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URGENCE PROCHE ORIENT

Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles

© Sabah Arar/AFP/Getty Images

© Sabah Arar/AFP/Getty Images

Irak

Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 155 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Irak en 2023.

Les autorités irakiennes n’ont pris aucune mesure véritable pour traduire en justice les membres des forces de sécurité ou de milices liées à l’État ayant participé à la répression violente des manifestations nationales d’octobre 2019. Les forces de sécurité ont continué de soumettre des hommes et des garçons à des disparitions forcées et on ignorait toujours ce qu’il était advenu des milliers d’Irakien·ne·s qui avaient été victimes de tels actes au cours des années précédentes. Les autorités irakiennes ont porté atteinte à la liberté d’expression et élaboré de nouvelles lois pour restreindre encore plus ce droit. Elles ont intensifié leur répression visant les droits des personnes LGBTI. Les mesures de protection contre les violences fondées sur le genre étaient toujours extrêmement limitées dans le centre du pays et dans la région du Kurdistan irakien. La majorité des personnes déplacées, dont le nombre total s’élevait à 1,1 million, ont continué à vivre dans des conditions précaires, sans pouvoir jouir de leurs droits les plus élémentaires.

CONTEXTE

Le 18 décembre, des élections provinciales ont eu lieu dans tout le pays à l’exception des quatre provinces de la région du Kurdistan irakien, où les scrutins étaient prévus début 2024. De l’avis général, le faible taux de participation (41 %) était à mettre sur le compte de l’apathie politique au sein de la population et de la défiance des citoyen·e·s vis-à-vis des autorités.

Tout au long de l’année, le ministère turc de la Défense nationale a revendiqué des frappes aériennes sur des positions tenues par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans les montagnes et dans la région du Kurdistan irakien, notamment une attaque de drone perpétrée en octobre contre un camp accueillant plus de 12 000 personnes réfugiées, au cours de laquelle une femme et deux enfants ont été blessés.

La sécheresse, aggravée par le changement climatique, a réduit la production agricole. Une épidémie de choléra imputable à de l’eau contaminée s’est propagée dans tout le pays ; à la mi-novembre, l’OMS faisait état d’au moins 1 302 cas et sept décès.

En juillet, le gouvernement irakien a rompu ses relations diplomatiques avec la Suède à la suite d’informations rapportant qu’un migrant irakien avait brûlé un exemplaire du Coran devant l’ambassade d’Irak à Stockholm, la capitale suédoise. En Irak, des disciples du religieux chiite Muqtada al Sadr ont attaqué l’ambassade de Suède à Bagdad. Pour n’avoir pas empêché cette attaque, 18 fonctionnaires de police ont été condamnés en septembre par un tribunal de Bagdad à des peines allant de 18 mois à trois ans d’emprisonnement.

À la suite des bombardements menés par Israël sur Gaza en octobre, des partis politiques irakiens, des responsables des Unités de mobilisation populaire et des dignitaires religieux ont appelé à des manifestations de grande ampleur en faveur de la Palestine. À la fin de l’année, plusieurs des grandes composantes des Unités de mobilisation populaire, qui se sont désignées à partir d’un certain moment comme la Résistance islamique en Irak, avaient revendiqué des attaques de drone et des tirs de roquettes contre des bases américaines dans la province d’Al Anbar, dans l’ouest du pays, ainsi que dans la région du Kurdistan irakien.

IMPUNITÉ

Les autorités irakiennes n’ont pris aucune mesure véritable pour traduire en justice les membres des forces de sécurité ou de milices liées à l’État ayant participé à la répression violente des manifestations nationales d’octobre 2019 (également appelées « mouvement Tishreen »), malgré la création de plusieurs commissions d’enquête et d’établissement des faits. La répression a donné lieu à des centaines d’homicides, des milliers de mutilations et des dizaines d’enlèvements.

Des acteurs armés, dont des membres des Unités de mobilisation populaire, ont continué à harceler et à tenter d’intimider des proches de militant·e·s disparus ou tués dans le contexte de ces manifestations. Dans le cadre d’une affaire emblématique, des membres de la famille de Sajjad al Iraqi – un militant victime d’une disparition forcée en septembre 2020 à An Nasiriya et dont on ignorait toujours le sort – ont indiqué avoir fait l’objet de nombreuses menaces et subi des pressions les incitant à abandonner les poursuites liées à la disparition de cet homme. Ils ont affirmé que les auteurs de ces menaces avaient un lien avec les ravisseurs et les Unités de mobilisation populaire.

Dans une lettre adressée à Amnesty International en avril, le cabinet du Premier ministre a décrit dans les grandes lignes les mesures prises par la commission d’établissement des faits créée en octobre 2020 et remise en activité en novembre 2022 pour entrer en contact avec des représentant·e·s des manifestant·e·s du mouvement Tishreen. Il a précisé que la commission avait enquêté sur plus de 215 affaires dont elle avait obtenu les dossiers auprès d’un tribunal de Bagdad, et qu’elle avait examiné des milliers de dossiers médicaux, de rapports d’autopsie et de rapports de police scientifique. Il a confirmé que des réparations avaient été versées aux familles des personnes tuées, à hauteur de 10 millions de dinars irakiens (7 650 dollars des États-Unis environ) pour chaque victime. Cependant, la commission n’avait pas encore publié de conclusions. Des militant·e·s, des manifestant·e·s et des familles de personnes blessées ou tuées ont aussi fait part de leurs préoccupations quant à l’accès à des réparations, citant notamment l’obligation de fournir des documents médicaux que la plupart des blessés n’avaient pas pu obtenir lors des manifestations.

DISPARITIONS FORCÉES

On ignorait toujours le sort réservé aux milliers d’Irakien·ne·s soumis à une disparition forcée lors du conflit armé visant à reprendre le contrôle du territoire au groupe armé État islamique, ainsi que pendant les manifestations nationales de 2019. En juin, le ministère irakien des Affaires étrangères a répondu à une lettre d’Amnesty International au sujet des disparitions d’au moins 643 hommes et garçons survenues dans la province d’Al Anbar depuis 2016, affirmant que rien ne prouvait l’implication des forces gouvernementales et qu’aucune famille de disparu·e n’avait porté plainte contre les forces de sécurité pour enlèvement.

Les forces de sécurité et les services de renseignement irakiens, y compris les Unités de mobilisation populaire, ont continué de soumettre des hommes et des garçons à des disparitions forcées en les enlevant à des postes de contrôle, chez eux ou dans la rue. Dans un certain nombre de provinces, notamment celles de Salahuddin, d’Al Anbar, de Ninive et de Bassora, des organisations de défense des droits humains et des militant·e·s ont signalé, cette année encore, des disparitions forcées imputables à des factions des Unités de mobilisation populaire qui se trouvaient dans ces zones.

En avril, le Comité des disparitions forcées [ONU] a estimé qu’entre 250 000 et un million de personnes avaient été victimes d’une disparition forcée en Irak depuis 1968 et a exhorté les pouvoirs publics du pays à ériger cette pratique en infraction. Face à ces chiffres, les autorités irakiennes ont présenté au Parlement, le 6 août, leur projet de loi sur les personnes disparues, dont l’objectif affiché était d’aider les proches à savoir ce qu’il était advenu des membres de leur famille disparus et à obtenir réparation, notamment grâce à la création d’une commission nationale pour les personnes disparues. Toutefois, la dernière version du texte qu’Amnesty International a pu consulter ne faisait pas de la disparition forcée une infraction pénale et ne prévoyait pas de sanctions pour les auteurs de tels actes.

LIBERTÉ D’EXPRESSION

Les autorités irakiennes ont mené une série d’attaques contre la liberté d’expression et tenté d’introduire des lois et règlements nouveaux pour restreindre ce droit.

En janvier, elles ont annoncé une campagne visant à réprimer les « contenus indécents » en ligne. À la mi-février, un juge du tribunal d’enquête de Bagdad spécialisé dans les questions relatives aux médias et à l’édition a annoncé que 14 personnes avaient déjà été inculpées pour avoir publié des contenus « indécents » ou « immoraux » sur les réseaux sociaux et que six d’entre elles avaient été condamnées à des peines allant de six mois à deux ans d’emprisonnement. Ces personnes avaient toutes été inculpées en vertu de l’article 403 du Code pénal, qui érigeait en infraction les publications « portant atteinte à l’intégrité ou à la décence publiques ». Treize autres personnes ont été inculpées entre avril et décembre. La majorité ont été remises en liberté sous caution ou après un non-lieu ; l’une d’elles au moins a cependant été condamnée à une peine de trois mois et 10 jours d’emprisonnement.

En juillet, les autorités irakiennes ont à nouveau présenté au Parlement deux projets de loi – l’un sur la liberté d’expression et la liberté de réunion pacifique et l’autre sur la cybercriminalité – qui, s’ils étaient adoptés, limiteraient gravement les droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique.

Dans la région du Kurdistan irakien, des détracteurs et détractrices du gouvernement dont la libération était prévue sont restés derrière les barreaux, les autorités ayant porté de nouvelles accusations fallacieuses à leur égard. Parmi ces personnes figuraient les journalistes Sherwan Sherwani et Guhdar Zebari, emprisonnés dans la région du Kurdistan irakien depuis octobre 2020 après un procès manifestement inique. Guhdar Zebari, qui devait être libéré le 16 août, a été informé le jour même qu’il avait été inculpé d’une autre infraction. Il a été maintenu au centre de détention des Assayech, organe de sécurité et de renseignement du gouvernement régional du Kurdistan, jusqu’à la tenue de son procès le 1er octobre, à l’issue duquel il a été condamné à six mois d’emprisonnement pour possession d’une arme non enregistrée. Sherwan Sherwani devait être libéré le 9 septembre, mais un tribunal l’a condamné le 20 juillet à quatre années de prison supplémentaires. Il lui était reproché d’avoir falsifié la signature de Guhdar Zebari sur une requête adressée à la prison de rééducation pour adultes d’Erbil, alors que ce dernier a confirmé avoir donné son accord. Le 1er novembre, une cour d’appel siégeant à Erbil a ramené sa peine à deux ans.

DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXES

Les autorités ont intensifié la répression des droits des personnes LGBTI.

Le 9 août, la Commission de la communication et des médias a émis une directive interdisant aux différents médias d’employer le mot « genre » et les obligeant à remplacer « homosexualité » par « déviance sexuelle » dans tous les contenus publiés ou diffusés.

Le 15 août, le Parlement irakien a examiné en première lecture une proposition de loi, portée par son vice-président, qui prévoyait l’application de la peine de mort en cas de relation avec une personne de même sexe ainsi que des mesures punitives à l’encontre des personnes trans souhaitant bénéficier de soins d’affirmation de genre. Ce texte a été retiré en septembre, à la suite du tollé qu’il a provoqué aux niveaux local et international.

Le 6 septembre, les autorités de la ville d’Erbil (région du Kurdistan irakien) ont arrêté et placé en détention deux célèbres spécialistes de la beauté, respectivement pour travestissement et pour diffusion d’images « indécentes » sur les réseaux sociaux, ce qui, selon le ministère public, constituait un « trouble à l’ordre public ». Ils ont été remis en liberté le lendemain sans avoir été inculpés.

Toujours dans la région du Kurdistan irakien, des militant·e·s et des employé·e·s d’ONG ont signalé avoir été menacés d’arrestation et convoqués pour interrogatoire en lien avec leurs activités et leur militantisme en faveur des droits des personnes LGBTI.

VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET AUX FILLES

Le Parlement irakien n’a pas érigé en infraction les violences domestiques ni protégé efficacement les femmes et les filles contre les violences fondées sur le genre. En avril, un tribunal de Bagdad a condamné le père de Tiba al Ali à six mois d’emprisonnement pour le meurtre de sa fille, commis le 1er février. La clémence de cette peine a déclenché des manifestations à Bagdad.

Les autorités n’ont pris aucune mesure pour modifier les dispositions du Code pénal qui autorisaient les maris à infliger des châtiments corporels à leur femme et les parents à faire de même avec leurs enfants, ni celles qui prévoyaient des peines tenant compte de circonstances atténuantes pour les crimes « d’honneur ». Le Code pénal permettait en outre aux violeurs d’échapper aux poursuites en épousant leur victime.

Le fait que le gouvernement régional du Kurdistan n’ait pas renforcé les mécanismes et services de protection mis en place par l’État limitait fortement la possibilité pour les victimes de fuir les violences domestiques. La lenteur des procédures judiciaires et les conditions de vie difficiles dans les centres d’accueil obligeaient dans bien des cas les femmes à abandonner les actions en justice contre leurs bourreaux, ce qui ne faisait qu’alimenter l’impunité.

Les autorités irakiennes ont annoncé en avril que les femmes yézidies ayant subi des violences devaient impérativement déposer une plainte pour demander et obtenir réparation, comme le prévoyait la Loi de 2021 relative aux victimes yézidies. Ces exigences allaient à l’encontre de l’intérêt des victimes et les empêchaient d’obtenir une réparation suffisante, rapide et efficace.

DROITS DES PERSONNES DÉPLACÉES

Début 2023, près de six ans après l’annonce par le gouvernement de sa victoire face à l’État islamique, il restait au moins 1,2 million d’hommes, de femmes et d’enfants déplacés en raison du conflit avec ce groupe armé, la majorité d’entre eux vivant toujours dans des conditions précaires.

Sans préavis ni concertation avec les acteurs humanitaires, les autorités irakiennes ont fermé en avril le dernier camp de la province de Ninive (nord-ouest du pays) qui accueillait encore des personnes déplacées du fait du conflit avec l’État islamique. Les seuls camps restants se trouvaient dans des zones contrôlées par le gouvernement du Kurdistan irakien. Après la fermeture du camp de Ninive, des centaines de familles risquaient d’être de nouveau déplacées sans que rien ne soit prévu pour celles qui ne pouvaient retourner dans leur région d’origine.

Les membres des forces de sécurité et des services de renseignement travaillant à la direction de l’état civil dans plusieurs provinces ont continué à inscrire sur liste noire des centaines de familles – dont la plupart avaient une femme à leur tête – en raison de leur appartenance présumée à l’État islamique. Ils ont empêché des familles d’obtenir des documents d’état civil essentiels pour jouir de certains droits élémentaires. Privées de ces documents, ces personnes risquaient d’être arrêtées aux postes de contrôle.

À la fin de l’année, il restait au moins 1,1 million d’Irakien·ne·s déplacés, dont 175 000 se trouvaient dans des camps tandis que les autres étaient en situation de déplacement secondaire.

DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN

L’Irak se situait toujours parmi les pays à la fois les plus exposés et les moins préparés au changement climatique. Malgré la situation, des acteurs appartenant semble-t-il aux Unités de mobilisation populaire ont intimidé et, dans certains cas, enlevé des militant·e·s écologistes et des spécialistes de l’environnement. En février, dans la ville d’Al Hilla (province de Babil), des inconnus armés ont enlevé un spécialiste qui avait souvent alerté sur le fait que les marais irakiens s’asséchaient. On n’a pas su ce qu’il était advenu de lui pendant deux semaines. Après sa libération, il a déclaré avoir subi des tortures et d’autres mauvais traitements. Il n’a été fait état d’aucune enquête ou arrestation en rapport avec cette affaire.

Bien qu’il ait bénéficié de soutien pour élaborer un plan national d’adaptation, le gouvernement n’avait encore rien publié à la fin de l’année.

L’Irak a annoncé qu’il prévoyait de creuser de nouveaux puits et d’accroître la production de pétrole, ce qui allait à l’encontre des conclusions des Nations unies selon lesquelles les pays devaient réduire considérablement leur production pour contenir le réchauffement de la planète en deçà de 1,5 °C. En octobre, les autorités ont annoncé qu’elles avaient enregistré des recettes record issues de la vente de pétrole depuis le début de 2023 ; ces sommes, qui représentaient plus de 90 % de l’ensemble des recettes du pays, n’ont cependant pas été investies dans des projets visant à diversifier l’économie.

DROIT À L’EAU

En dépit de ses ressources naturelles, l’Irak était devenu l’un des pays au monde qui manquaient le plus d’eau. Pour la deuxième année consécutive, le ministère des Ressources hydriques a annoncé que le niveau de l’eau était au plus bas. Les autorités ont continué à imputer la pénurie d’eau à la construction de digues dans les pays voisins. D’autres acteurs, tels que l’UNICEF, attribuaient en revanche l’aggravation de cette pénurie à divers facteurs, dont la mauvaise gestion, et ont alerté sur l’exploitation excessive des ressources hydriques non renouvelables.

En septembre, l’Organisation internationale pour les migrations comptait encore au moins 21 798 familles déplacées dans les provinces du sud et du centre de l’Irak du fait de la sécheresse et de la pénurie d’eau, accentuées par le changement climatique.

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