Depuis quelques années, les questions liées à la migration occupent une place centrale au sein de la politique de développement et de la politique étrangère de l'Union européenne (UE).
En novembre 2015, l'UE et plusieurs États africains ont adopté le Plan d'action de la Valette, qui envisage divers moyens de coopérer dans le domaine de la migration. En juin 2016, l'UE a annoncé sa nouvelle stratégie de partenariat avec les pays tiers, un cadre qui s'appuie sur des mesures incitatives positives et négatives dans différents domaines afin d'encourager les pays partenaires à mieux coopérer dans le domaine de la migration. Les cinq pays prioritaires identifiés dans le cadre de cette politique sont le Niger, le Nigeria, l'Éthiopie, le Sénégal et le Mali, parmi 16 pays partenaires identifiés. L'Afghanistan, l'Algérie, le Bangladesh, la Côte d'Ivoire, l'Érythrée, l'Éthiopie, le Ghana, le Mali, le Maroc, le Niger, le Nigeria, le Pakistan, le Sénégal, la Somalie, le Soudan et la Tunisie.
La société civile a accueilli ce cadre de partenariat en exprimant de vives préoccupations.
Voici les questions clés mises en avant :
- Orientation principalement axée sur le contrôle aux frontières, les retours et les réadmissions, qui vise principalement à endiguer tout afflux.
- Financement du contrôle de la migration par l'aide au développement. Le Fonds européen de développement et le Fonds fiduciaire en faveur de l'Afrique financent largement cette nouvelle approche, qui suscite des interrogations quant aux principes d'efficacité, d’appropriation et d'alignement sur les besoins des pays bénéficiaires, ainsi qu'autour de la question cruciale de l'éradication de la pauvreté là où les besoins sont les plus criants.
- Impact négatif sur les droits humains. Les mesures visant à renforcer le contrôle aux frontières dans les pays tiers accroissent le risque d'atteintes aux droits humains.
En 2016, le cadre de partenariat n'a obtenu que des résultats limités. Son principe de base – tirer parti des instruments et outils de coopération externe de l'UE et des États membres afin de gérer la migration vers l'Europe – n'a pas porté ses fruits. Accorder la priorité au retour et à la réadmission s'est avéré inefficace. En lisant le quatrième rapport d'avancement relatif au cadre de partenariat pour les migrations de la Commission, il est clair que de nombreux pays tiers se montrent réticents à coopérer, et même au Niger – présenté comme un modèle par la Commission – les réfugiés et les migrants sont désormais contraints d'emprunter de nouveaux itinéraires encore plus risqués, au péril de leur vie. En dépit des mesures de dissuasion mises en œuvre, les gens continuent de partir en quête de sécurité ou d'une vie meilleure.
En tant que membres de la société civile, nous croyons que ce modèle ne sera pas durable sur le long terme. Pour une politique migratoire qui fonctionne, nous recommandons les mesures suivantes :
1. Avoir une vision d'ensemble.
La migration n'est pas un problème qui doit être résolu, mais un phénomène complexe aux facettes positives et négatives. La bonne gouvernance, la stabilité, le respect et la protection des droits humains et de l'état de droit, le commerce équitable, la fiscalité équitable, les politiques relatives au changement climatique et l'investissement privé durable, contribuent au développement à long terme et à l'éradication des inégalités extrêmes, de la pauvreté et des conflits. Il faut faire face à ces questions dans l’intérêt des personnes qui sont contraintes ou décident de partir, et de celles qui ne sont pas en mesure de fuir le danger et la pauvreté.
2. Développer et améliorer des filières sûres et légales d’accès à l'UE.
L'agenda européen en matière de migration présente une lacune de taille : l'absence de création de filières légales et sûres pour atteindre l'UE. Ces mesures vont répondre aux inquiétudes légitimes des pays d'origine – notamment les pays où les versements sont compris entre 10 et 20 % de leur PIB et représentent un facteur majeur de développement – mais aussi garantir un partage plus équitable de la responsabilité en matière de protection des réfugiés dans le monde. Des itinéraires légaux d’accès à l'UE sont essentiels pour « sauver des vies » et « démanteler le modèle économique des passeurs ». L'UE doit faciliter la mobilité vers l'Europe en créant et en renforçant des filières sûres et légales, à la fois pour les personnes ayant besoin d'une protection internationale et pour d'autres migrants, notamment via la réinstallation, l'admission humanitaire et les visas humanitaires, le regroupement familial, la mobilité économique à tous les niveaux de qualifications, les visas d'étudiants et les programmes de parrainage privé. Les États membres doivent s'engager en faveur de références claires et de calendriers adaptés pour mettre en œuvre un cadre migratoire qui réponde aux besoins des migrants, des demandeurs d'asile et des réfugiés, et de leurs familles, ainsi qu’aux besoins et obligations des États membres.
3. Accorder la priorité aux besoins de protection.
En 2016, l'UE a mis en œuvre un certain nombre de politiques qui suscitent des inquiétudes en matière de protection et risquent de mettre en péril la vie des réfugiés et des migrants. Renvoyer des personnes en Afghanistan, favoriser l'interception de bateaux par les autorités libyennes et le débarquement de réfugiés et de migrants en Libye, et tenter de sous-traiter la responsabilité du contrôle migratoire et de l'asile à des pays très fragiles du Sahel et de la Corne de l'Afrique : tout cela contribue à une érosion progressive des normes de protection au sein de l'UE et dans le monde. Ces actions augmentent le risque de violations des droits humains – expulsions illégales notamment – et peuvent aussi se traduire par des tensions et une instabilité accrues dans le pays de destination, par une hausse des déplacements et par une perte de crédibilité de l'UE en tant qu'acteur au service des droits humains dans le monde. L'UE doit promouvoir des systèmes de protection dans les pays tiers et démontrer qu'elle est un partenaire solide en protégeant dûment les réfugiés et les migrants au sein de l'UE.
4. Reconnaître les apports de la migration.
L'UE se targue de la libre circulation dans l’espace Schengen, tout en s'efforçant d’entraver le droit de circuler librement ailleurs. Certaines régions d'Afrique ont une longue tradition de mobilité économique, source importante de développement économique et de commerce régional. Des modèles comme le Protocole sur la liberté de circulation des personnes, le droit de résidence et d'établissement de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) doivent être encouragés et améliorés, tout en reconnaissant leur contribution en termes de libre-échange, de croissance économique et de mobilité professionnelle. En outre, les dirigeants doivent mettre en avant le besoin de migration vers l'UE et ses apports aux pays d'accueil.
5. Organiser avec, et non pour, les autres pays.
Il n'existe pas de solution miracle pour la gouvernance en matière de migration. Toute stratégie de gestion de la migration doit être dûment préparée, durablement financée, impulsée par les pays, fondée sur des données factuelles, globale et élaborée en coopération avec tous les partenaires concernés. La stratégie de partenariat est un processus motivé par les intérêts des États membres européens et de l'UE. Elle n'englobe pas de contribution des gouvernements et des communautés des pays tiers, d'où l'absence d'appropriation. En outre, elle ne tient pas compte des dynamiques et priorités régionales et locales. Pour une réelle progression au niveau des politiques migratoires, les États membres doivent comprendre la complexité de la question et réévaluer les risques d'une approche à court terme, axée sur la sécurité.
6. Protéger, promouvoir et surveiller les droits humains.
Aligner l'approche de partenariat sur le cadre stratégique de l'UE en matière de droits de l'homme et sur le Plan d'action de l'UE en matière de droits de l'homme et de démocratie, et veiller à ce que les droits des migrants, des demandeurs d'asile et des réfugiés soient au cœur de l'élaboration et de l'application des politiques migratoires. Les États membres de l'UE doivent refuser de s’impliquer dans toute forme de coopération qui pourrait empêcher les réfugiés et les migrants de quitter un pays dans lequel ils n’ont pas accès à une protection efficace et où ils sont exposés à subir des violations de leurs droits. Ils doivent mettre en place des évaluations de l'impact en termes de droits humains, en lien avec des instruments de financement et des partenariats fructueux avec la société civile. Enfin, l'UE et ses États membres doivent envisager la mise en place d'un mécanisme de surveillance et d'obligation de rendre des comptes en matière de droits humains, afin d’atténuer les risques des politiques migratoires externes.
Signataires :
Amnesty International , Care International, CNCD-11.11.11, Conseil danois pour les réfugiés, EuroMed Droits, Alliance évangélique européenne, ICMC Europe, Médecins du Monde, Minority Rights Group Europe -Minority Rights Group International, Conseil norvégien pour les réfugiés, Open Society European Policy Institute, Oxfam, PAX, PICUM, Plan International, Save the Children, Terre des Hommes, Vluchtelingenwerk Vlaanderen