« Vous n’avez pas le droit de porter plainte parce que vous êtes en situation irrégulière » ; « Non, Madame, vous ne vous êtes pas fait violer, c’est un client» ; « C’est la loterie » : un florilège des réponses apportées par les forces de l’ordre à des femmes migrantes, travailleuses du sexe ou trans, lorsqu’elles osent porter plainte pour violences sexuelles.
Refus d’enregistrement, absence de traduction, négation des faits et suspicion devant les témoignages rapportés, risque d’enfermement en centre de rétention voire d’expulsion du territoire, propos transphobes… voilà ce que peuvent subir certaines personnes lorsqu’elles poussent la porte d’un commissariat pour déposer une plainte en France.
Les stéréotypes et préjugés des forces de l’ordre à leur encontre sont malheureusement répandus et le faible nombre d’heures de formations dispensées ne permettent pas toujours d’aborder la déconstruction de ces comportements illégaux. Apparemment, en 2024, il est nécessaire de le répéter : toutes les personnes ont le droit de porter plainte, quels que soient leur situation administrative, leur genre, leur travail…
En cette journée internationale contre les violences faites aux femmes nous souhaitons mettre en lumière ces femmes, ces personnes qui sont au croisement de discriminations car racisées, sans papiers, travailleuses du sexe, trans, et pour qui l’accès à la justice demeure toujours un parcours de combattantes.
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Les chiffres des violences sexuelles en France sont connus et symptomatiques de l’ampleur du phénomène : un viol ou tentative de viol toutes les 6 minutes en France, et seules 6% des victimes vont porter plainte. In fine, il n’y a que 1% des viols qui aboutissent à une condamnation. Cette étape du dépôt de plainte, pourtant déterminante dans l’accès à la justice des femmes, demeure une épreuve terrible pour nombre d’entre elles. Et elle relève quasiment de l’impossible lorsqu’il s’agit de personnes invisibilisées et discriminées.
Alors qu’elles devraient être protégées parce qu’elles sont surexposées aux violences sexuelles et sexistes, ces femmes sont au contraire stigmatisées et clairement discriminées dans leur accès à la justice. Or, ces femmes rencontrent d’insurmontables obstacles et subissent parfois des violences supplémentaires lorsqu’elles portent plainte. Elles se retrouvent prises dans un système où la violence et la discrimination se superposent et s’alimentent. Le fait d’être confrontée à une nouvelle violence, non pas celle de l’infraction pénale, mais de la réponse apportée à̀ la victime par les institutions publiques en l’occurrence, c’est ce qu’on appelle la « victimisation secondaire ».
Des expériences traumatisantes qui peuvent avoir des conséquences sur d’autres femmes qui renoncent parfois à porter plainte face aux obstacles. L’effet dissuasif de ces récits, même d’un seul récit, est immense.
Au-delà du dépôt de plainte, l’ensemble des politiques mises en œuvre pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles doivent protéger toutes les victimes, y compris celles surexposées aux violences et au croisement de plusieurs discriminations. Les mesures prises pour un meilleur accès à la justice, pour une meilleure protection des personnes victimes, pour une meilleure formation des actrices et acteurs tout au long de la chaîne judiciaire doivent répondre aux réalités spécifiques des femmes marginalisées et garantir leurs droits. Pour cela, qu’elles soient trans, sans papiers, en situation de handicap, travailleuses du sexe, les victimes de violences sexuelles et les associations qui les accompagnent doivent pouvoir participer à la mise en place des politiques publiques qui les concernent.
Le rôle des associations, particulièrement, est crucial pour accompagner les personnes victimes ces violences dans leur parcours. Mais certaines d’entre elles manquent cruellement de soutien, et notamment financier, ce qui contribue à marginaliser les publics dont elles s’occupent et est encore un frein supplémentaire à l’accès à la justice. La Coalition féministe pour une loi intégrale contre les violences sexuelles demande ainsi à l’Etat un investissement annuel de 2,6 milliards d’euros pour une politique à la hauteur des enjeux.
Parallèlement à cette coalition, Amnesty International France appelle à la mise en place d’une approche intersectionnelle des politiques publiques de lutte contre les violences sexuelles. Une intersectionnalité qui ne doit pas être un gros mot ou une notion dévoyée pour des raisons idéologiques. Au contraire, cette approche permet de mieux connaître les violences subies par les femmes et de comprendre les entraves persistantes dans leur accès à la justice. Aux côtés des associations qui les accompagnent, nous exigeons du gouvernement français une justice qui respecte et protège les droits de toutes les victimes de violences sexuelles.
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