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République centrafricaine. Alors que de nombreuses personnes « ont soif de procès », certains chefs de guerre sont toujours en liberté

  • Un nouveau rapport d’Amnesty fait le point sur les derniers événements relatifs à la lutte contre l’impunité

  • Deux ans après son inauguration, la Cour pénale spéciale doit faire preuve de plus de transparence dans ses activités judiciaires

  • Le système judiciaire doit redoubler d’efforts pour poursuivre, dans le cadre de procès équitables, ceux qui ont tué, violé et enlevé des civils

Malgré quelques enquêtes et procès ces dernières années, de nombreux auteurs des terrifiantes violations et atteintes aux droits humains perpétrées en République centrafricaine (RCA) n’ont toujours pas été déférés à la justice deux ans après l’inauguration de la Cour pénale spéciale du pays (CPS), a déclaré Amnesty International le 22 octobre.

Plusieurs groupes armés et individus jouissent de l’impunité pour les crimes de droit international, notamment des meurtres et des violences sexuelles, commis au cours des décennies de conflit en RCA.

Dans un nouveau rapport intitulé République centrafricaine. « Au procès, ces chefs de guerre ont baissé la tête ». La difficile quête de justice, Amnesty International montre que le travail de la CPS a été entravé par des insuffisances concernant l'opérationnalisation de la Cour et un manque de transparence, et que le système judiciaire de la RCA n’a pas la capacité de faire face à l’ampleur de ces violations. Il attire également l’attention sur les efforts qui doivent encore être fournis pour garantir l’équité des procès devant les tribunaux ordinaires et devant la CPS.

« Ce sont les civils qui ont été les principales victimes des vagues de violence et conflits armés qui se sont succédé depuis 2002 en RCA. Des milliers d’entre eux ont été tués, violés, et plus d’un demi-million de personnes sont toujours déplacées. L’impunité est un affront aux victimes et un blanc-seing accordé aux criminels. L’inauguration de la CPS a représenté une lueur d’espoir pour les victimes, mais les progrès sont lents. Dix affaires sont en cours d’instruction, et la CPS a refusé de divulguer l’identité des 21 personnes arrêtées à l’issue des investigations qu’elle a menées, sans expliquer ce qui motive ce refus », a expliqué Samira Daoud, directrice pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnesty International.

« Le système judiciaire de la RCA manque cruellement de ressources. Alors que des groupes armés, y compris des ex-Séléka et des anti-Balaka, continuent d’attaquer régulièrement des civils, il est évident que des mesures supplémentaires sont nécessaires pour mettre fin au cycle de l’impunité qui continue de causer tant de souffrances. »

La CPS est un tribunal hybride qui bénéficie du soutien de l’ONU et qui a pour mission d’enquêter et de mener des poursuites judiciaires, sur une période de cinq ans renouvelable, sur les crimes de droit international et les autres graves violations des droits humains perpétrés en RCA depuis janvier 2003. Elle a été instaurée par une loi en juin 2015 et inaugurée le 22 octobre 2018. Son mandat est complémentaire de celui de la CPI et de ceux des tribunaux ordinaires de la RCA.

Manque de transparence et identité inconnue des suspects à la CPS

Les chercheurs d’Amnesty International ont mené à distance des entretiens avec des juges, des procureurs, des avocats et des militant·e·s, et examiné plus de 100 documents juridiques.
Le bureau du Procureur spécial de la CPS a reçu au moins 122 plaintes, et dix affaires sont en cours d’instruction. Mais l’on sait peu de choses au sujet des événements et crimes concernés et de l’avancée de ces affaires. La procédure manque de transparence et le public n’a pas été informé de l’identité des suspects placés en détention provisoire.

Au moins 21 personnes ont été arrêtées dans le cadre de ces enquêtes et se trouvent actuellement en détention provisoire. Trois des personnes incarcérées ont été arrêtées à la suite d’homicides commis à Paoua (Nord-Ouest) en mai 2019. Neuf personnes ont été arrêtées le 19 mai 2020 pour des homicides commis à Ndele (Nord-Est) en 2019 et 2020, et neuf autres ont été arrêtées le 25 mai 2020 pour des attaques contre des civils commises à Bambouti, Obo et Zemio (Sud-Est) en 2020.

Les enquêtes ont débuté en 2019 et les procès devraient s’ouvrir en 2021, mais l’opérationnalisation de la CPS se heurte à de graves obstacles qui l’empêchent de fonctionner correctement. Figurent au nombre de ces difficultés le recrutement de juges internationaux et le retard qui a été pris dans la mise en place du système de représentation légale de la Cour.
Amnesty International a parlé avec des membres du personnel de la CPS et du personnel des Nations unies qui apportent leur soutien à la CPS, qui ont confirmé qu’il est difficile de recevoir des candidatures satisfaisantes pour les postes de juges internationaux en raison de la situation sécuritaire et politique en RCA, et de la nécessité d’avoir des francophones ayant de l’expérience dans le système romano-germanique.

Par exemple, le mandat d’une juge nommée à la chambre d’instruction de la CPS a expiré, mais elle n’a toujours pas été remplacée. Il ne reste donc plus à la chambre d’instruction qu’une seule juge internationale, qui doit s’impliquer sur toutes les affaires en cours. En conséquence, les affaires examinées par cette chambre subissent des retards.

« Nous saluons les mesures prises par les autorités pour combattre l’impunité à travers la mise en place de la CPS, mais le fait est que de nombreuses victimes attendent toujours que justice soit rendue pour des crimes qui ont été commis il y a presque 20 ans. Justice doit être rendue, et perçue comme rendue », a déclaré Samira Daoud.

« Nous demandons aux États membres des Nations unies d’envisager de faire des contributions financières à la CPS, afin qu’elle puisse remplir son mandat et rendre enfin justice, et nous appelons les États francophones à soumettre d’urgence des candidatures pour détacher des juges à la Cour. »

Reprise des sessions criminelles

Après une interruption de plusieurs années, les tribunaux ordinaires de la RCA ont repris en 2015 les sessions criminelles. Cela a représenté une avancée positive, mais le système judiciaire doit faire face à de nombreuses difficultés, notamment en raison du manque de personnel, d’infrastructures et de matériel. Sur les 24 tribunaux prévus par la loi, 16 seulement étaient opérationnels au moment où nous rédigions le rapport.

Le nombre de sessions criminelles organisées chaque année demeure également inférieur au minimum requis par la loi, et le nombre d’affaires qui passent en jugement est insuffisant au regard du nombre de crimes perpétrés depuis 2002. En 2019, 20 procès en assises ont eu lieu dans l’ensemble du pays.

De plus, la police et les autorités judiciaires de la RCA manquent d’indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif, et le conflit en cours ainsi que l’insécurité représentent des défis supplémentaires.

Une personne travaillant pour une organisation d’assistance juridique a dit à Amnesty International qu’en raison de la présence des groupes armés, certains juges ne peuvent pas se déplacer en toute sécurité dans leur propre juridiction.

Il est difficile de donner le nombre exact de poursuites pénales liées au conflit engagées devant les tribunaux en RCA et de savoir si ces procès étaient des procès équitables.

La grande majorité des poursuites qui ont été engagées contre des membres des anti-Balaka ou des ex-Séléka depuis 2015 concernent à notre connaissance des subalternes et des crimes contre l’État, plutôt que des crimes et violations des droits humains contre les civils.

Amnesty International a connaissance de deux cas où d’anciens membres des anti-Balaka ont été jugés par la cour criminelle de Bangui pour des crimes commis contre des civils.

Le 22 janvier 2018, un tribunal a déclaré le chef anti-balaka Général Andjilo coupable d’assassinat, d’association de malfaiteurs, de détention illégale d’armes de guerre, de vol à mains armées et de séquestration.

En février 2020, le tribunal a émis son premier jugement pour crimes de droit international en ce qui concerne une attaque menée le 13 mai 2017 par un groupe anti-Balaka à Bangassou (Sud-Est). Lors de cette attaque, 72 personnes ont été tuées, notamment des civils et 10 soldats de la paix de l'ONU, et des milliers d’autres ont été contraintes de fuir la ville.

Cinq ex-leaders de groupes anti-Balaka – Kevin Bere Bere, Romaric Mandago, Crepin Wakanam alias Pino Pino, Patrick Gbiako et Yembeline Mbenguia Alpha – ont été déclarés coupables de plusieurs chefs de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Les audiences de ce procès ont été retransmises intégralement à la radio et à la télévision.

Un ancien juge a déclaré à Amnesty International :
« … [D]es chefs de groupes armés qui étaient très puissants […] sont redevenus tout petits ! Les victimes durant l’audience ont pu s’adresser directement aux accusés, et les chefs de guerre ont baissé la tête [...] ! On a senti que la justice est en train de se faire. Ce sont vraiment des moments forts, appréciés par la population. »

En juillet 2020, des juges militaires ont été nommés pour la première fois depuis l’adoption du Code de justice militaire de 2017, ce qui a ouvert la voie à de futures poursuites devant des tribunaux militaires.

Amnesty International demande aux autorités centrafricaines de modifier la législation afin que le domaine de compétence des tribunaux militaires soit limité aux infractions strictement militaires commises par le personnel militaire. La loi doit explicitement exclure les crimes commis contre des civils du champ de compétence des tribunaux militaires, conformément aux normes internationales.

« La plupart des personnes suspectées d’être responsables de crimes perpétrés depuis 2012 dans les deux camps, ex-Séléka et anti-Balaka, demeurent en liberté dans le pays, et certaines d’entre elles continuent de commettre des violations », a déclaré Samira Daoud.

« Les droits des victimes à la vérité, à la justice et à des réparations dans un délai raisonnable ne doivent pas être sacrifiés au nom de calculs politiques, qui se sont souvent révélés contre-productifs. Le combat contre l’impunité doit donc rester la première des priorités. La justice qui vise les petits et qui ne respecte pas les règles de procédure n’est pas la vraie justice. »

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