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URGENCE PROCHE ORIENT

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Une femme déplacée porte un enfant dans une école du village d'Afdera, à 225 km de Semera, en Éthiopie, le 15 février 2022. © Eduardo Soteras / AFP

Une femme déplacée porte un enfant dans une école du village d'Afdera, à 225 km de Semera, en Éthiopie, le 15 février 2022. © Eduardo Soteras / AFP

Comment les violences sexuelles sont devenues une "arme de guerre" en Éthiopie 

En Éthiopie, où un violent conflit fait rage depuis deux ans, les violences sexuelles, notamment les viols, sont devenues monnaie courante… Elles sont parfois utilisées comme armes de guerre. L’objectif ? Infliger une souffrance durable aux victimes.  

Ces trois dernières années, la guerre à huis clos qui s'est déroulée dans le nord de l’Éthiopie, au Tigré, est devenue l'un des conflits les plus violents et meurtriers de la planète. Des dizaines de milliers de personnes ont été tuées. Et les violences sexuelles, telles que des viols, viols en réunions, situations d’esclavage sexuel, mutilations sexuelles et grossesses forcées, ont été utilisées comme de véritables armes de guerre. 

Malgré un accord de paix signé en novembre 2022 entre le gouvernement éthiopien et le Front de libération du peuple du Tigré, les atrocités commises contre les civil·es dans le Tigré se sont poursuivies. 

Notre nouvelle enquête révèle que pendant près de trois mois après la signature de l’accord du cessez-le-feu, les soldats des forces de défenses érythréennes (FDE) ont violé et réduit en esclavage sexuel des femmes. 

Les violences sexuelles, c’est quoi ?  

Les violences sexuelles renvoient à tout acte sexuel non consenti sur une tierce personne. Elles peuvent être pratiquées sous le coup d’une menace ou d’une tentative de menace afin de contraindre la personne à se livrer à un tel acte.  

En temps de conflit, les violences sexuelles peuvent prendre diverses formes, telles que :  

- le viol, défini par le droit international comme une pénétration sexuelle ou une invasion superficielle commise par la force ou la menace de la force, la contrainte dans un environnement où la personne est incapable de donner son consentement ;

- la stérilisation, la circoncision forcée et les mutilations génitales féminines ;

- ou encore l’esclavage sexuel.

La qualification de violences sexuelles en temps de conflits ne dépend ni de l’âge, ni du genre, ni de la validité de la personne. La majorité des données mettent en lumière des violences sexuelles à l’encontre des femmes. Elles ne sont cependant pas les seules à subir ces attaques. 

Les violences sexuelles comme "arme de guerre"

Toute les formes de violences sexuelles peuvent être qualifiées d'arme de guerre dès lors qu’elles sont considérées comme un outil stratégique utilisé pour détruire des individus et des communautés.  

L’objectif ? Infliger un préjudice physique et psychologique durable aux victimes, en les terrorisant et en les humiliant, et persécuter le groupe ethnique auquel elles appartiennent. 

Que dit le droit ? 

En 2008, le Conseil de sécurité des Nations unies a noté dans sa résolution 1820 que les violences sexuelles sont utilisées "comme tactique de guerre pour humilier, dominer, inspirer la peur, disperser et/ou réinstaller de force les membres civils d'une communauté ou d'un groupe ethnique".  

Dans sa résolution 2467, adoptée en 2019, le Conseil de sécurité a confirmé l'utilisation de la violence sexuelle comme tactique de guerre, comme "objectif stratégique". 

D’un point de vue juridique, l’utilisation des violences sexuelles en temps de conflit constitue un crime de guerre, voire un crime contre l’humanité. 

Mais alors, comment ces atrocités sont-elles devenues monnaie courante dans le cadre du conflit en Ethiopie ?   

Une pratique courante et généralisée 

Dans le cadre du conflit en Éthiopie, il ne s’agit clairement pas de quelques cas isolés. Il s’agit un phénomène à grande échelle” explique Donatella Rovera, l'une des chercheuses d'Amnesty International qui a enquêté sur le conflit en Éthiopie.

Au cours de ses enquêtes, elle a récolté de nombreux témoignages qui font état de violences sexuelles perpétrées par les deux parties.

Ces crimes sexuels sont perpétrés de manière organisée. Pour blesser, humilier, punir et terroriser toute une communauté. Et ils s’accompagnent parfois d’insultes à caractère racial ou ethnique.

Donatella Rovera, chercheuse spécialisée dans les conflits à Amnesty International France

Aller plus loin : Entretien avec Donatella Rovera sur les violences sexuelles comme arme de guerre au Tigré

© Eduardi Soteras / AFP

Des crimes qui ont continué malgré l’accord de paix

Les violences sexuelles n’ont pas pris fin immédiatement après la signature de l’'accord de cessation des hostilités entre le gouvernement fédéral éthiopien et le Front populaire de libération du Tigré (FPLT) en novembre 2022.  

Dans notre nouvelle enquête parue en septembre 2023, plusieurs femmes témoignent avoir été victimes de viols et d’esclavage sexuel dans le sous-district de Kokob Tsibah juste avant et après la signature de l’accord de paix. Certaines femmes ont été violées dans un camp militaire des FDE ou dans des logements dont les FDE avaient pris possession. 

D’autres femmes ont été violées chez elles. 

Ils m’ont dit : “Que tu cries ou pas, personne ne viendra te sauver.” Puis ils m’ont violée pendant environ trois mois. Ils me violaient à tour de rôle, comme par roulement.

Bezawit, 37 ans, mère de deux enfants, violée par trois soldats des forces de défenses érythréennes (FDE) et retenue prisonnière dans sa propre maison pendant près de trois mois. 

Les cas de viol et d’esclavage sexuel recensés dans le district de Kokob Tsibah pourraient constituer des crimes contre l’humanité. 

Pour mieux comprendre l'ampleur de ces violences, voici trois rapports clés.

👉">Today or Tomorrow, They Should Be Brought Before Justice” – Rape, Sexual Slavery, Extra-Judicial Executions and Pillage by Eritrean Forces in Tigray", montre que malgré l’accord de paix entre le gouvernement et le front de libération du peuple du Tigré (FLPT,) les atrocités contre les civil·es ont continué. Des soldats érythréens alliés au gouvernement fédéral éthiopien ont violé et réduit en esclavage sexuel des femmes, exécuté de manière extrajudiciaire 24 civil·es et commis des pillages.  

👉 I don’t know if they realized I was a person. Dans ce rapport, nous révélons que des combattants des armées éthiopiennes et érythréennes et des forces de la région Amhara sont les auteurs de viols et d’autres violences sexuelles à l’encontre de centaines de femmes et de filles dans le Tigré. Au-delà des nombreux témoignages de viols recueillis, certaines victimes ont déclaré avoir été maintenues en esclavage sexuel pendant plusieurs jours, et délibérément humiliées. Lire notre article.

Letay, 20 ans, témoigne : « Trois hommes sont arrivés dans la pièce. C’était le soir, il faisait déjà nuit [...] Je n’ai pas crié ; ils m’ont fait comprendre par des gestes que je ne devais pas faire de bruit, sinon ils me tueraient. Ils m’ont violée l’un après l’autre [...] J’étais enceinte de quatre mois ; je ne sais pas s’ils s’en sont rendu compte. Je ne sais pas s’ils se sont rendu compte que j’étais une personne ».

👉 We will erase you from this land. Ce rapport, publié en collaboration avec Human Rights Watch, fait la lumière sur la campagne implacable de nettoyage ethnique menée par les forces de sécurité régionales amhara à l’encontre de la population tigréenne. Une campagne de nettoyage ethnique au cours de laquelle ils ont utilisé, entre autres, des violences sexuelles. Ces violences, parce qu’elles s’inscrivent dans une série d’attaques généralisées et systématiques contre la population tigréenne, constituent des crimes de guerre et crimes contre l’humanité.  Lire notre article.

👉 Summary killings, rape and looting by Tigrayan forces in Amhara. Un rapport qui montre comment les forces tigréennes se sont elles aussi rendues coupables de violences sexuelles, à l’encontre de la population amhara. Des dizaines de femmes et de jeunes filles habitant à Chenna, un village situé au nord de la capitale amhara, témoignent de leur calvaire. Elles ont été violées, abusées le plus souvent dans leurs propres maisons, parfois en réunion, ou sous les yeux de leurs enfants, et après avoir été obligées de donner à manger ou de cuisiner pour leurs bourreaux. Lire notre article.

Des effets dévastateurs 

Toutes ces violences sexuelles entrainent des traumatismes durables, et de nombreuses complications.

Les traumatismes physiques sont nombreux : saignements persistants, maux de dos, incapacité de se mouvoir, fistules, incontinence, naissance de bébés prématurés ou encore infections sexuellement transmissibles, comme le VIH. Certaines victimes ont parfois subi des dommages irréparables occasionnés par exemple par de grands clous, du gravier et d’autres morceaux de métal ou de plastique qui ont été insérés dans leur vagin.  

L’impact psychologique est durable : dépression, insomnies, apparition d’un stress post-traumatique... 

À ces souffrances, s’ajoute le fait que les victimes n’ont pas bénéficié d’un soutien suffisant. À ce jour, la plupart des victimes et témoins de violences sexuelles dans le cadre du conflit en Éthiopie n’ont pas reçu d'accompagnement psychologique ou médical. 

Mettre fin à l’impunité 

Est-ce qu’il y a des ordres donnés par les responsables des combattants qui ont commis ces actes ? On ne le sait pas", précise Donatella. Mais ce qu’on sait, par contre, c’est que les dirigeants n’ont pas pris les mesures nécessaires pour empêcher, arrêter ces pratiques et traduire en justice les coupables : "Lorsque nous avons rendu public les résultats de nos enquêtes, les autorités gouvernementales ont promis d’enquêter, d’arrêter un certain nombre de soldats, mais ils n’ont jamais apporté d’éléments probants ou des preuves de ces actes. Y a t-il eu des procès ? Aucun élément en ce sens n’a été porté à notre connaissance.” Et du côté des forces tigréennes ? “Nous avons eu des promesses, mais nous n’avons rien eu de concret”, reproche notre chercheuse. 

C'est pourquoi le combat doit continuer. "L’impunité encourage la poursuite de ces pratiques", insiste Donatella. "Il faut y mettre fin".

Ce que nous demandons  

- Des mesures immédiates de la part de l’État éthiopien pour empêcher et faire cesser les violences sexuelles répétées de la part des militaires et miliciens.  

- Que l’ensemble des allégations de violences sexuelles fassent l’objet d’une enquête : efficace, indépendante et impartiale.  

- Que toutes les parties au conflit veillent à ne pas entraver l’aide humanitaire. 

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