La situation désespérée d’une génération d’enfants est dans la balance, alors que la bataille sanglante pour la ville de Mossoul pourrait devenir une catastrophe humanitaire.
Lors d’une mission dans la région ce mois-ci, notre organisation a rencontré des mineurs de tous âges qui présentait de terribles blessures après s’être trouvés dans la ligne de mire entre le groupe armé se faisant appeler État islamique (EI) et les forces gouvernementales, qui sont soutenues par une coalition dirigée par les États-Unis.
Les enfants pris entre deux feux dans la bataille de Mossoul ont vu des choses qu’aucune personne, quel que soit son âge, ne devrait jamais voir. Des enfants qui non seulement sont très grièvement blessés mais ont également vu des parents et des voisins être décapités lors de frappes de mortier, déchiquetés par des voitures piégées ou des explosions de mines, ou écrasés sous les décombres de leur logement.
Dossier spécial : la reprise de Mossoul
Les maisons sont devenues des pièges mortels
Dans un hôpital d’Erbil, nous avons parlé à Umm Ashraf, qui a expliqué qu’elle et ses sept enfants ont été blessés lorsqu’une voiture piégée a explosé devant la maison où ils s’étaient réfugiés, dans l’est de Mossoul, le 13 décembre, enterrant des dizaines de personnes sous les décombres de plusieurs maisons détruites par le souffle. Sa fille aînée, Shahad, 17 ans, a perdu les deux yeux dans cette attaque.
Nos maisons sont devenues les tombeaux de nos enfants. Mes voisins sont toujours ensevelis sous les gravats ; personne n’a pu les en sortir. J’ai tiré mes enfants blessés des décombres un par un. Mais ma sœur a été tuée, je n’ai pas pu l’aider. Mon voisin a été décapité pendant l’explosion, et beaucoup d’autres ont été tués.
Umm Ashraf, mère de 7 enfants
Famille iraquiennes forcées de fuir Mossoul © AHMAD AL-RUBAYE/AFP/Getty Images
Teiba, 8 ans, et Taghreed, sa sœur âgée de 14 mois, ont été tuées et leurs parents grièvement blessés lorsqu’un mortier a atterri dans la cour de leur maison dans l’est de Mossoul le 12 novembre. Mouna, la mère des enfants, a déclaré :
Je disais aux filles de rentrer à la maison. Il y avait des bombardements et des tirs 24 heures sur 24 dans notre zone. Et puis un mortier s’est écrasé à côté de chez nous. Je me suis écroulée sur place, ma fille Teiba est tombée la tête contre le portail, et la petite a rampé, rampé jusqu’à ce qu’elle m’atteigne, puis s’est effondrée sur mes genoux.
Mouna, mère de deux fillettes tuées pendant une attaque
Des établissements médicaux arrivés au point de rupture
Étant donné que les hôpitaux encore en fonctionnement ou accessibles dans les zones touchées par le conflit sont rares, voire inexistants, dans l’est de Mossoul, l’épicentre des combats, Erbil, la capitale du Gouvernement régional du Kurdistan semi-autonome, constitue le meilleur espoir pour les blessés de recevoir des soins médicaux.
Si cette ville n’est située qu’à 80 kilomètres, se rendre à Erbil est presque impossible pour les résidents de Mossoul. Les rares personnes arrivant à obtenir un permis spécial peuvent pénétrer sur le territoire contrôlé par le Gouvernement régional du Kurdistan, et il est difficile même pour leur famille de les rejoindre ou de leur rendre visite.
Certaines familles fuyant les combats se trouvent bloquées entre les lignes de front, incapables de se rendre dans les territoires contrôlés par le Gouvernement régional du Kurdistan et forcées à attendre dans des no man’s lands pendant des jours.
Parmi ceux qui sont parvenus à atteindre Erbil figure Ali, deux ans, blessé lors d’une frappe ayant visé le quartier d’Hay al Falah, à Mossoul, le 14 décembre. Lorsque nous l’avons rencontré, il respirait à peine, et son visage n'était qu'un amas de chair déchiquetée et sanglante. Les médecins ont dit à sa grand-mère, Dokha, qu’ils n’étaient pas sûrs qu’il survivrait.
Dokha a déjà perdu deux petites-filles, Zaira, 14 ans, et Wadha, 16 ans, tuées lors de la même frappe, et elle était folle de chagrin à l’idée de perdre Ali aussi.
Mes petits-enfants avaient fui leur maison et trouvé refuge dans le sous-sol de voisins ces 30 derniers jours. Ils n’avaient plus d’eau ni de nourriture. La zone a été reprise par l’armée il y a deux jours, alors ils pensaient qu’il n’était plus dangereux de sortir, mais ils ont été bombardés alors qu’ils arrivaient au portail de la cour.
Dokha qui a déjà perdu deux filles lors des attaques
Bien que seule une partie des blessés de la bataille de Mossoul aient été évacués vers Erbil, les hôpitaux sur place sont submergés par le grand nombre de blessés.
Les enfants qui survivent sont traumatisés
Au-delà des blessures physiques dont ils souffrent, les enfants restent marqués et profondément traumatisés par l’extrême violence dont ils ont été victimes et témoins. Sur les milliers d’enfants exposés à des violences durables, seule une infime partie a accès aux soins et au soutien psychologiques dont ils ont désespérément besoin.
Les enfants qui arrivent au camp pour personnes déplacées n’ont reçu aucun soutien psychologique pour les aider à surmonter le traumatisme de la disparition de leurs sœurs, mortes sous leurs yeux. Si l’intervention humanitaire prend notamment la forme d’activités limitées de soutien psychosocial dans certains camps de personnes déplacées, elles ne permettent pas de faire face au nombre d’enfants qui ont été affectés par le conflit et sont dans de nombreux cas des victimes directes de la violence.
Les séquelles laissées par ces expériences incroyablement traumatisantes sont aussi bien psychologiques que physiques, mais ces blessures qui changent le cours d’une vie sont négligées par le gouvernement en Irak et ses alliés, qui n’ont pour l’instant rien fait pour garantir que des services médicaux adaptés soient proposés.
Le traumatisme des enfants soldats de l’EI
Parallèlement, les enfants yézidis ayant connu la captivité aux mains de l’EI ont enduré des souffrances sans nom. Des filles d’à peine 11 ans ont été violées, tandis que des garçons ont été forcés à subir un entraînement militaire, ont appris à décapiter des personnes, et ont été contraints à regarder des exécutions.
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Jordo, un adolescent de 13 ans ayant passé deux ans en captivité sous le contrôle de l’EI, a raconté ce qu’on lui a appris ; son récit fait froid dans le dos.
Vous attrapez le gars par les cheveux pour lui redresser la tête et pouvoir lui trancher la gorge, et s’il n’a pas de cheveux, vous lui mettez deux doigts dans le nez pour lui relever la tête. Ils m’ont appris ça et ils m’ont appris à tuer de beaucoup d’autres manières
Jordo, 13 ans
AK, 10 ans, se trouvait aux mains de l’EI jusqu’en novembre, plus de deux ans après avoir été enlevé avec ses parents et ses sept frères et sœurs. Seuls deux d’entre eux, âgés de six et sept ans, en ont réchappé. Le reste de la famille est toujours retenue par l’EI.
Deux cousins éloignés, qui subviennent déjà aux besoins de 23 femmes et enfants, s’occupent d’eux. L’un d'eux a expliqué que le comportement imprévisible de ces enfants traumatisés était difficile à supporter.
AK est très difficile à contrôler. Il brise des objets et y met le feu, et l’autre jour il est sorti dans le froid en sous-vêtements et est tombé malade. Tous les trois se font pipi dessus tout le temps, alors nous les faisons dormir dans une tente séparée à cause de l’odeur. Ces enfants sont vraiment traumatisés et ont besoin de l’aide de professionnels, mais nous n’avons trouvé personne pour nous assister jusqu’à présent.
Cousin éloigné d'un ancien enfant soldat
Personnes fuyant Hamam al-Alil à 14 kilométres au sud de Mossoul en novembre 2016 © AHMAD AL-RUBAYE/AFP/Getty Images
Des promesses sans lendemain
Des travailleurs humanitaires nous ont déclaré que les enfants déplacés présentent des signes de traumatisme particulier comme le fait de pleurer de manière excessive, d’être mutiques, de se montrer violents et d’éprouver de la difficulté à s’éloigner de leurs parents ou des personnes qui s’occupent d’eux.
Des gouvernements donateurs se sont engagés en septembre à garantir l’« accès à une assistance susceptible de sauver des vies » et à « faciliter le passage rapide et sans entrave de secours humanitaires ayant un caractère impartial ». Il est impératif qu’une protection et des soins destinés aux enfants ayant connu le conflit armé deviennent des priorités dans les interventions humanitaires.
Le coût croissant des articles de première nécessité, ainsi que la pénurie de nourriture, de carburant, de médicaments et d’eau propre à Mossoul exposent les enfants à un risque très élevé de malnutrition, de déshydratation et de maladies hydriques et autres.
Malgré les assurances des forces irakiennes et de la coalition selon lesquelles elles font tout leur possible pour protéger les civils, des enfants meurent ou sont blessés chaque jour - à leur domicile ou alors qu’ils risquent leur vie en fuyant afin de se mettre en sécurité. Les parties impliquées dans la bataille de Mossoul doivent prendre toutes les précautions envisageables pour épargner les vies civiles, notamment en évitant d’utiliser des pièces d’artillerie et d’autres armes indirectes contre des zones densément peuplées.
Si les autorités irakiennes et leurs alliés ne font pas d’efforts pour fournir aux civils des voies sûres pour quitter les zones de la ville affectées par le conflit, et pour proposer des services essentiels aux résidents bloqués sous les tirs à l’intérieur de Mossoul, une catastrophe humanitaire pourrait se développer.
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