Conséquence de la rivalité entre catholiques et protestants, les couples LGBTI sont privés de mariage.
Stephen Aiken s’est marié il y a trois ans avec son compagnon Eddy. Mais pas en Irlande du Nord, où réside le couple de trentenaires. Comme Stephen bénéficie d’un passeport irlandais, ils se sont rendus à Dublin, la capitale de la République d’Irlande, où le référendum du 22 mai 2015 a ouvert la voie au mariage pour tous. Mais leur union n’est pas reconnue dans leur propre pays.
Stephen Aiken © Yann Levy / Hans Lucas
Sur les documents administratifs, ils doivent cocher la case « pacsés » et non « mariés ». L’Irlande du Nord fait figure d’exception au sein du Royaume-Uni. Le Pays de Galles et l’Angleterre ont légalisé le mariage pour tous en 2013, l’Écosse en 2014. Les pouvoirs décentralisés permettent en effet à chaque composante du Royaume-Uni de légiférer différemment.
À l’époque de son mariage, Stephen, coiffeur de 29 ans, barbe rousse soigneusement taillée, espérait un changement politique. « Je pensais vraiment que l’Irlande du Nord allait enfin légaliser le mariage pour tous ! », se souvient-il, assis à la table de sa salle à manger dans une maison coquette du quartier Est historiquement protestant de Belfast. Désormais, il se sent « fatigué et impatient ».
La question n’est même pas de savoir si j’ai envie de me marier ou non ici. C’est simplement un principe d’égalité
Stephen Aiken, coiffeur de 29 ans
Son mari, d’origine portugaise et vénézuélienne, tente une explication : « Les gens ont l’air plus fermés d’esprit qu’ailleurs à ce sujet… ». « Les gens ou les politiciens ? » lui demande Stephen. Eddy rigole : « Les politiciens ! Ce sont des dinosaures ! ».
Le Parti unioniste démocrate (DUP), protestant, connu pour ses positions ouvertement homophobes dès sa création en 1971, bloque systématiquement toute initiative législative favorable au mariage pour tous. Ses dirigeants font appel à la « petition of concern », un système de blocage censé « protéger » les intérêts d’une communauté, et qui stoppe de fait un projet de loi si au moins 40 % des députés des deux communautés ne le soutiennent pas.
La campagne Love Equality
Depuis la fin des « Troubles » en 1998, cette longue guerre civile qui a divisé les catholiques nationalistes et protestants unionistes et fait plus de 3 500 morts en trente ans, le pouvoir se partage entre un parti catholique et l’autre protestant, même si le système a tendance à se gripper.
Le premier, le Sinn Féin, aspire à une Irlande réunifiée, le second, le DUP, vise à garder l’Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni. On vote moins pour un parti ou pour des idées qu’en fonction de son appartenance communautaire.
Stephen a pour sa part grandi dans un quartier populaire de Belfast Sud au sein d’une famille protestante. Son homosexualité, il l’a dévoilée à 15 ans et « cela n’a pas posé de problèmes ». Ses parents continuent cependant de voter pour le DUP à chaque élection.
« Mais ma mère commence à se rendre compte qu’elle vote pour un parti qui restreint les droits d’une partie de la population… » dont il fait partie. Car, au-delà des politiciens conservateurs du DUP, le mariage pour tous rassemble cette société divisée : 63 % de l’opinion publique, protestants et catholiques confondus, s’y déclarent favorable selon le rapport du conseil britannique en recherches économiques et sociales (ESRC) publié en mai 2018.
L’été dernier, à l’appel de la campagne Love Equality, dont Amnesty International est partie prenante, plus de 20 000 personnes ont manifesté dans les rues de Belfast. « Ça va se faire ! », affirme confiant Gavin Boyd, chargé d’éducation au sein de The Rainbow Project, l’association de défense des droits des personnes LGBTI.
Malgré le soutien populaire, Love Equality ne souhaite pas de référendum comme en République d’Irlande. La campagne tente plutôt de faire adopter la proposition de loi par la Chambre des Communes et la Chambre des Lords à Londres. « Nous essayons tous les moyens possibles », confirme Patrick Corrigan, directeur d’Amnesty International Northern Ireland. Mais la Première ministre britannique, Theresa May, qui dispose d’une faible majorité grâce au DUP, se montre opposée à l’idée. C’est donc l’impasse.
L’appel à la Convention européenne des droits de l’homme
Henry et Chris Flanagan-Kane sont devenus sans le vouloir les symboles de la lutte pour les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI). Ils ont été les deuxièmes à s’embrasser en haut des marches de la mairie de Belfast en 2005, sous les objectifs des appareils photo, pour célébrer l’officialisation de leur « Pacs ».
Depuis, « nous nous sommes toujours considérés comme mariés », raconte Henry. Pour eux, ne pas avoir droit au mariage, c’est de la discrimination. « À l’école de notre fils, dès que nous remplissons les formulaires et que nous indiquons que nous sommes pacsés, nous disons implicitement que nous sommes un couple homosexuel », prend comme exemple Chris.
En 2015, Henry et Chris ont porté plainte, avec un autre couple lesbien, contre le ministère de la Justice pour « violation des droits humains » et « atteinte au respect de sa vie privée et familiale » selon l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Néanmoins, le juge s’est déclaré incompétent l’été dernier.
Tous les quatre ont fait appel et leur cas sera jugé en septembre prochain.
La génération post-conflit
Ne pas être reconnus par l’État a également un impact sur la santé mentale des jeunes de la communauté LGBTI
Paula Keenan et Marie Quiery dans le rapport Civil Conversations on Marriage Equality, rendu public en avril 2018 : « Aux États-Unis, l’ouverture du mariage pour tous a réduit le taux de suicide des adolescents LGBTI de 14 % les six premiers mois où la législation a été mise en place ».
Aíne et Rebecca © Yann Levy / Hans Lucas
Aíne Maguire, en couple depuis trois ans avec Rebecca Toolan, témoigne de cette souffrance : « Quand j’entends les points de vue homophobes des députés du DUP, cela m’angoisse. Même si ce n’est pas le seul parti homophobe et tous ses membres ne le sont pas… »
Cette jeune Nord-Irlandaise de 24 ans a grandi au sein d’une famille catholique nationaliste à Belfast et a eu beaucoup de mal à accepter son homosexualité : « Moi qui ne suis même pas croyante, pendant mon adolescence, j’ai prié un jour pour que ce ne soit pas le cas… »
Aíne et Rebecca sont trop jeunes pour avoir connu les « Troubles ».
Elles font partie de cette génération qui vit dans une société post-conflit et veut voir son pays évoluer. Or ce passé qu’elles n’ont jamais connu les rattrape.
Tant que l’héritage des “Troubles” ne sera pas résolu, nous n’avancerons pas sur les problématiques sociales
Aíne Maguire, en couple depuis 3 ans avec une femme
Assise à ses côtés, dans un café du nouveau centre culturel branché de Belfast, Rebecca se désespère : « L’Irlande du Nord est un endroit arriéré. D’accord, il y a de beaux paysages et Game of Thrones mais peu d’emplois, des inégalités de richesses, pas d’avancées sociétales. Tu m’étonnes que les jeunes partent et ne veulent plus revenir ».
Elle aussi a pensé à s’exiler comme deux tiers des jeunes selon un sondage de 2014. Pourquoi rester alors ? L’étudiante en communication de 22 ans s’exclame : « Pour continuer à lutter ! S’il n’y en a pas qui restent, qui se battra pour nos droits ? Je ne pense pas que la législation pour le mariage pour tous sera mise en place prochainement mais je suis de nature très optimiste ».
— Manon Deniau pour La Chronique d'Amnesty International France
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