À quelques jours des élections présidentielles en Guinée, notre enquête dénonce la répression des forces de l’ordre lors des manifestations contre le 3ème mandat d’Alpha Condé.
Mise à jour du 15/12/2020 : Nous continuons à documenter la situation en Guinée. Entre octobre 2019 et 2020, nous dénombrons actuellement 66 personnes tuées et plus de 200 blessés
Les faits que nous avons analysé ont eu lieu entre entre octobre 2019 et juillet 2020. Au moins 50 personnes ont été tuées, plus de 200 blessées et de nombreuses arrestations et détentions arbitraires ont été constatées. C’est le jour du référendum sur la réforme constitutionnelle, le 22 mars 2020, que la répression a été la plus violente. Au moins 12 manifestants ont été tués ce jour-là.
Aujourd’hui, exercer son droit à la liberté de réunion pacifique reste toujours dangereux en Guinée. L’impunité pour les violations des droits reste la règle.
Des morts et des dizaines de blessés par balle
Nous avons documenté des dizaines de blessés par armes à feu. Le 22 mars, au moins 9 manifestants ont été tués par balle. En octobre et novembre 2019, au moins 15 personnes ont été blessées dont huit par arme à feu. Le 14 octobre, un maçon de 29 ans est devenu paraplégique après avoir été atteint par une balle entrée par le cou et ressortie par le dos.
« […] On marchait vers les gendarmes qui étaient protégés par des casques. L’un d’eux, camouflé, a tiré sur nous. Il a tiré sur un ami tué sur le coup, puis il a tiré sur moi. Je ne dors pas à cause de la douleur. »
un maçon de 29 ans
Les forces de défense et de sécurité ont aussi parfois blessé des personnes en les percutant avec un véhicule. Un homme a succombé à ses blessures quelques jours après avoir été écrasé le 22 mars par un véhicule de la gendarmerie. Un témoin raconte : “il courait quand il a été heurté. Ses deux pieds et sa tête ont été écrasés...”
Des interdictions de manifester abusives
Le rapport met également en relief les nombreuses atteintes au droit à la liberté de réunion pacifique. Par exemple, au moins 10 interdictions de manifester contre le projet de changement de constitution ont été recensées en quatre mois dans le pays. Les motifs invoqués par les autorités sont restés plus vagues les uns que les autres, et contraires au droit international.
À Kindia par exemple, en novembre 2019, les autorités ont interdit une manifestation parce que : « le lundi est le premier jour de la semaine, jour où l’Administration tout entière commence le travail, jour où les élèves, étudiants doivent aller en classe, et la population qui doit aussi vaquer à ses occupations quotidiennes. »
Soixante-dix personnes ont été arrêtées et détenues arbitrairement pour avoir protesté notamment contre le projet de réforme constitutionnelle. Plusieurs d’entre elles nous ont raconté qu’elles avaient subi des traitements inhumains ou dégradants lors de leur détention. Ces comportements de l’armée violent les lois internationales.
Des corps refusés dans des morgues
Le 22 mars, certains corps de personnes décédées durant des manifestations ont été refusés dans des morgues d’hôpitaux publics. Des informations crédibles laissent penser que les autorités étaient à l’origine de ce refus. Le refoulement de ces corps par les hôpitaux publics signifie que les victimes ne figurent pas dans le bilan des morts du gouvernement. En conséquence, les familles n’ont pas obtenu de certificat de décès et il n’y a pas eu d’autopsie facilitant l’ouverture d’une enquête judiciaire.
Nous avons parlé à des familles meurtries qui nous ont décrit comment leurs enfants ont perdu la vie, victimes d’une balle reçue dans le dos, à la poitrine, à la tête ou au cou. Des blessés nous ont montré leurs graves séquelles au bras, genou ou pied, causées par des armes à feu, des grenades lacrymogènes ou même des véhicules des forces de sécurité.
La quasi-totalité des enquêtes restées sans suite
Les autorités ont fréquemment annoncé l’ouverture d’enquêtes sur les cas de personnes tuées lors de manifestations. Mais elles sont restées sans suite pour la quasi-totalité d’entre elles, bafouant ainsi le droit à la justice des victimes de violations de droits humains ou de leurs familles. Des menaces, la peur de subir des représailles et l’absence de confiance dans la justice ont conduit des victimes ou leurs proches à se cacher et à ne pas porter plainte. Il est fort à craindre que l’impunité favorise la répétition de ces violations et la défiance envers les institutions.
Des actes concrets sont attendus de la part des autorités pour que justice soit rendue aux victimes et à leurs familles. Quiconque sera élu à l’issue de l’élection présidentielle du 18 octobre prochain sera tenu de garantir que des enquêtes et poursuites soient menées sur toutes ces violations, et que les personnes suspectées soient traduites devant les tribunaux compétents.
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