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Libye. L’Agence de sûreté intérieure doit rendre des comptes pour les morts en détention, les disparitions forcées et les détentions arbitraires

L’impunité persistante pour les morts en détention et les violations graves des droits humains commises par des groupes armés opérant sous le commandement des Forces armées arabes libyennes autoproclamées (FAAL) a permis à l’Agence de sûreté intérieure (ISA) d’intensifier au cours des derniers mois sa répression contre les détracteurs et les opposant·e·s politiques, notamment les responsables politiques, les militant·e·s, les poètes et les blogueurs·euses, a déclaré Amnesty International le 10 septembre 2024.

Depuis janvier 2024, des membres de l’Agence de sûreté intérieure (ISA) lourdement armés ont arrêté sans mandat des dizaines de personnes, dont des femmes et des hommes âgés de 70 ans et plus, à leur domicile, dans les rues ou dans des lieux publics, dans des zones de l’est et du sud de la Libye contrôlées par les FAAL. Elles ont ensuite été transférées dans des centres gérés par l’ISA, où elles ont été maintenues en détention arbitraire pendant des mois sans pouvoir contacter leurs familles ni leurs avocats ; certaines ont été soumises à des disparitions forcées pendant des périodes allant jusqu’à 10 mois. Aucune d’entre elles n’a été traduite devant les autorités judiciaires civiles, autorisée à contester la légalité de sa détention ni formellement inculpée d’une quelconque infraction. Deux personnes sont mortes en détention dans des circonstances suspectes en avril et en juillet, dans des centres contrôlés par l’ISA à Benghazi et Ajdabiya. Aucune enquête indépendante et impartiale n’a été menée sur leur décès et personne n’a eu à rendre de comptes.

« La recrudescence des détentions arbitraires et des morts en détention ces derniers mois montre que la culture de l’impunité permet aux groupes armés de bafouer le droit à la vie des détenus sans craindre de conséquences. Ces morts en détention s’ajoutent à la longue liste des horreurs commises par l’ISA à l’encontre de ceux qui osent exprimer des opinions critiques à l’égard des FAAL, a déclaré Bassam Al Kantar, spécialiste de la Libye à Amnesty International.

« Le gouvernement d’union nationale (GUN) basé à Tripoli, ainsi que les FAAL, en tant qu’autorités de facto contrôlant l’est et le sud de la Libye, doivent garantir la libération immédiate de tous les prisonniers détenus arbitrairement pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression. Les FAAL doivent aussi suspendre de leurs fonctions les commandants et les membres de l’ISA raisonnablement soupçonnés de crimes relevant du droit international et de graves violations des droits humains, dans l’attente d’enquêtes pénales indépendantes et impartiales, notamment sur les causes et les circonstances des morts en détention et, s’il existe des preuves suffisantes, engager des poursuites équitables devant des tribunaux civils. »

Amnesty International a interrogé un ancien détenu, les familles de sept détenus, dont celles des deux hommes morts en détention, ainsi que des avocat·e·s, des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s politiques.

« Notre fils nous a été rendu à l’état de cadavre »

Le 13 juillet 2024, Ahmed Abdel Moneim Al Zawi, 44 ans, est décédé alors qu’il était détenu dans un centre de l’Agence de sûreté intérieure (ISA) à Ajdabiya, dans le nord-est de la Libye. Il a été arrêté arbitrairement le 10 juillet alors qu’il se rendait au centre pour voir son frère Abdrabo Abdel Moneim Al Zawi, qui avait été arrêté en raison de ses critiques à l’égard de l’ISA. Selon des sources bien informées, l’ISA a assuré qu’Ahmed Abdel Moneim al Zawi s’était pendu, mais des témoins ont rapporté avoir vu une ecchymose à l’arrière de sa tête qui correspondait à un coup asséné fortement.

Cheikh Al Sanussi Al Haliq Al Zawi, vice-président du Conseil suprême des notables et des tribus de Libye et chef de la tribu de la victime, est apparu le 16 juillet dans une vidéo, pleurant la mort de son fils : « Notre fils (Ahmed) est entré sur ses deux jambes et nous a été rendu à l’état de cadavre. » Moins de 24 heures plus tard, dans une autre vidéo, il faisait l’éloge de l’ISA et notait qu’une commission avait été mise sur pied pour enquêter sur la mort d’Ahmed Abdel Moneim Al Zawi. Amnesty International pense que Cheikh Al Sanussi Al Haliq Al Zawi a subi des pressions pour disculper publiquement l’Agence de sûreté intérieure, ce qui correspond à une pratique déjà observée, l’Agence menaçant les victimes et les familles des victimes qui osent dénoncer ses agissements.

La recrudescence des détentions arbitraires et des morts en détention ces derniers mois montre que la culture de l’impunité permet aux groupes armés de bafouer le droit à la vie des détenus sans craindre de conséquences

Bassam Al Kantar, Amnesty International

Selon des sources bien informées, un procureur de Benghazi a classé l’affaire en l’absence de toute investigation, tandis que le rapport médicolégal ne fait aucune mention de blessures à la tête.

Siraj Dughman, analyste politique libyen, est également mort alors qu’il était détenu aux mains de l’Agence de sûreté intérieure (ISA), le 19 avril 2024. Les FAAL n’ont jamais répondu aux appels des membres de la communauté internationale et de la société civile libyenne en faveur d’une enquête sur les circonstances de sa mort. Le 20 avril, l’ISA a déclaré que Siraj Dughman avait chuté au cours d’une tentative d’évasion. Sa famille n’a pas été autorisée à voir le corps et n’a pas pu consulter le rapport d’autopsie. Amnesty International a appris que son certificat de décès mentionnait « une chute d’un endroit élevé » comme cause de la mort.

Arrestations arbitraires pour de fausses accusations

Le 1er octobre 2023, l’Agence de sûreté intérieure (ISA) a arrêté Siraj Dughman ainsi que Fathi al Baaja, secrétaire général du Parti de la Libye pour tous et ancien membre du Conseil national de transition de 2011, et un autre militant politique, les accusant de projeter de renverser les Forces armées arabes libyennes (FAAL). Ces arrestations ont eu lieu après la réunion interne organisée par le Centre libyen d’études stratégiques et futures, que dirigeait Siraj Dughman, pour discuter de l’effondrement meurtrier du barrage de Derna.

Plus tard en octobre, l’ISA a interpellé deux autres militants politiques, les accusant d’appartenir au même groupe que Siraj Dughman et de préparer le renversement des FAAL. Les quatre militants qui ont survécu ont été libérés le 25 août, après plus de 10 mois de détention arbitraire sans inculpation ni jugement.

Détenue arbitrairement, la militante et blogueuse Maryam Mansour Al Warfalli, aussi connue sous le nom de « Nakhla Fezzan », a été arrêtée le 13 janvier 2024 par l’ISA à Sebha, peu après avoir critiqué la gestion par les FAAL de la distribution de gaz de cuisine dans le sud de la Libye. Maryam Mansour Al Warfalli critique haut et fort depuis des années la mauvaise gestion des autorités dans le sud de la Libye.

Selon un proche, depuis sa détention au siège de l’ISA à Benghazi, Maryam Mansour Al Warfalli s’est vu refuser toute visite de sa famille. Elle a été vue par un psychiatre, qui a demandé son admission à l’hôpital de Benghazi le 2 mai, mais elle n’y est restée que quelques jours avant d’être renvoyée en prison.

Le 19 avril à Sebha, des agents de l’ISA ont arrêté arbitrairement Cheikh Ali Msbah Abusbeha, 77 ans, chef du Conseil suprême des tribus et des villes du Fezzan et personnalité politique critique à l’égard des FAAL. Il n’a pas pu communiquer avec sa famille et ses avocats. Il a déclaré qu’il a toujours besoin de soins médicaux depuis sa libération le 20 juin et qu’il a fui son domicile trois jours après sa libération à cause des menaces proférées par les FAAL.

Les groupes armés alliés aux FAAL soumettent le cheikh soufi Muftah Al Amin Al Biju, âgé de 78 ans, à une disparition forcée depuis le 4 février, lorsqu’une vingtaine d’hommes armés l’ont arrêté à son domicile à Benghazi. Selon un membre de sa famille, il a été pris pour cible parce qu’il a exercé son droit à la liberté de religion et de croyance, car l’ISA s’en prend aux soufis n’adhérant pas à l’idéologie salafiste madkhaliste. Cette personne a appris de sources non officielles que la santé de Muftah Al Amin Al Biju dans la prison de Qarnada, dont une aile est contrôlée par l’ISA, se détériore, car il est diabétique et, après avoir survécu à un cancer, a un système immunitaire fragile. Ses proches n’ont pas pu lui rendre visite ni obtenir par les groupes armés affiliés aux FAAL la confirmation de son lieu de détention.

Complément d’information

L’Agence de sûreté intérieure (ISA), groupe armé qui opère sous l’autorité de facto des FAAL, est dirigée par Ousama Al Dressi. Ses membres se livrent à de terribles atteintes aux droits humains en vue de réduire au silence les détracteurs et les opposants. Le budget de 179 milliards de dinars libyens (34 milliards d’euros) approuvé par le Parlement libyen en juillet 2024 pour le « Gouvernement libyen » basé à l’est, allié aux FAAL, alloue des fonds à des groupes armés ayant des antécédents de violations, dont l’ISA. Les FAAL contrôlent et exercent des fonctions similaires à celles d’un gouvernement à Benghazi, la deuxième plus grande ville du pays, et dans de vastes régions de l’est et du sud de la Libye. Là où des autorités de facto, telles que les FAAL, contrôlent le territoire et exercent des fonctions gouvernementales, elles sont également tenues de respecter le droit international relatif aux droits humains.

Une entité distincte, également appelée ISA, dirigée par Lotfi al Harari et théoriquement sous l’autorité du Gouvernement d’unité nationale basé à Tripoli, mène des opérations dans l’ouest de la Libye.

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