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Ukraine : la France doit modifier sa législation pour pouvoir juger efficacement les auteurs des crimes internationaux
Alors que la France affiche depuis plusieurs mois son volontarisme pour permettre la collecte et la préservation des preuves de crimes de guerre en Ukraine, sa propre capacité à mettre en action des enquêtes et des poursuites sur son sol reste limitée. En effet, la législation française restreint le mécanisme de compétence universelle permettant de poursuivre les auteurs des crimes internationaux. Nous demandons aux autorités françaises de supprimer sans attendre les quatre verrous qui en restreignent l’usage.
« Depuis quatre mois, des équipes internationales et ukrainiennes collectent les preuves de potentiels crimes de guerre commis en Ukraine, dans l’espoir que leurs auteurs puissent un jour être jugés. S’apercevoir que la France, qui a envoyé policiers et gendarmes collecter des preuves en Ukraine, pourrait devenir une terre de refuge pour les criminels de guerre en raison d’une frilosité excessive de ses textes pour poursuivre en France les auteurs de crimes internationaux, est incompréhensible et stupéfiant » a déclaré Oksana Pokalchuk, directrice générale d'Amnesty International Ukraine, lors de sa venue aujourd’hui à Paris.
Depuis le début de l’invasion russe, le pôle spécialisé pour enquêter et poursuivre les crimes internationaux au sein du Parquet national anti-terroriste français a annoncé avoir ouvert plusieurs enquêtes pour des faits commis au préjudice de ressortissants français en Ukraine. Ces enquêtes sont fondamentales et participent à la responsabilité partagée de lutter contre l'impunité pour ces crimes. Néanmoins, faute de révision de la législation française, il est impossible d’envisager des enquêtes plus larges, sans considération de nationalité, du fait des quatre verrous de la législation française.
La paralysie provoquée par ces quatre verrous s’est récemment incarnée de manière flagrante à travers l’arrêt dit "Chaban", rendu le 24 novembre 2021. La Cour de cassation a consacré une interprétation stricte d’un des principaux verrous, celui de la double incrimination, et conclu à l’incompétence de la France pour poursuivre un Syrien poursuivi pour « crimes contre l’humanité », au motif que ce crime n’existait pas en droit syrien. Par cet arrêt, la plus haute juridiction en France mettait en péril près de la moitié des poursuites de criminels de guerre en France.
« Quelques mois avant le début du conflit ukrainien, la Cour de cassation a offert une protection sidérante aux ressortissants des pays dans lesquels l’impunité règne, ceux-là même qui ne reconnaissent ni la Cour pénale internationale ni les crimes les plus graves dans leur législation » confirme Jeanne Sulzer, avocate et responsable de la commission Justice à Amnesty International France.
L’arrêt Chaban est l’illustration que la législation française sur la compétence universelle a été détournée de son but originel, puisqu’elle conduit à protéger et garantir l’impunité des auteurs de crimes contre l’humanité, notamment ceux actuellement commis en Ukraine .
Jeanne Sulzer, avocate et responsable de la commission Justice à Amnesty International France.
Les quatre verrous français sont en contradiction avec les obligations internationales de la France qui imposent aux États d’engager des enquêtes et des poursuites contre les crimes internationaux considérés comme les plus graves (tortures, disparitions forcées, crimes de guerre, crime contre l’humanité, génocides). La CPI est une juridiction de dernier recours.
« Alors que le monde entier a aujourd’hui les yeux rivés sur l’Ukraine, l’expérience syrienne en matière de lutte contre l’impunité est riche d’enseignements » note Mazen Darwish, du Syrian Center for Media and Human Rights (SCM), qui était début juin à Kiev, lors de la présentation du rapport d’Amnesty International sur les crimes commis dans l’Oblast de Kiev. « Dix ans après le début du conflit en Syrie, des criminels de guerre syriens ont ainsi pu être jugés dans plusieurs pays d’Europe, grâce aux efforts des victimes du régime syrien. Dans d’autres pays, dont la France, les moyens matériels et légaux doivent être renforcés pour pouvoir juger les auteurs des crimes les plus graves ».
Depuis la loi du 9 août 2010, Amnesty International et les organisations membres de la Coalition française pour la CPI n’ont cessé d’alerter et se mobiliser pour faire sauter ces verrous. Par ailleurs, les différents amendements, dont ceux proposés depuis 2012 par l’ancien président de la Commission des lois du Sénat Jean-Pierre Sueur, ont été systématiquement rejetés, avec avis défavorable des gouvernements ou gardes des sceaux successifs.
Toutefois, le 7 juin 2022, une proposition de loi a été déposée par le député LREM Guillaume GOUFFIER-CHA qui propose de nouveau de supprimer les verrous de la compétence universelle en France.
« Alors que nous ne cessons d’alerter sur la commission de potentiels crimes de guerre depuis le début du conflit en Ukraine, nous appelons les responsables politiques français à un sursaut, afin de donner à la justice française les moyens légaux, mais aussi humains et matériels, de poursuivre réellement et efficacement les auteurs des crimes internationaux les plus graves. Il en va de la crédibilité de la France, qui doit se placer du côté des victimes de ces crimes, et non devenir un havre pour leurs bourreaux » dénonce Jean-Claude Samouiller, président d’Amnesty International France.
Amnesty International France demande au gouvernement et aux parlementaires de légiférer sans attendre pour acter enfin la levée des quatre verrous issus de la loi de 2010, et mettre en adéquation la législation française avec ses obligations et l’esprit du Statut de la CPI, vingt ans après son entrée en vigueur, en soutenant la proposition de loi du député Guillaume Gouffier-Cha.
Depuis la loi du 9 août 2010 venant mettre en œuvre le Statut de la Cour pénale international en droit français, quatre « verrous » limitent de fait le champ d’application de la compétence universelle en France. C’est pourquoi nous continuons de demander :
le retrait de l’exigence de résidence habituelle sur le territoire français de l’auteur des faits, alors que pour tous les autres crimes internationaux la simple présence suffit (voir art. 689-1 à 689-10 du CPP) ;
le retrait de la condition de double incrimination pour l’ensemble des crimes à savoir les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre ;
la suppression du monopole des poursuites au parquet afin de permettre aux victimes des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocides de se constituer partie civile;
la suppression totale de l’exigence d’assurance préalable de l’absence de poursuite diligentée par la Cour pénale internationale ou un État compétent.
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