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Italie. Des expulsions illégales et des violences sont signalées alors que l’UE appelle à la fermeté avec les nouveaux arrivants
Les pressions de l’Union européenne (UE) visant à inciter l’Italie à durcir le ton contre les personnes réfugiées et migrantes ont débouché sur des expulsions illégales et des mauvais traitements susceptibles de constituer des actes de torture dans certains cas, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public jeudi 3 novembre.
Coups, décharges électriques et humiliations sexuelles font partie des nombreux abus présumés recensées dans le document intitulé Hotspot Italy: How EU’s flagship approach leads to violations of refugee and migrant rights. Ce rapport démontre que non seulement l’approche des « centres de crise » privilégiée par l’UE pour le traitement des cas de réfugiés et de migrants au point d’arrivée compromet leur droit à demander l’asile, mais qu’elle alimente en outre des violations choquantes.
« Déterminés à limiter l’afflux des réfugiés et des migrants vers d’autres États membres, les dirigeants de l’UE ont poussé les autorités italiennes à la limite - voire hors - de la légalité », a déclaré Matteo de Bellis, spécialiste de l’Italie à Amnesty International.
« Des personnes traumatisées, arrivant en Italie au terme de voyages éprouvants, font alors l’objet d’évaluations déficientes et dans certains cas de violations choquantes aux mains de la police, ainsi que d’expulsions illégales. »
Le but de la démarche des centres de crise est d’identifier les nouveaux arrivants et de recueillir leurs empreintes digitales dans les pays de l’UE se trouvant en première ligne, tels que l’Italie, et d’évaluer rapidement leurs besoins en termes de protection, puis de traiter leur demande d’asile ou de les renvoyer dans leur pays d’origine. Le rapport, s’appuyant sur des entretiens recueillis auprès de plus de 170 réfugiés et migrants, révèle de graves défaillances à chacune de ces étapes.
Dans le but manifeste de réduire les pressions pesant sur les États qui sont en première ligne, comme l’Italie, les centres de crise ont été associés à un programme de relocalisation des demandeurs et demandeuses d’asile dans d’autres États membres de l’UE. Le volet Solidarité de cette démarche s’est cependant avéré en grande partie inexistant : 1 200 personnes ont été relocalisées depuis l’Italie jusqu’à présent, sur les 40 000 promises, alors que plus de 150 000 personnes ont atteint l’Italie par la mer cette année. Si l’itinéraire maritime est périlleux, les autorités italiennes dirigent les opérations de sauvetage dans la Méditerranée.
Relevés d’empreintes forcés
Selon l’approche des centres de crise, introduite en 2015 sur la recommandation de la Commission européenne, l’Italie est tenue de relever les empreintes digitales de tous les nouveaux arrivants. Cependant, les personnes souhaitant demander l’asile dans d’autres pays européens - peut-être parce qu’elles y ont de la famille - ont tout intérêt à éviter de laisser les autorités italiennes prendre leurs empreintes digitales, afin d’échapper au risque d’être renvoyées en Italie en vertu du système dit de Dublin.
Sous la pression des gouvernements et des institutions de l’UE, l’Italie a introduit des pratiques coercitives pour obtenir des empreintes digitales. Amnesty International a reçu des informations concordantes faisant état de détentions arbitraires, d’actes d’intimidation et de recours excessif à la force, ayant pour but de forcer des hommes, des femmes et même des mineurs à accepter une prise d’empreintes digitales. Sur les 24 témoignages de mauvais traitements recueillis par Amnesty International, 16 mentionnent des coups. Une jeune femme de 25 ans venue d’Érythrée a déclaré qu’un policier l’a giflée de manière répétée jusqu’à ce qu’elle accepte qu’on lui prenne ses empreintes digitales.
Dans plusieurs cas, des réfugiés et des migrants ont affirmé qu’on leur avait infligé des décharges au moyen de matraques électriques. Un garçon de 16 ans originaire du Darfour a déclaré à Amnesty International : « Ils avaient une matraque électrique et j’ai reçu de nombreuses décharges sur la jambe gauche, puis sur la droite, sur le torse et le ventre. J’étais trop faible, je ne pouvais plus résister et à ce moment-là ils ont pris mes deux mains et les ont mises sur la machine. »
Un autre adolescent de 16 ans et un homme de 27 ans ont affirmé que des policiers les ont humiliés sexuellement et leur ont causé de fortes douleurs aux parties génitales. L’homme a dit à Amnesty International que des policiers de Catane l’ont frappé et lui ont infligé des décharges électriques avant de l’obliger à se déshabiller, et d’utiliser des pinces à trois branches sur lui : « J’étais assis sur une chaise en aluminium avec une ouverture dans l’assise. Ils m’ont tenu les épaules et les jambes, m’ont attrapé les testicules avec les pinces et ont tiré deux fois. La douleur était indescriptible. »
Si le comportement de la plupart des policiers reste professionnel et si la grande majorité des relevés d’empreintes se déroulent sans problème, les conclusions de ce rapport font état de graves problèmes et soulignent la nécessité d’une évaluation indépendante des pratiques actuelles.
Procédures de contrôle
Dans le cadre de l’approche des centres de crise, les nouveaux arrivants en Italie sont évalués, l’idée étant de distinguer les demandeurs et demandeuses d’asile de ceux qui sont considérés comme des migrants en situation irrégulière. Cela signifie que certaines personnes, souvent épuisées et traumatisées par leur périple et n’ayant pas accès à des informations ni à des conseils adéquats sur les procédures d’asile, doivent répondre à des questions pouvant avoir de profondes répercussions sur leur futur.
Une Nigériane de 29 ans a déclaré à Amnesty International : « Je ne sais même pas comment nous sommes arrivés ici, je pleurais [...] j’ai vu tellement de policiers, j’avais peur [...] Mon esprit était loin, je n’arrivais même pas à me souvenir du prénom de mes parents. »
Les policiers sont censés demander aux nouveaux arrivants d’expliquer pourquoi ils sont venus en Italie, plutôt que de leur demander simplement s’ils ont l’intention de demander l’asile. Étant donné que le statut de réfugié n’est pas déterminé par les raisons pour lesquelles une personne est entrée dans un pays mais par la situation à laquelle elle serait confrontée si elle retournait dans son pays d’origine, cette approche est fondamentalement déficiente.
Sur la foi de ce très bref entretien, des policiers n’ayant pas reçu de formation adaptée prennent une décision sur les besoins de protection de la personne concernée. Les personnes dont il est considéré qu’elles ne peuvent prétendre à l’asile se voient délivrer un avis d’expulsion - notamment par le biais d’un retour forcé vers leur pays d’origine - susceptible de les exposer à de graves violations des droits humains.
Expulsions
Sous la pression de l’UE, l’Italie cherche à augmenter le nombre de migrants qu’elle renvoie dans leur pays d’origine. Cela a notamment pris la forme d’une négociation des accords de réadmission avec des pays ayant commis des atrocités.
Un protocole d'accord a ainsi été signé entre les autorités policières italiennes et soudanaises en août, favorisant un processus d’identification sommaire qui, dans certaines circonstances, peut même se dérouler au Soudan après que l’expulsion a eu lieu. Même si l’identification se fait en Italie, elle est si superficielle, et tellement déléguée aux autorités soudanaises, qu’elle ne permet pas de déterminer de manière individualisée si une personne est exposée ou non à un danger réel de violation grave des droits fondamentaux à son retour. Cela a déjà mené à des cas d’expulsions illégales.
Le 24 août 2016, 40 personnes identifiées comme des ressortissants soudanais ont été envoyés en avion à Khartoum depuis l’Italie. Amnesty International a parlé à un jeune homme de 23 ans originaire du Darfour, qui était à bord de ce vol et a expliqué que les forces de sécurité l’attendaient à Khartoum : « Ils nous ont emmenés dans une zone spéciale de l’aéroport. J'ai vu un homme être frappé [...] Un par un, nous avons tous subi un interrogatoire [...] Maintenant, j’ai peur, car si les forces de sécurité me recherchent ou si elles me trouvent, je ne sais pas ce qui va m’arriver. »
« L’approche des points d’accès, conçue par Bruxelles et mise en œuvre en Italie, a accru, pas réduit, les pressions pesant sur les États en première ligne. Elle se solde par des atteintes aux droits de personnes extrêmement vulnérables, dans lesquelles les autorités italiennes ont une part de responsabilité directe et les dirigeants européen une responsabilité politique », a déclaré Matteo de Bellis.
« Il est possible que les nations européennes arrivent à expulser des personnes de leur territoire, mais elle ne peuvent se soustraire aux obligations qui sont les leurs en vertu du droit international. Les autorités italiennes doivent mettre fin aux violations et garantir que nul ne soit renvoyé dans un pays où cette personne court un risque de persécution ou de torture. »
Complément d’information
Amnesty International a effectué quatre missions de recherche en Italie en 2016, recueillant les propos de réfugiés et de migrants, et rencontrant autorités et organisations non gouvernementales à Rome, Palerme, Agrigente, Catane, Lampedusa, Tarente, Bari, Gênes, Vintimille et Côme. L’équipe de chercheurs a mené 174 entretiens avec des réfugiés et des migrants, et a eu des conversations plus courtes avec de nombreux autres.
À plusieurs reprises, Amnesty International a demandé des éclaircissements et demandé à discuter des questions abordées dans le rapport avec le ministre de l’Intérieur. L’organisation n’a reçu aucune réponse à ce jour.
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