La crise qui paraît sans fin au Venezuela semble être entrée dans un nouveau chapitre sombre et alarmant. Comme sortie tout droit d’un terrifiant roman à suspens, cette crise qui semblait avoir atteint son paroxysme ces derniers mois, s’est encore aggravée après des semaines de manifestations marquées par une colère et une frustration grandissantes liées à une liste de problèmes sans fin.
Un billet de Marcos Gomez, directeur d’Amnesty International Venezuela.
Le 17 avril 2017, deux jours avant les manifestations pacifiques prévues dans tout le pays le 19 avril, le Président Nicolas Maduro a ordonné à l’armée de patrouiller dans les rues. Il a déclaré que l’armée « patrouillerait pour défendre la moralité » et lutter « contre les personnes qui trahissent leur patrie ».
Cet « appel aux armes » du gouvernement a eu des conséquences désastreuses lors de l’une des plus vastes manifestations de ces derniers mois : au moins deux personnes sont mortes dans des circonstances douteuses et des centaines d’autres ont été blessées et arrêtées. Ces morts s’ajoutent aux plus de seize décès enregistrés au cours des manifestations de ces dernières semaines. De plus en plus d’éléments tendent à prouver que des milices armées commencent à faire justice elles-mêmes. D’autres manifestations sont prévues dans les prochains jours.
Je pensais que vivre (ou survivre) au Venezuela avait préparé la population à tout. Les stratégies sans fin pour trouver deux kilos de riz ou pour mettre la main sur des médicaments pour l’épilepsie ou l’hypertension ont fait de nous des experts en l’art de se débrouiller.
Maintenant, les gens doivent aussi vivre avec la peur de sortir dans les rues. Les jeunes comme les moins jeunes craignent de mettre un pied hors de chez eux, de participer à des manifestations pacifiques ou de se plaindre de la difficulté de survivre dans ce pays.
Si vous sortez et exercez votre droit fondamental d’exprimer votre opinion, vous risquez d’être aspergé de gaz lacrymogène (notamment lancé depuis des hélicoptères), frappé, emprisonné pendant des années sans bénéficier d’une procédure régulière, ou même abattu par un des groupes paramilitaires qui, bien que non reconnus par les autorités, font la loi dans les rues du Venezuela.
Les autorités ont habilement utilisé la violence de certains manifestants pour justifier la répression généralisée et entretenir le discours de « nous contre eux » qui a fait tant de mal à notre pays. Il n’y a qu’à mettre un pied dehors pour sentir ce climat de peur.
Le recours à la répression et à la violence pendant les manifestations n’est pas un phénomène nouveau au Venezuela : en 2014, plus de 40 personnes, dont au moins six membres des forces de sécurité, ont été tuées. Plus de 650 personnes ont été blessées et plus de 2 000 ont été arrêtées. L’impunité est monnaie courante.
Beaucoup de personnes ont pensé, peut-être naïvement, que ces événements étaient exceptionnels. Nous pensions que le pays apprendrait de son histoire récente. Mais au cours des dernières semaines, un nuage d’incertitude et de violence a de nouveau plongé le Venezuela dans l’ombre. Jour après jour, nous nous réveillons avec des nouvelles des dernières manifestations accompagnées d’images effrayantes des violents affrontements entre des manifestants et les forces de sécurité.
Depuis que cette nouvelle vague de manifestations a commencé le 4 avril, les tensions n’ont fait que monter chaque jour. Les gens avaient l’air de n’avoir rien à perdre. C’est le cas de beaucoup d’entre eux.
Les manifestations au départ ordinaires qui avaient été organisées pour protester contre la situation politique et humanitaire du pays et contre la décision de la Cour suprême – qui a depuis été annulée – d’« interdire » le Congrès, se sont vite transformées en quelque chose de bien plus inquiétant.
Le troisième jour, nous avons accueilli des manifestants blessés dans le hall du bâtiment où je vis. Ma famille et moi avons administré les premiers soins à des hommes et à des femmes couverts d’ecchymoses, qui avaient été frappés et qui étaient frustrés et épuisés par la réalité de la vie quotidienne au Venezuela.
J’ai vu des hélicoptères larguer des grenades lacrymogènes pendant que le Président Nicolas Maduro, qui s’exprimait depuis Cuba, essayait de rassurer la population en disant que « le Venezuela est en paix, excepté quelques actes de violence qui ont été réglés. »
Cela contraste fortement avec la réalité sur le terrain : en seulement quinze jours, au moins sept personnes sont mortes au cours des manifestations et des centaines d’autres ont été blessées.
Quelques jours après la première vague de manifestations, le ministère public vénézuélien a annoncé une enquête pour trouver les personnes responsables de ces homicides. Mais ce pas vers la justice et l’obligation de rendre des comptes ne doit pas être qu’une façade. Il doit au contraire refléter un engagement sincère envers le respect et la protection des droits humains, en vertu duquel les personnes qui ne sont pas d’accord avec le gouvernement ne sont pas désignées comme des ennemis et ceux qui bafouent les droits humains sont traduits en justice.
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Le contraste saisissant entre le Venezuela décrit par les autorités et celui dans lequel nous vivons est tellement énorme qu’il est difficile à expliquer. Le pays dont parle le Président Nicolas Maduro est en paix. Les gens reçoivent une aide alimentaire de camions envoyés par le gouvernement. Les enfants vont à l’école dans la joie, aucun d’eux ne s’évanouit en cours car il n’a rien à manger chez lui. Les hôpitaux sont bien approvisionnés et offrent à leurs patients les meilleurs soins possible.
Mais tout ceci n’est qu’une fiction fidèle à la tradition bien connue de réalisme magique en Amérique latine.
Le Venezuela dans lequel je me réveille, comme des millions d’autres personnes, chaque matin est un labyrinthe dans lequel acheter les produits les plus essentiels est devenu une lutte quasiment impossible.
Beaucoup me demandent : « Comment les gens survivent-ils au Venezuela ? » Je n’ai toujours pas trouvé de réponse.
Mais une chose est certaine. L’attitude des autorités vénézuéliennes qui ferment les yeux face à la crise ne tient plus. Se cacher derrière un voile de propagande et jouer les victimes de quelque plan international obscur visant à déstabiliser le pays n’aide personne au Venezuela à manger et à rester en bonne santé.
Il est temps que toutes les institutions de l’État s’acquittent de leurs obligations et fassent leur travail au nom de tous les habitants du pays.
Personne ne sait combien de temps nous pourrons continuer ainsi, mais il n’en reste pas moins que quelque chose peut et doit être fait pour empêcher le pays de tomber dans un gouffre dont il ne pourra pas ressortir.
Cet article a été initialement publié sur le site Al-Jazeera.com