Des milliers de victimes de violations des droits humains commises dans le passé risquent de ne jamais obtenir justice si les autorités tunisiennes mettent fin aux travaux de l'Instance Vérité et Dignité (IVD).
L'IVD, créée en 2014 avec un mandat de quatre ans, est chargée de veiller à ce que les responsables des violations commises, avant la révolution tunisienne de 2011, répondent de leurs actes. L'IVD a commencé à transmettre des dossiers aux tribunaux à la fin du mois de mars.
Au cours des quatre dernières années, l'IVD a enquêté sur plus de 60 000 cas de violations des droits humains commises en Tunisie, dont un grand nombre remontent à plusieurs dizaines d'années. Cependant, l'Assemblée des Représentants du Peuple a rejeté par un vote la demande visant à prolonger son mandat au-delà de mai 2018.
Il s'agit là d'une tentative indigne visant à empêcher la reddition de comptes pour des violations des droits humains commises dans le passé, et à faire échouer un mécanisme de justice durement acquis que les Tunisiens attendaient depuis longtemps.
Des dizaines de milliers de victimes ont placé leur confiance dans cet organe essentiel chargé d'enquêter sur des violations des droits humains et des crimes qui restent impunis depuis plusieurs décennies. Le fait d’empêcher l’IVD d’accomplir son mandat reviendrait à sonner le glas de la justice en Tunisie.
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Justice sera-t-elle rendue ?
Cette semaine, elle a transmis aux chambres criminelles spécialisées deux dossiers de premier plan relatifs à des personnes mortes des suites d'actes de torture, mais elle risque d'être arrêtée par les autorités tunisiennes avant qu'elle n'ait pu achever le dernier volet de son travail.
Ces deux dossiers, qui concernent Nabil Barakati et Faysal Baraket, sont devenus emblématiques des nombreux cas de torture et de violations des droits humains qui ont marqué le passé de la Tunisie.
Les proches de Nabil Barakati, tué par les forces de sécurité en 1987, nous ont informés que les souffrances qu'ils endurent depuis plusieurs décennies ne pourront pas s'apaiser sans un véritable processus judiciaire.
« Nos blessures ne pourront pas se refermer si nous n'obtenons pas justice pour Nabil. Nous avons besoin de voir tous les responsables de la mort de Nabil, y compris ceux qui ont contribué à étouffer cette affaire, déférés à la justice dans le cadre d'un procès équitable qui permettra à Nabil d'obtenir véritablement justice. Nous voulons que cesse la pratique de la torture en Tunisie », a déclaré Ridha, le frère de Nabil.
Faysal Baraket, quant à lui, est mort en 1991, et depuis aucune des personnes soupçonnées d'être responsables de sa mort n'a été déférée à la justice, malgré la réouverture d'une enquête judiciaire sur cette affaire en 2009.
L'IVD a transmis aujourd'hui le dossier relatif à Faysal Barakat aux chambres pénales, ce qui redonne espoir à ses proches.
Jusqu'à présent, l'IVD a transmis quatre dossiers aux tribunaux, mais elle mène des investigations sur plusieurs centaines de cas de violations des droits humains, notamment des cas de mort en détention, de torture et de disparition forcée, et elle a besoin de davantage de temps pour transmettre d'autres dossiers recevables.
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Un manque de bonne volonté de la part de l’État
L'une des raisons préoccupantes pour lesquelles l'IVD a demandé une prolongation de son mandat est le manque de coopération d'organes de l'État tels que le ministère de l'Intérieur et le ministère de la Défense, ce qui a ralenti davantage encore ses enquêtes.
Le ministère de l'Intérieur a rejeté les requêtes de l'IVD visant à pouvoir consulter les archives de la police politique, et le ministère de la Défense refuse toujours de fournir les archives concernant des procès devant la justice militaire liés à des enquêtes menées par l'IVD.
Les tentatives visant à entraver le travail de l'IVD à ce stade crucial sont symptomatiques du climat d'impunité qui prévaut pour les violations des droits humains commises en Tunisie, et du fait que les autorités n'ont pas la volonté politique de combattre cette impunité.
L'Assemblée des Représentants du Peuple doit soutenir le travail très important de l'IVD au lieu d'essayer de l'abréger, notamment en veillant à ce que les organes de l'État coopèrent pleinement avec elle.
C'est le moindre qu'il puisse faire pour ne pas insulter les terribles souffrances endurées par les victimes qui attendent depuis plusieurs décennies que justice leur soit rendue.
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