Le Qatar a annoncé aujourd’hui, 12 décembre, avoir réformé son droit du travail en mettant fin au système de « parrainage » (kafala) des employeurs sur les travailleurs migrants. Une fausse réforme.
Cette nouvelle loi continue de laisser des travailleurs migrants à la merci de patrons qui les exploitent et de les exposer au danger du travail forcé.
En pratique, les employeurs ont toujours le pouvoir d’empêcher les travailleurs migrants de quitter le Qatar.
Notre document intitulé "New name, old system? Qatar’s new employment law and abuse of migrant workers" (en cours de traduction vers le français) pointe les lacunes des réformes du droit du travail au Qatar. Le risque de travail forcé et d’autres abus reste élevé pour les travailleurs migrants, notamment ceux qui construisent les stades de la Coupe du monde, les infrastructures de transport et d’autres installations importantes, comme les hôtels.
C’était un premier pas que le Qatar ait admis que ses lois alimentent les abus des droits des travailleurs migrants. Mais, si la nouvelle loi supprime le mot "parrainage", elle laisse le principe totalement intact.
En pratique, les employeurs ont toujours le pouvoir d’empêcher les travailleurs migrants de quitter le pays. En facilitant la confiscation du passeport des travailleurs, la nouvelle loi pourrait même aggraver la situation pour certains employés. Il est tragique que de nombreux travailleurs croient que cette nouvelle loi représente la fin de leurs épreuves.
Des ouvriers sur un site de construction de la Coupe du monde 2022 au Qatar © REUTERS
Une nouvelle loi inutile ?
Cette nouvelle loi remplace la tristement célèbre loi de 2009 sur le parrainage, largement considérée comme un facteur essentiel des violations dont les travailleurs migrants sont victimes. Trois dispositions font cependant craindre que les travailleurs risquent toujours d’être exploités, et notamment d’être victimes de travail forcé :
Les travailleurs doivent toujours obtenir la permission de leur employeur pour changer de travail, sans quoi ils s’exposent à des poursuites pour « fuite » si cela a lieu pendant la durée de leur contrat (qui peut durer cinq ans) ;
Les travailleurs sont toujours tenus d’obtenir un permis pour sortir du pays, auquel leur employeur peut s’opposer. Une commission gouvernementale examinera les recours formés par les travailleurs lorsque leur employeur s’oppose à leur départ mais sur ces critères qui restent flous ;
Le refus d’un employeur de restituer le passeport d’un employé - illégal jusqu’à présent - est désormais légal en vertu d’un vide juridique que des employeurs aux pratiques abusives peuvent aisément exploiter.
La nouvelle loi ne fait par ailleurs rien pour changer la situation des milliers de migrants employés de maison auxquels ne s’appliquent pas les principales protections prévues par le droit du travail qatarien. Le Qatar doit mener une réforme systématique de son droit du travail, qui abolisse les permis de sortir, interdise complètement la confiscation des passeports, et supprime l’obligation pour les travailleurs d’obtenir la permission de leur employeur pour changer de travail.
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Les responsabilités de la FIFA et du monde du football
Les chantiers de construction en rapport avec la Coupe du monde devraient atteindre leur apogée d’ici deux ans, de nombreux chantiers - au moins huit stades, des hôtels, des réseaux de transport et d’autres infrastructures - ayant été lancés. Le 30 mars 2016, notre rapport pointait du doigt que plus de 230 personnes interrogées, alors qu’elles travaillaient sur le stade international Khalifa et sur le complexe sportif Aspire voisin, avaient vu leurs droits bafoués par leurs employeurs, certaines ayant notamment été victimes de travail forcé.
Dans le cadre de la vision stratégique innovante de la FIFA, dévoilée par Gianni Infantino en octobre 2016, l’organe de gouvernance du football mondial a affirmé qu’il devait user de son influence afin de lutter contre les risques en matière de droits humains avec la même détermination que lorsqu’il poursuit ses intérêts commerciaux.
Les grands clubs qui s’entraînent et jouent au Qatar, aidant ainsi à faire de ce pays un haut lieu mondial du football d’élite, ne doivent pas non plus détourner le regard. Des géants du football comme le FC Barcelone, qui sera présent à Doha mardi 13 décembre pour un match, devraient faire clairement part à leurs hôtes de leur désir de jouer dans un environnement favorable aux droits humains. Les joueurs et les clubs ne peuvent pas évoluer dans une bulle.