En réaction à une série d'attaques armées qui ont secoué le pays depuis mars 2015, les autorités ont renforcé les mesures sécuritaires, recourant de plus en plus aux lois d’exception, dont beaucoup entrent en contradiction avec les obligations relatives aux droits humains.
Le recours par les forces de sécurité tunisiennes aux méthodes brutales du passé, notamment la torture, les arrestations arbitraires, les détentions et la restriction des déplacements des suspects, ainsi que le harcèlement de leurs proches, menace l'avancée de la Tunisie sur la voie de la réforme. Ces abus risquent de mettre en péril les avancées obtenues depuis six ans.
Les Tunisiens jouissent en effet d'une plus grande liberté d'expression, de réunion et d'association, droits que garantit la Constitution de 2014.
Les méthodes répressives du passé de nouveau utilisées
Les récits glaçants exposés dans ce rapport témoignent d'une augmentation inquiétante du recours à des méthodes répressives contre les suspects dans les affaires de terrorisme depuis deux ans – sinistre rappel du régime de l'ancien président Zine el Abidine Ben Ali.
Par ailleurs, notre nouveau rapport expose deux cas de violences sexuelles, dont un viol, qui se sont déroulés au poste de police de Ben Guerdane en mars 2016 et à la prison de Mornaguia en janvier 2015. « Ahmed » (son nom a été modifié pour protéger son identité), arrêté en mars 2016 à Ben Guerdane, a déclaré à Amnesty International que les forces de sécurité ont fait violemment irruption au domicile familial, ont frappé son épouse enceinte, qui a fait une fausse couche, et ont arrêté deux de ses frères. Interpellé cinq jours plus tard, « Ahmed » a affirmé avoir été torturé et violé avec un bâton au poste de police.
Ils m’ont frappé jusqu’à ce que je perde connaissance [...] Ils m’ont frappé sur les jambes, les pieds et les bras qui étaient couverts d’hématomes et enflammés. Je fais encore des cauchemars à cause de la torture. Ils m’ont frappé jusqu’à ce que plusieurs ongles de mes orteils tombent.
Ahmed
Des arrestations arbitraires… et violentes
Des milliers de personnes ont été arrêtées depuis que l’état d’urgence a été rétabli en novembre 2015, après l’attentat meurtrier visant la Garde présidentielle à Tunis. Nous avons recensé au moins 19 cas d'arrestations arbitraires. Au moins 35 témoins ont décrit les raids et les perquisitions domiciliaires sans mandat, au cours desquels les membres des forces de sécurité font irruption dans les logements, terrifiant les habitants. Certains membres des familles sont également en butte à des mesures d'intimidation, à des arrestations arbitraires, à des actes de torture ou autres mauvais traitements en détention, dans le but de les contraindre à donner des informations sur leurs proches soupçonnés de participation à des attaques armées. Plus d'une dizaine de personnes ont déclaré avoir ressenti un tel choc qu’elles ont dû recevoir des soins médicaux ; certaines ont affirmé que le harcèlement constant les avait conduites au bord du suicide.
Nous ne voulons plus avoir peur. On ne sort plus. [...] J'ai l'impression de vivre dans une cage et j'ai toujours peur alors que je n'ai rien fait de mal »,
« Meriem », victime de harcèlement répété par des membres des forces de sécurité.
Des interdictions de voyage disproportionnées
Outre le harcèlement sous forme de perquisitions domiciliaires, d’arrestations et de détentions arbitraires, au moins 5 000 personnes se sont vu interdire de voyager, tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger, et au moins 138 personnes ont fait l’objet d’ordres d’assignation à résidence, restreignant leurs déplacements à des zones désignées. Le but déclaré de ces mesures est d’empêcher des milliers de Tunisiens de rejoindre les groupes armés actifs au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et de surveiller les déplacements de ceux qui sont rentrés de zones de conflit. Cependant, ces restrictions à la liberté de mouvement sont parfois appliquées de manière arbitraire et disproportionnée. Les personnes touchées ne peuvent plus travailler, étudier ni mener une vie normale, et ne sont pas en mesure de contester ces restrictions devant les tribunaux. Des forces de sécurité toujours pas inquiétées
Rares sont les membres des forces de sécurité qui ont eu à répondre de leurs actes en Tunisie, alors que les autorités ont exprimé à maintes reprises leur détermination à enquêter sur toutes les allégations de torture et de mauvais traitements. En réponse à la lettre que nous lui avons adressée, le ministère de l'Intérieur indiquait que l’Inspection générale de la sécurité nationale avait enquêté sur une allégation de torture en 2015 et 2016, et avait conclu qu'elle était infondée. Des victimes et des témoins ont été harcelés et intimidés par des membres des forces de sécurité qui voulaient les dissuader de déposer plainte pour torture.
Les autorités tunisiennes ont pris des mesures positives, adoptant notamment des modifications législatives en 2016 qui renforcent les garanties contre la torture et les mauvais traitements – réduction de la durée pendant laquelle un suspect peut être détenu sans inculpation et garantie du droit de consulter un avocat, de communiquer avec sa famille et de recevoir des soins médicaux. Toutefois, ces changements ne s'appliquent pas aux suspects détenus dans le cadre d’affaires de terrorisme.
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L’état d’urgence ne peut pas tout justifier
En outre, une nouvelle loi antiterroriste a été adoptée en 2015, qui renforce les pouvoirs de surveillance des forces de sécurité, prévoit la peine de mort pour certaines infractions et contient une définition trop vaste du terrorisme, laissant la porte ouverte aux abus. En janvier 2017, le ministère de la Justice a annoncé que 1 647 personnes sont détenues pour des accusations de terrorisme et de blanchiment d'argent.
Pour défendre la liberté d'expression partout, signer la pétition : pour la libération du photojournaliste Mahmoud Abu Zeid
Le gouvernement tunisien doit veiller à ce que les méthodes utilisées pour combattre les menaces à la sécurité ne violent pas l'interdiction de la torture et des autres formes de mauvais traitements, et ne restreignent pas d’une manière illégale, arbitraire, discriminatoire ou disproportionnée les droits des citoyens à la liberté, à la liberté de mouvement, à la vie privée et familiale et au travail.
Au titre de l'état d'urgence, les autorités tunisiennes peuvent suspendre temporairement certains droits, mais la durée prolongée de l’état d’urgence ces dernières années et les nombreux abus dans l'application des mesures de sécurité amènent à s’interroger sur le caractère proportionné de ces mesures et sur leur conformité aux obligations internationales de la Tunisie. Certains droits, tels que l'interdiction de la torture, ne peuvent être suspendus en aucune circonstance, même durant l'état d'urgence.
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