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Érythrée : plus d’excuse pour maintenir le service national à durée indéterminée
Le récent accord de paix conclu avec l’Éthiopie permet aux autorités de l’Érythrée de mettre fin au service national à durée indéterminée, pratique très critiquée qui anéantit les rêves des jeunes du pays et crée une génération de réfugiés érythréens.
Le gouvernement érythréen a instauré le service national obligatoire en 1995. Selon la loi, toute personne arrivant à sa dernière année de scolarité effectue 18 mois de service national, dont six mois d’entraînement militaire. Lorsque les relations se sont dégradées avec l’Éthiopie voisine à la suite du violent conflit frontalier qui a opposé les deux pays de 1998 à 2000, le service national a été prolongé indéfiniment.
Le service national à durée indéterminée a déchiré de nombreuses familles et détruit le tissu social du pays. Il arrive souvent que plusieurs membres d’une famille soient appelés sous les drapeaux en même temps et envoyés dans différentes régions du pays. Des jeunes filles sont mariées précocement pour éviter la conscription et de nombreux enfants grandissent sans leurs deux parents.
Binyam, 18 ans, a raconté à Amnesty International que son père avait été enrôlé avant sa naissance. Sa famille a la « chance » de le voir une fois tous les six mois. Certains appelés passent plusieurs années sans voir leurs proches parce qu’on ne leur accorde pas de permission annuelle.
« Je ne veux pas avoir des enfants qui me voient seulement tous les six mois ; je veux voir mes enfants tous les jours », nous a dit Binyam en 2015. Depuis, rien n’a changé dans le service national à durée indéterminée de l’Érythrée.
Mariam, également âgée de 18 ans, nous a parlé du lourd tribut payé au service national par sa famille. Son père et son frère aîné avaient été appelés sous les drapeaux, et quand son tour est arrivé, elle a fui car elle ne supportait pas l’idée d’être enrôlée.
Au cours de leur dernière année de lycée, les élèves fréquentent le tristement célèbre camp militaire de Sawa, où la qualité de l’eau et de la nourriture est exécrable et les températures extrêmes. De sévères punitions sont infligées pour des infractions mineures.
Les jeunes en viennent à considérer le système éducatif comme un piège qui les jette dans les griffes du service national. Certains abandonnent leur scolarité pour échapper à la conscription, mais ce choix les prive de toute perspective d’avenir car, sans certificat les dégageant de leurs obligations militaires, ils ne peuvent pas accéder aux rations alimentaires ni monter une entreprise, acquérir une ligne de téléphone portable, passer le permis de conduire ou ouvrir un compte bancaire. De plus, l’armée procède à des perquisitions systématiques de maison en maison pour arrêter les personnes soupçonnées d’essayer de se dérober au service national.
Non seulement la durée du service national est indéterminée, mais la solde versée est en plus dérisoire – elle ne suffit pas pour vivre dans la dignité et jouir des droits à l’alimentation, à l’hébergement et aux soins de santé.
Filmon, 29 ans, a fui l’Érythrée un mois après avoir déserté du service militaire. Il était conscrit depuis sept ans avant sa désertion en septembre 2017. Comme beaucoup d’Érythréens que nous avons interrogés, Filmon a déploré le manque de liberté et l’absence de perspectives d’emploi rémunérateur dans son pays.
« Mon salaire était de seulement 1 500 nakfas (environ 100 dollars américains), ce qui était supérieur à ce que gagnent les personnes désignées pour le service militaire, parce que j’avais un emploi civil. Je vivais avec ma mère qui n’avait pas de revenu. Il m’était impossible de subvenir à ses besoins et aux miens avec mon revenu », a-t-il expliqué.
Par conséquent, de nombreux jeunes Érythréens ne semblent avoir que deux options dans la vie : effectuer le service national obligatoire à durée indéterminée dans des conditions similaires à du travail forcé, ou quitter le pays, en risquant leur vie pour tenter de trouver une vie meilleure à l’étranger.
D’anciens appelés que nous avons interrogés ont comparé le service national à de l’esclavage moderne, en affirmant avoir subi des actes de torture et d’autres mauvais traitements, des arrestations arbitraires et un manque d’installations sanitaires et d’hygiène de base.
En juin 2016, une commission d’enquête des Nations unies a conclu : « Des crimes contre l’humanité ont été commis de manière systématique dans les camps d’entraînement militaire érythréens et d’autres lieux. »
Outre leur service militaire, les recrues travaillaient également dans des fermes, des mines ou des chantiers pour moins de 60 dollars américains par mois. Ce système de conscription obligatoire pour une durée indéterminée s’apparente à du travail forcé et constitue une violation des droits humains au regard du droit international.
Il n’est donc pas étonnant que des milliers d’Érythréens fuient le pays chaque année pour entreprendre un dangereux périple à destination de l’Europe, au risque d’être enlevés par des trafiquants d’êtres humains, emprisonnés par des gouvernements hostiles ou noyés dans la mer Méditerranée.
Le conflit frontalier entre l’Éthiopie et l’Érythrée sert de prétexte pour justifier la conscription obligatoire et les multiples violations des droits humains en Érythrée. Maintenant qu’il est sorti de cette impasse, le gouvernement de l’Érythrée doit mettre fin au service national obligatoire à durée indéterminée et permettre l’exercice des droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique, de mouvement et à l’équité des procès.
Les autorités doivent désormais proposer de toute urgence un plan précis et délimité dans le temps pour démobiliser les personnes piégées dans un service national qui ne finit jamais, tout en veillant à ce que les nouveaux appelés ne soient pas forcés à effectuer leur service national. Par ailleurs, le gouvernement doit adopter des dispositions pour permettre l’objection de conscience au service militaire.
Le moment est venu de mettre fin à la conscription obligatoire en Érythrée.
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