A la suite de la terrible attaque à Nice, et à l’initiative du gouvernement, le Parlement a adopté une nouvelle loi de prolongation de l’état d’urgence pour une période de 6 mois, pérennisant et banalisant ce régime d’exception. Un état d’urgence pourtant vivement critiqué pour ses abus et contesté pour son manque d’efficacité. Ce faisant, la loi va plus loin en modifiant de façon substantielle l’arsenal antiterroriste existant. En moins de 48 heures de débat !
L’émotion et les peurs légitimement suscitées par la tragique attaque à Nice le 14 juillet ont conduit au vote, ce 21 juillet 2016, d’une loi qui conduit à l’affaiblissement de l’état de droit, sans pour autant que l’efficacité des mesures adoptées n’ait pu être démontrée.
Pérennisation d'un état d'exception
L’histoire se répète à chaque évènement tragique. L’état d’urgence est prolongé de 6 mois à partir du 21 juillet 2016 alors même que le 3 juin dernier a été adoptée et promulguée une loi présentée par le gouvernement comme la « voie de sortie de l’état d’urgence ». Comment le Parlement peut-il justifier à nouveau le recours à l’état d’urgence, par définition censé être temporaire et dérogatoire, alors qu’il affirmait quelques semaines plus tôt que l’arsenal législatif était désormais suffisant pour prévenir, enquêter et poursuivre les actes de terrorisme ?
Dans le cadre de l’état d’urgence, la loi votée aujourd’hui réintroduit, les perquisitions administratives, encadre les saisies et l’exploitation des données informatiques (mais pas leur conservation), renforce les contrôles d’identité, entre autres prérogatives de l’autorité administrative, sans contrôle judiciaire préalable. L’état d’urgence semble s’installer durablement en France, en violation des engagements internationaux de la France et en premier lieu de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Une nécessité pas démontrée, une efficacité très douteuse
En effet le Parlement n’a pas démontré en quoi l’état d’urgence était la seule mesure nécessaire pour faire face à l’existence d’une situation de danger public menaçant la vie de la nation.
L’arsenal juridique antiterroriste existant était déjà très complet, alors que les perquisitions administratives et autres mesures relevant de l’état d’urgence n’ont pas démontré leur efficacité en la matière :
Ainsi, sur 3595 perquisitions 6 seulement ont contribué ou abouti à des poursuites judiciaires pour des infractions à caractère terroriste. Sur la même période, 96 poursuites ont été engagées par le parquet antiterroriste, dans le cadre du droit commun.
Sur les quelques 400 personnes assignées à résidence, aucune n’a fait à ce jour l’objet de poursuites judiciaires, après 8 mois.
Arbitraire et discriminations sous état d'urgence
L’état d’urgence a au contraire engendré des discriminations et de nombreuses violations des droits humains :
des mesures arbitraires et abusives de restrictions des libertés, comme l’ont souligné de nombreuses décisions de tribunaux administratifs,
des perquisitions brutales et traumatisantes, notamment pour les enfants, comme le souligne le rapport du Défenseur des droits
des interdictions arbitraires et disproportionnées au droit de manifester, notamment lors de la COP 21.
Si des dérogations à certains droits fondamentaux sont tolérées dans le cadre de l’état d’urgence, d’autres droits sont considérés comme intangibles et inaliénables. Il en va ainsi du principe de non-discrimination : or, selon le dernier rapport d’Amnesty International, la mise en œuvre de l’état d’urgence depuis novembre 2015 a conduit à des violations répétées de ce droit.
Un arsenal antiterroriste modifié en 48h
Plus grave encore, la loi votée par le Parlement dans des conditions ne laissant pas place à un débat démocratique éclairé, intègre des amendements proposés par le Sénat, qui vont beaucoup plus loin que le seul renouvellement de l’état d’urgence : elle modifie de façon substantielle la procédure pénale, le droit pénal ainsi que la loi sur le renseignement.
Elle modifie également la loi adoptée le 3 juin 2016, renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme, pour revenir sous le coup de l’émotion, sur des débats révolus. Cela, sans étude d’impact, ni exposé des motifs, ni même explication.
Quelques exemples :
extension de 1 à 3 mois des assignations administratives à résidence de personnes qui reviennent d’un pays en guerre mais contre lesquelles il n’existe pas suffisamment de preuve pour ouvrir une enquête,
aménagements de peines rendus plus difficiles voire impossibles, et aggravation de ces peines, pour toute personne condamnée pour des actes de terrorisme, y compris les mineurs,
extension de la possibilité de recueillir directement sur tous les réseaux de communication électronique, les données de personnes « susceptibles d’être en lien avec une menace ».
Les définitions sont de plus en plus floues, les motifs de mise en œuvre d’une justice préventive de plus en plus larges. Seule la proposition de rétention de sureté a été écartée, mais jusqu’à quand ? L’état d’urgence devrait rester l’ultime recours, être absolument nécessaire et démontrer son efficacité. L’état d’urgence devrait être temporaire et, en aucun cas, ne devrait servir de tremplin pour justifier l’altération, en toute hâte et sans réel débat démocratique, de notre état de droit.