Le Danemark a la réputation d’être un pays où l’égalité des genres est respectée. Pourtant, il affiche l’un des plus hauts taux de viols en Europe. Une législation inadaptée et des mythes et stéréotypes néfastes liés au genre ont entraîné une impunité généralisée pour les auteurs de viol.
Notre dernier rapport sur le Danemark révèle que le processus de dénonciation d’une violence sexuelle est très souvent éprouvant et plein d’obstacles. Un changement dans la législation est nécessaire pour réduire l’impunité.
Pour notre enquête, nous avons interviewé 18 femmes et filles de plus de 15 ans qui ont été victimes de viol, ainsi que des ONG, d’autres experts et les autorités compétentes.
Le viol, une question de consentement
La réalité est simple : tout rapport sexuel non consenti est un viol. Le fait qu’au Danemark la loi ne le reconnaisse pas expose les femmes aux violences sexuelles et alimente une dangereuse culture de culpabilisation des victimes et d’impunité, renforcée par des mythes et stéréotypes bien ancrés dans la société danoise : de la cour de récréation aux vestiaires, en passant par les postes de police et jusqu’à la barre des témoins.
Au titre de la Convention d’Istanbul, que le Danemark a ratifiée en 2014, tout acte à caractère sexuel non consenti est considéré comme une infraction pénale. Pourtant, la loi danoise ne définit toujours pas le viol sur la base de l’absence de consentement. La définition actuelle dans la loi est fondée sur la violence, la menace ou la contrainte ou l’incapacité démontrée de la victime à se défendre.
Or, les experts reconnaissent que la « paralysie involontaire » ou la « sidération » sont des réactions physiologiques et psychologiques très communes à une agression sexuelle.
La présomption dans la loi ou la pratique selon laquelle une victime était consentante si elle n’a pas résisté physiquement pose donc de graves problèmes.
Des viols non signalés, des auteurs impunis
Bien souvent, les femmes ne signalent pas les attaques qu’elles ont subies, par peur de ne pas être crues et ou même d’être culpabilisées et humiliées par la police et les représentants de la justice, par crainte de la stigmatisation sociale et du sentiment de culpabilité, et par manque de confiance dans le système judiciaire.
Au Danemark les victimes de viol ou de tentative de viol en 2017 seraient entre 5 100 (selon le ministère de la Justice) et 24 000 (selon une étude récente).
Parmi les femmes qui ont été victimes de viol ou de tentative de viol en 2017, seules 890 ont déclaré les faits à la police. Parmi ces cas, 535 ont entraîné des poursuites et seules 94 déclarations de culpabilité ont été prononcées.
Les obstacles pour obtenir justice sont nombreux. Les femmes sont abandonnées à des lois dangereuses et obsolètes qui ne répondent pas aux normes internationales.
En dépit des récentes mesures du gouvernement destinées à améliorer l’accès à la justice pour les victimes, des préjugés restent profondément ancrés dans le système judiciaire.
Résultat : l’impunité pour les violences sexuelles est extrêmement élevée. Même lorsque les victimes s’adressent à la police, les chances de voir des poursuites engagées et une déclaration de culpabilité prononcée sont extrêmement minces.
Culpabilisation, peur et préjugés
Kirstine, une journaliste de 39 ans, a essayé de déclarer son viol à quatre reprises. Lors de sa deuxième tentative, elle a été conduite dans une cellule où on lui a dit qu’elle pouvait être emprisonnée si elle mentait. Elle a raconté que le processus de signalement impliquait de « revivre la peur, la honte et l’humiliation ». « Si j’avais eu 20 ans, je n’aurais pas poursuivi après la première tentative », a-t-elle ajouté.
Une autre femme a déclaré qu’elle s’était sentie intimidée lorsqu’elle s’était adressée à la police.
J’avais tout juste 21 ans, j’étais assise là, avec deux hommes qui me regardaient en me disant « vous êtes sûre que vous voulez signaler cela ? »... Je n’étais qu’une jeune fille qui « prétendait » qu’elle avait été violée.
Une femme victime de viol au Danemark.
Bien qu’il existe des lignes directrices nationales pour les forces de l’ordre sur la gestion des affaires de viol, les pratiques de la police restent hétérogènes et bafouent souvent ces directives, ainsi que les normes internationales.
Les femmes et les filles qui dénoncent un viol sont confrontées à de longues procédures devant les tribunaux et l’expérience peut être éprouvante et frustrante.
Emilie a déclaré qu’elle ne porterait pas plainte si elle était de nouveau violée.
Lorsqu’ils vous poussent vraiment à bout au tribunal, c’est comme revivre toute cette expérience, et finalement on se sent encore plus mal, on se dit « c’est ma faute, c’est moi qui ai fait une erreur »
Emilie, victime de viol.
Le Danemark rejoindra-t-il la vague de changement ?
Le gouvernement danois a récemment mis en place un groupe d’experts chargé de recommander des mesures qui permettront d’aider les victimes de viol à obtenir le soutien nécessaire et une prise en charge professionnelle.
Cette initiative constitue un pas en avant, mais elle ne sera pas efficace tant que la législation ne sera pas fondée sur la notion de consentement et tant que des mesures plus ambitieuses ne seront pas prises :
pour lutter contre les stéréotypes liés au viol et au genre,
pour proposer aux personnes travaillant avec des victimes de viol une formation continue adaptée,
pour garantir une éducation à la sexualité dès le plus jeune âge.
En modifiant ses lois archaïques et en mettant fin à la culture insidieuse de culpabilisation des victimes et aux stéréotypes néfastes qui entachent les procédures judiciaires, le Danemark pourra rejoindre la vague de changement qui touche l’Europe. Cette vague, menée par de courageuses femmes, a déjà poussé huit pays européens à adopter des définitions du viol fondées sur le consentement : la Suède, le Royaume-Uni, l’Irlande, le Luxembourg, l’Allemagne, Chypre, l’Islande et la Belgique.
Ainsi au Danemark aussi, les femmes ne devront plus se demander si elles sont responsables de leur viol ou si leur agresseur sera un jour puni.
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