En Égypte, les membres du personnel soignant qui osent s’exprimer publiquement font l’objet d’arrestations, de poursuites judiciaires et de sanctions. Ils sont désormais confrontés à un choix impossible : « la mort ou la prison ».
Alaa Shaaban Hamida a 26 ans. Médecin à l'hôpital universitaire d’El Shatby (Alexandrie), elle a été arrêtée le 28 mars dernier par l'Agence nationale de sécurité égyptienne (ANS) sur son lieu de travail. Son crime ? Avoir laissé une infirmière utiliser son téléphone pour signaler un cas de coronavirus au ministère de la Santé. Enceinte, elle est actuellement en détention provisoire pour « appartenance à une organisation terroriste », « diffusion de fausses nouvelles » et « utilisation abusive des réseaux sociaux ». Et son cas est loin d’être isolé.
Entre mars et juin 2020, huit membres du personnel soignant – six médecins et deux pharmaciens – ont été arrêtés par les autorités égyptiennes de façon arbitraire.
Arrêtés pour avoir dénoncé leurs conditions de travail
Parmi eux, les médecins Hany Bakr et Ahmad Sabra ont été arrêtés en avril et placés en détention provisoire pour avoir critiqué le gouvernement sur les réseaux sociaux. Le médecin Ibrahim Badawi a été placé en détention provisoire pour avoir rédigé un article critiquant la réaction du gouvernement face au Covid-19, ainsi que les lacunes structurelles du système de santé égyptien. Selon ses proches, quatre agents des services de sécurité ont effectué une descente chez lui le 27 mai, confisqué son téléphone et son ordinateur portable et lui ont demandé s’il avait assisté aux obsèques de son confrère Walid Yehia, mort après avoir contracté ce virus. Depuis le 31 mai, sa détention provisoire est renouvelée par le procureur sans qu’Ibrahim ne soit présent.
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Des arrestations de personnes ayant exprimé des préoccupations au sujet du système de santé avaient déjà eu lieu avant la pandémie de Covid-19. En septembre 2019, cinq médecins avaient été arrêtés pour avoir lancé la campagne « Médecins égyptiens en colère », qui appelait à une réforme du système de santé en Égypte et à la prévention de la poursuite de l’« exode des cerveaux ». Quatre de ces médecins ont été remis en liberté, mais le dentiste Ahmad al Daydamouny est toujours incarcéré à cause des opinions qu’il a exprimées en ligne au sujet de la faiblesse des rémunérations, des mauvaises conditions de travail et de l'insuffisance des installations sanitaires.
Tous ont en commun d’être persécutés pour avoir exprimé des inquiétudes quant à leur sécurité ou critiqué la façon dont le gouvernement gère la crise du Covid-19, dénoncé des conditions de travail dangereuses, des pénuries d’équipements de protection individuelle (EPI), une formation insuffisante à la prévention de l’infection, des tests restreints pour les professionnels de santé ou un manque d’accès à des soins de santé vitaux.
« La mort ou la prison »
Selon le syndicat égyptien des médecins , les risques encourus par les soignants sont pourtant bien réels. Au moins 68 professionnels de santé travaillant en première ligne sont morts, et plus de 400 autres ont été testés positifs depuis le début de l’épidémie en Égypte, mi-février. Ce chiffre ne comprend pas les médecins décédés des suites de maladies correspondant à des symptômes proches comme la pneumonie, mais qui n’ont pas bénéficié de test PCR. Il ne tient pas compte non plus des décès d’infirmiers, de dentistes, de pharmaciens, de techniciens, de personnes effectuant des livraisons, d’agents de propreté et d’autres travailleurs aux métiers essentiels qui se trouvent également en première ligne.
Mais certains fonctionnaires et cadres d’hôpitaux ne s’attardent pas sur les risques encourus par le personnel de santé et n’hésitent pas à menacer directement les médecins qui ne se rendent pas au travail parce qu’ils craignent pour leur sécurité. Dans des messages vocaux qui leur sont adressés et que nous avons pu écouter, ils sont menacés de façon flagrante. Un médecin que nous avons interviewé et qui a refusé d’aller travailler à cause de conditions de travail dangereuses est qualifié de « traître », et menacé des « sanctions les plus sévères ». D’autres ont été menacés d’un signalement à l’ANS, de poursuites judiciaires ou de retenues sur salaire. Le gouverneur du Nord Sinaï s’est même fendu d’une lettre des plus explicites : « Tout médecin ou membre du personnel infirmier qui refuse de faire son travail ou qui s’absente de son travail sera convoqué par l’ANS. »
Les professionnels de santé, en première ligne du combat contre le Covid-19 se retrouvent désormais confrontés à un choix impossible : risquer leur vie ou encourir la prison s’ils osent exprimer ouvertement leurs opinions.
Au lieu de les protéger, les autorités égyptiennes gèrent la crise de la pandémie de Covid-19 en recourant, comme à leur habitude, à des méthodes répressives. Elles doivent immédiatement mettre fin à leur campagne de harcèlement et d’intimidation contre les professionnels de santé qui ne font qu'exprimer pacifiquement leur opinion afin d'alerter l'opinion publique.
STOP AU HARCÈLEMENT DU PERSONNEL SOIGNANT EN EGYPTE
Les autorités égyptiennes doivent mettre fin immédiatement à leur campagne de harcèlement et d’intimidation du personnel soignant qui défend le droit à la santé de toutes et tous en pleine pandémie mondiale. Cette campagne d’intimidation porte atteinte à la liberté d’expression légitime du personnel soignant égyptien qui révèle des informations d’intérêt public. Les attaques des autorités à leur encontre entravent le droit d’accès à la santé des populations.
Au moins 4 membres du personnel soignant sont actuellement en prison et 5 autres font l’objet de poursuites judiciaires.
Protégez-les !