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URGENCE PROCHE ORIENT

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Iran - Théréan 22/04/2007 : des policiers iraniens arrêtent une voiture lors d'une opération de répression visant à faire respecter le code vestimentaire islamique dans le nord de Téhéran. L'Iran a émis plus d'un millier d'avertissements et arrêté des dizaines de personnes dans le cadre d'une nouvelle campagne visant à contraindre les femmes dont la tenue vestimentaire est jugée inappropriée à se conformer aux règles vestimentaires islamiques.
Iran - Théréan 22/04/2007 : des policiers iraniens arrêtent une voiture lors d'une opération de répression visant à faire respecter le code vestimentaire islamique dans le nord de Téhéran. L'Iran a émis plus d'un millier d'avertissements et arrêté des dizaines de personnes dans le cadre d'une nouvelle campagne visant à contraindre les femmes dont la tenue vestimentaire est jugée inappropriée à se conformer aux règles vestimentaires islamiques. © Behrouz Mehri/AFP PHOTO
Discriminations

Port du voile en Iran : traquées et harcelées, les Iraniennes dans le viseur des autorités

Depuis près de 6 mois, les autorités iraniennes ont renforcé la répression des femmes qui ne portent pas le voile (ou le portent de manière inappropriée) dans les lieux publics en mettant en place une surveillance généralisée des femmes et des filles dans l’espace public et en procédant à des contrôles de police massifs, ciblant notamment les femmes qui conduisent. Nous avons recueilli plusieurs dizaines de témoignages d'Iraniennes qui dépeignent avec force la répression qu'elles subissent.

En septembre dernier, le Parlement iranien a approuvé un projet de loi qui durcit les sanctions contre les femmes qui ne portent pas le voile (obligatoire) dans les lieux publics.

Ce texte intitulé « Soutien à la culture de chasteté et du voile » est intervenu quatre jours seulement après le premier anniversaire de la mort de Mahsa Amini, une Kurde iranienne de 22 ans décédée le 16 septembre 2022 après son arrestation par la police des mœurs pour avoir enfreint le code vestimentaire. Ce décès avait alors déclenché un vaste mouvement de contestation dans tout le pays.

Le projet de loi prévoit des sanctions financières pour la « promotion de la nudité » ou la « moquerie du hijab » dans les médias et les réseaux sociaux ainsi que des amendes et des interdictions de quitter le pays pour des chefs d’entreprises dont les employées ne portent pas le voile. Au maximum, toute personne qui commet le délit de « ne pas porter de voile ou de porter des vêtements inappropriés en coopération avec des gouvernements, des médias, des groupes ou des organisations étrangères ou hostiles » à la République islamique sera condamnée à « une peine d’emprisonnement du quatrième degré soit entre cinq et dix ans.

Pour devenir loi, le projet doit être approuvé par le Conseil des gardiens de la Constitution. En février 2024, le président Ebrahim Raisi a approuvé les coûts financiers importants nécessaires pour mettre en œuvre la loi proposée, ouvrant la voie à son approbation par le Conseil.

« S’efforçant de briser la résistance au port obligatoire du voile dans le sillage du soulèvement 'Femme, Vie, Liberté', les autorités iraniennes terrorisent les femmes et les filles en les soumettant à une surveillance et à un maintien de l’ordre permanents qui viennent perturber leur vie quotidienne et en leur infligeant une immense détresse psychologique », a déclaré Diana Eltahawy, notre directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

Lire aussi : Iran : un an de répression du soulèvement

Nazer : une application de la police

D’après des annonces officielles, depuis avril 2023, la police des mœurs (amniat-e akhlaghi) a ordonné la saisie arbitraire de centaines de milliers de véhicules, dont les conductrices ou les passagères, parfois âgées d’à peine 9 ans, ne portaient pas de foulard ou le portaient de manière « inappropriée ».

Pour les punir d’oser défier les lois sur le port obligatoire du voile, des dizaines de milliers de femmes se sont fait confisquer leur voiture de manière arbitraire.

« Chaque mois, je recevais un message m'informant que ma voiture faisait l'objet d’un ordre de saisie pour non-respect du port obligatoire du voile »

Marjan

Qu'est-ce que la police des moeurs ?

La  police des mœurs iranienne (Gasht-e Ershad) est une sous-branche des forces de police du pays mise en place en 2005. Elle relève du mandat du ministère de l'Intérieur. Cette unité patrouille dans les rues iraniennes et agit au nom de la défense des « bonnes mœurs ». C’est cette même unité qui a arrêté Mahsa Amini pour « port du voile non conforme à la loi ».

Plusieurs vidéos analysées en 2019 ont dévoilé le niveau de brutalité de cette police des mœurs contre les femmes : ils les arrêtent au hasard dans la rue, les menacent, leur ordonnent de remonter leur foulard pour cacher des mèches de cheveux ou leur donnent des mouchoirs en papier pour essuyer leur maquillage. Dans ces vidéos, on les voit les agresser physiquement, les gifler, et les pousser sans ménagement dans des fourgons de police.  

Lire aussi : Iran : Insultées et agressées au nom des "bonne moeurs"

Ces saisies se basent notamment sur des images capturées par des caméras de surveillance ou sur des rapports d’agents en civil qui patrouillent dans les rues et qui utilisent une application bien particulière. Son nom : Nazer (« surveillance » en farsi). Déployé il y a plus d'un an, elle vise un objectif simple : identifier toutes les femmes dans leur voiture qui ne portent pas correctement leur hijab.

Lire aussi : Iran : huit méthodes de répression des autorités contre les manifestant.es

Comment ? Envoyer un SMS à ces Iraniennes réfractaires en leur signalant qu'il est nécessaire de respecter les normes de la société et de veiller à ne pas répéter cet acte du retrait du voile. Les femmes visées et leurs proches reçoivent des menaces par SMS ou appel téléphonique, leur enjoignant de se présenter à la police des mœurs et de remettre leur véhicule, pour les punir de ne pas avoir respecté l’obligation de porter le voile.

« Chaque mois, je recevais un message m'informant que ma voiture faisait l'objet d’un ordre de saisie pour non-respect du port obligatoire du voile », explique Marjan.

Dans de nombreux cas, les responsables de la police des mœurs ordonnent que la voiture soit restituée au bout de 15 à 30 jours, une fois que les frais arbitraires couvrant le stationnement et le transfert à l’aide de grues sont réglés, et que les femmes et les filles (ou leurs parents masculins) se sont engagés par écrit à respecter (ou faire respecter) l’obligation de porter le voile.

« J’ai reçu plus de huit SMS en lien avec le fait de pas porter le voile provenant du numéro de contact de la police... En janvier 2024, j'ai décroché lorsque la police m'a rappelée. Ils m'ont dit 'Venez et remettez votre voiture ou celle-ci sera saisie par nos agents à la première occasion'" », se remémore Orkideh qui s’est vue confisquer sa voiture pendant une semaine.

Iran - Téhéran 22/04/2007 : des femmes iraniennes conduisent leur voiture dans le nord de Téhéran. L'Iran a émis plus d'un millier d'avertissements et arrêté des dizaines de personnes dans le cadre d'une nouvelle campagne visant à contraindre les femmes dont la tenue vestimentaire est jugée inappropriée à se conformer aux règles vestimentaires islamiques © AFP PHOTO/BEHROUZ MEHRI.

Iran - Téhéran 22/04/2007 : des femmes iraniennes conduisent leur voiture dans le nord de Téhéran. © AFP PHOTO/Behrzouz Mehri.

La police des mœurs peut aussi déférer les femmes et les filles devant les autorités chargées des poursuites, en notant les rapports successifs selon lesquels elles ne portaient pas de foulard à bord des véhicules, et en conditionnant la restitution de leur véhicule à la décision du procureur.

« Récemment, j'ai reçu un SMS concernant ma voiture m'indiquant que j'avais enfreint pour la 11e fois les lois relatives au port obligatoire du voile et que je devais remettre ma voiture à la fourrière sous 48 heures (…). Les autorités affirment que [les ordres de saisie] sont basés sur des images provenant de caméras de vidéosurveillance », raconte aussi Sheyda qui n’a pas pu utiliser sa voiture pendant plusieurs semaines.

Entre le 15 avril et le 14 juin 2023, la police a envoyé près d'un million de SMS contenant des messages d’avertissement à des femmes photographiées sans voile dans leur voiture.

133 174 SMS ont ordonné l’immobilisation temporaire du véhicule, 2 000 voitures ont été confisquées et 4 000 récidivistes ont été déférées devant la justice à travers le pays. 

Des centaines de commerces ont été fermés parce qu’ils n’ont pas appliqué les lois sur le port obligatoire du voile, et des femmes se sont vu refuser l'accès au système éducatif, aux services bancaires ou aux transports publics.  

1millionde SMS contenant des messages d’avertissement adressés à des femmes photographiées sans voile dans leur voiture.
108 211signalements relatifs à l’obligation du port du voile ont été effectués concernant des « infractions » observées dans des commerces
300« délinquantes » ont été identifiées et déférées devant la justice

Accès refusé

Les femmes se voient régulièrement refuser l’accès aux transports publics, aux aéroports et aux services bancaires, si elles ne portent pas de voile. Les agents de l’État, en particulier aux aéroports, refusent l’accès aux femmes et aux filles portant des chapeaux et examinent la longueur et la coupe de leurs manches, de leurs pantalons et de leurs uniformes.

« Dans les aéroports, les autorités sont très strictes. Elles disent par exemple "Votre manteau est court", "Votre pantalon est court'", "Vos chevilles sont visibles", "Vos poignets sont visibles". Dans les trains et les centres commerciaux, des agents viennent fréquemment vous voir pour vous ordonner d’ajuster votre foulard vers l'avant. Dans la gare de Mashhad (Istgah-e Rah Ahan), des agents en civil se tiennent à l'entrée. Dans les rames de métro, un nombre important d'agents féminins portant des tchadors harcèlent les femmes », énumère Firuzeh.

Iran - Téhéran 7 mars 2024 : des personnes marchent dans le Grand Bazar à Téhéran. Un an et demi après la mort de Mahsa Amini, qui a déclenché des troubles dans tout l'Iran, alors que la population est confrontée à une crise économique, le débat sur le hijab obligatoire reste une question controversée. © Sasan / Middle East Images / Middle East Images via AFP

Iran - Téhéran 7/03/2024 : des personnes marchent dans le grand bazar de la capitale. Un an et demi après la mort de Mahsa Amini, qui a déclenché des troubles dans tout l'Iran, et alors que la population est confrontée à une crise économique, le débat sur le hijab obligatoire reste une question controversée. © Sasan / Middle East Images / Middle East Images via AFP

Ces interactions s’accompagnent généralement d’insultes souvent sexistes, de violences ou de menaces de poursuites.

« Lorsque je suis sortie de la station de métro, un agent de police en uniforme m'a tirée par derrière, tandis qu'une femme en civil m'a frappée dans le dos en criant : "Arrêtez-vous ! Où est votre foulard ?" (…) L'agent de police qui m'a attrapée m'a dit : "Restez ici, mettez votre foulard et partez'" », se rappelle Noushin, qui a remis son foulard par crainte d'être arrêtée.

Même à l’école, les adolescentes sont traquées. Golnar, une lycéenne de 17 ans, nous confie que la directrice de son école l’a provisoirement suspendue après qu’une caméra de vidéosurveillance l’a filmée non voilée dans une salle de classe.

« Elle a menacé de m'empêcher de poursuivre mes études si cela se reproduisait. Les déclarations écrites à caractère disciplinaire sont conservées dans nos dossiers et peuvent avoir une incidence négative sur notre admission à l'université », raconte la jeune femme.

« La directrice m'a dit que si nous enlevions nos foulards islamiques, cela montrerait que nous sommes contre la République islamique d'Iran et que si cela continuait, je serais transférée aux services de renseignement des Gardiens de la révolution où des choses horribles se produisent, en particulier pour les femmes », abonde Golnar.

Cours de moralité

Actuellement, une quinzaine de femmes et une adolescente de 16 ans sont poursuivies en justice uniquement parce qu’elles ne portaient pas le voile, portaient un hijab « inapproprié » ou un chapeau.

Il est difficile de quantifier l’ampleur de ces poursuites car les autorités ne publient pas de chiffres officiels. Toutefois, en janvier 2024, le chef de la police de la province de Qom, Mohammad Reza Mirheidary, a fait référence dans une déclaration à 1 986 affaires pénales en lien avec le port obligatoire du voile depuis mars 2023.

« Depuis la révolution "Femme, Vie, Liberté", 99 % du temps, je ne portais pas de hijab. C'était une forme de résistance », a expliqué Narges.

Nous avons étudié les cas de quatre femmes qui ont reçu des ordonnances de mise en accusation leur demandant de participer à des cours de « moralité » (jusqu’à cinq) et d’éviter toute conduite « criminelle » pendant une période maximale d’un an en vue de classer sans suite les poursuites à leur encontre.

« Depuis la révolution "Femme, Vie, Liberté" 99 % du temps, je ne portais pas de hijab. C'était une forme de résistance »

Narges

Selon l’une d’entre elles, la personne qui dispensait le cours avait reproché aux 40 participantes d’être responsables du taux élevé de divorce et les avait réprimandées pour s’être montrées « nues ». Une autre s’est vue ordonner d’écrire une lettre exprimant son repentir et a été menacée d’une amende.

« Le procureur m'a forcé à assister à un cours de morale au cours duquel un fonctionnaire nous a raconté n’importe quoi. Il nous a dit : "Vous laissez votre tête nue pour que les hommes vous regardent. Vous portez du rouge à lèvres pour que les hommes vous fassent des choses. Vous laissez votre tête nue pour vous exhiber. Si vous laissez votre tête nue, le nombre de divorces augmentera" », relate Firuzeh.

Lire aussi : En Iran, le viol comme arme de répression du régime

Dans un rapport que nous avons examiné, le ministère du Renseignement ordonnait la surveillance constante des activités en ligne d’une artiste, ciblée en raison de ses posts sur Instagram. Au moment de la publication de ce document, des poursuites sont en cours à l’encontre de six femmes.

« Partout où je vais, je me sens constamment stressée par le fait que les autorités me photographient et me filment, et que si je vais au tribunal une deuxième fois, elles me fouetteront et m'emprisonneront »

Najieh

En janvier 2024, les autorités ont exécuté une peine de 74 coups de fouet à l’encontre de Roya Heshmati parce qu’elle était apparue non voilée en public. Dans un témoignage sur son compte de réseaux sociaux, elle a raconté qu’un agent masculin l’avait flagellée, en présence d’un juge, dans une pièce qu’elle a décrite comme « une salle de torture médiévale ».

En plus des sanctions, les autorités chargées des poursuites et les juges ont menacé la plupart des femmes et des filles de flagellation et d’emprisonnement, l’une d’entre elles de mort et une autre de violences sexuelles.

« Partout où je vais, je me sens constamment stressée par le fait que les autorités me photographient et me filment, et que si je vais au tribunal une deuxième fois, elles me fouetteront et m'emprisonneront », s’inquiète Najieh qui raconte avoir développé une phobie de ce centre commercial.

« Nous ne sommes pas comme la République islamique. Si notre société était libre, nous aimerions que le port du voile ne soit pas obligatoire et que l'État soit laïque. Je veux dire au monde qu'il devrait soutenir notre génération et faire quelque chose pour que nous puissions, nous aussi, jouir des mêmes libertés que les jeunes d'autres pays : liberté d'expression, liberté vestimentaire, liberté de pensée », a déclaré Golnar, 17 ans.

Nous saluons le courage des Iraniennes et Iraniens qui continuent de s’opposer à l’oppression et de se battre pacifiquement pour leurs droits fondamentaux. Nous sommes à leurs côtés et demandons à la communauté internationale, et notamment à la France, de réagir dès maintenant. Ensemble, continuons de scander avec le peuple iranien  « Femme, vie, liberté ! » 

Nos demandes 

Les autorités iraniennes doivent :  

abolir l’obligation du port du voile ; 

annuler toutes les déclarations de culpabilité et toutes les peines prononcées contre des femmes ou des filles qui ont défié cette obligation ;

abandonner toutes les charges retenues contre celles qui encourent des poursuites, et libérer sans condition toutes celles qui ont été incarcérées parce qu’elles n’ont pas respecté l’obligation du port du voile ;  

abandonner les projets visant à sanctionner des femmes et des filles parce qu’elles ont exercé leurs droits à l’égalité, au respect de la vie privée et à la liberté d’expression, de religion et de croyance. 

Les États doivent :  

réagir par le biais de déclarations publiques et d’interventions diplomatiques énergiques ; 

réagir en actionnant les recours juridiques permettant de mettre en cause la responsabilité des dirigeants iraniens qui ont ordonné, planifié et commis des violations généralisées et systématiques des droits fondamentaux des femmes et des filles avec l’application de l’obligation du port du voile ;

aider les femmes et les filles à fuir, lorsqu’elles le souhaitent, la persécution liée au genre et les graves violations des droits humains commises en Iran ;  

veiller à ce qu’elles puissent accéder rapidement et en toute sécurité à la procédure de demande d’asile, et à ce qu’elles ne soient en aucun cas renvoyées de force dans leur pays. 

Agir

Je soutiens Narges Mohammadi

Pour agir rapidement pour Narges, nous vous proposons d’interpeller l’ambassade d’Iran en France par mail. Sa situation ne peut rester sous silence. Mobilisons-nous pour sa libération, aux côtés de ses proches, qui vivent actuellement en France.