fait confisquer non seulement ses propres équipements de sécurité, mais aussi ceux qu'elle avait dans son sac pour les personnes blessées : « Ils m'ont confisqué mon casque de protection blanc avec une croix rouge, mes lunettes de protection transparentes, ainsi que les autres masques et lunettes que j'avais en plus. »

Elle ne saurait dire combien de victimes du gaz lacrymogène elle a soignées. « Le gaz lacrymogène a commencé vers 10 heures du matin et a été continu pendant quatre ou cinq heures. Des gens avaient du mal à se déplacer. Un homme a inhalé tellement de lacrymo qu’il s’est retrouvé à genoux avec des spasmes, il tremblait de partout. »

La police a aussi pris des mesures préventives, fouillant des gens qui ne présentaient pas forcément un risque de violence imminent. Non seulement ces personnes se sont fait confisquer leurs équipements de protection, mais en plus le simple fait qu'elles soient en possession de tels équipements a été utilisé comme prétexte pour les arrêter.

Le 8 décembre, près de 400 personnes qui se rendaient aux manifestations ont été arrêtées à Paris après avoir été fouillées à des barrages de police. Ces « arrestations préventives » ont été rendues possible par l'autorisation accordée aux policiers, sur réquisitions du procureur de la République, de mener des opérations de fouilles dans certaines zones. De nombreuses personnes trouvées en possession d'objets tels que des casques, de la peinture ou des masques ont été arrêtées pour « délit de participation à un groupement violent ».

Beaucoup ont été libérées dès le lendemain faute de preuves suffisantes. Selon les chiffres publiés par le ministère de l'Intérieur, au total, 1 082 personnes ont été arrêtées à Paris le 8 décembre, dont 100 mineur·e·s.

Recours excessif à la force contre des mineur·e·s

Parallèlement au mouvement des « gilets jaunes », un mouvement de lycéens a débuté le lundi 3 décembre, initialement pour protester contre la réforme du baccalauréat et la procédure d'admission à l'université. Dans la semaine qui a suivi, plus de 200 lycées à travers la France ont été bloqués par des élèves.

Mathieu Barraquier, enseignant à Garges-lès-Gonesse, dans la banlieue de Paris, a raconté avoir vu la tension monter d'un cran le 5 décembre devant le lycée Simone de Beauvoir, après qu'un arbre eut été incendié et que les policiers eurent commencé à revêtir leurs équipements antiémeutes. Certains jeunes ont commencé à lancer des pierres, ainsi qu’un petit projectile enflammé, en direction des forces de l'ordre, qui se trouvaient à environ 30 mètres. « Soudain, sans qu'il n'y ait eu d'éléments tangibles, j'ai entendu un tir de flashball et j'ai vu un élève s'effondrer. Je me suis approché de lui le plus rapidement possible, et quand il s'est retourné j'ai vu qu'il avait la joue ouverte, comme une grenade (le fruit). Il n’avait pas lancé de pierres, il était en train de parler tranquillement. » L'adolescent est resté deux jours à l'hôpital.

Le 6 décembre, des affrontements ont éclaté entre la police et des élèves du lycée Saint-Exupéry de Mantes-la-Jolie, en banlieue parisienne. Au total, 163 élèves, dont les plus jeunes n'avaient que 13 ans, ont été arrêtés. Une vidéo montrant des dizaines de lycéens contraints de s'agenouiller, les mains derrière la tête ou menottées dans le dos, est devenue virale.

Selon Mourad Battikh, avocat de plusieurs de ces jeunes, certains ont été maintenus jusqu'à quatre heures dans cette position. Le maintien des élèves dans une telle position pendant si longtemps, s'il est confirmé, s'apparente à un traitement cruel, inhumain ou dégradant, interdit en toutes circonstances par le droit international.

Une avocate de lycéens concernés a dit à Amnesty International que certains n'avaient pas eu à manger ni été examinés par un médecin avant d'être interrogés. Leurs interrogatoires par la police n'ont pas été enregistrés, alors que la loi française impose un enregistrement audiovisuel. En outre, des avocat·e·s n'ont pas été autorisés à assister aux interrogatoires.

Leila Volle, avocate de deux adolescents de 15 ans, a raconté à Amnesty International : « Quand je suis arrivée au commissariat, les officiers de police judiciaire m’ont dit qu’ils avaient déjà commencé l’audition de l’un des deux mineurs. Je leur ai dit : ”Ce n’est pas possible, il est mineur”, et j’ai demandé l’interruption de l’audition. Ils m’ont dit qu’ils comprenaient mais ont continué l’audition sans ma présence. »

Les deux garçons sont restés détenus pendant au moins six heures. Leila Volle a indiqué à Amnesty International qu'au commissariat de Versailles, où ses clients ont été emmenés, au moins huit mineurs avaient été interrogés en l'absence d'un avocat.

« Alors que des milliers de personnes s'apprêtent à descendre dans la rue samedi 15 décembre, les autorités doivent assurer la sécurité de toute personne et veiller à ce que le droit de manifester pacifiquement soit respecté. Elles doivent prendre des mesures légales et proportionnées pour protéger la vie et l'ordre public, en évitant de recourir à une force excessive », a déclaré Rym Khadhraoui.

« Le port d'équipements de protection contre les gaz lacrymogènes, les flashball ou les grenades de désencerclement ne saurait être assimilé à une intention de commettre des violences, et les personnes arrêtées uniquement pour ce motif doivent être libérées. » 

Pour obtenir plus d’informations ou organiser un entretien, veuillez prendre contact avec :  vtardivel@amnesty.fr, +33 (0) 1 53 38 65 41 / +33 (0) 6 76 94 37 05.

 

 

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