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Des manifestants courent après l'envoi de tirs par la police à Yangon le 1er mars 2021, Myanmar / ©Aung Kyaw Htet - SOPA Images/Sipa USA via Reuters
Liberté d'expression

Myanmar: des armes de guerre utilisées contre les manifestants

Un massacre à huis clos a lieu au Myanmar. Notre nouvelle recherche a analysé des vidéos prouvant que l'armée au pouvoir réprime les manifestations par des armes de guerre et commet des exécutions extrajudiciaires. Tirer pour tuer, telle est la stratégie des militaires.

Depuis le 1er février - jour du coup d'État perpétré par l'armée - le Myanmar s'enfonce un peu plus dans la violence. Pour écraser toute forme de contestation, la junte militaire réprime les manifestations par la force meurtrière. Selon le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits humains au Myanmar, le nombre de victimes parmi les manifestants s'élevait à 61 à la date du 4 mars. Cette estimation officielle ne tient pas compte des nouveaux décès enregistrés ces derniers jours. 

Nous avons examiné 55 vidéos filmées entre le 28 février et le 8 mars par des citoyens et des médias locaux dans plusieurs villes du pays. Ces images révèlent que, partout dans le pays, l'armée du Myanmar utilise des méthodes de plus en plus meurtrières de manière planifiée et systématique.

Beaucoup des homicides commis s'apparentent à des exécutions extrajudiciaires. Nos chercheurs ont identifié dans les vidéos l’utilisation d’armes de guerre contre des manifestants pacifiques et de simples passants.

Ces tactiques militaires sont loin d'être nouvelles, mais les images de la folie meurtrière de l'armée de Myanmar n'avaient jamais auparavant été diffusées en direct sous les yeux du monde entier.

Joanne Mariner, directrice du programme Réaction aux crises d'Amnesty International.

La stratégie meurtrière de l’armée

Suite à notre analyse de vidéos, nous pouvons confirmer que les forces de sécurité usent de stratégies dans le seul but de tuer les manifestants. La force meurtrière est utilisée de façon planifiée, préméditée et coordonnée.

Dans une vidéo filmée à Yangon, le 2 mars, on voit un commandant se tenir debout auprès d'un soldat qui tire avec un fusil à lunette. Le commandant semble lui donner des ordres et lui indiquer quels manifestants viser.

Lire aussi : une répression sanglante au Myanmar depuis le coup d'État militaire

Deux personnes ont été tuées et d'autres ont été blessées le 8 mars à Myitkyina, dans l'État kachin. Dans une vidéo vérifiée, on peut voir un groupe de personnes fuyant un épais nuage de fumée, tandis que des tirs retentissent au loin. On entend des cris horrifiés et des voix paniquées dire « Ça brûle tellement ! » et « Quelqu'un est mort ! ». Dans la vidéo, on voit qu'une personne grièvement blessée à la tête est emmenée. D'autres personnes blessées sont ensuite traînées au sol, laissant de larges traces de sang sur la route.

Ces faits sont le témoignage d'un mépris irresponsable pour la vie humaine. Pour l’armée birmane, tirer à balles réelles sur des manifestants est devenu un véritable sport. Mais ces faits révèlent surtout une coordination délibérée au sein des forces de sécurité.

Répression avec des armes fournies par d'autres pays

Des photos et des vidéos montrent aussi que la police a accès à des armes à létalité réduite classiques, telles que des lanceurs de balles en caoutchouc fabriqués par la société turque Zsr Patlayici Sanayi A.S et des chargés de projectiles provenant de l'entreprise franco-italienne Cheddite.

Nos vidéos révèlent un recours excessif aux gaz lacrymogènes, aux canons à eau, aux grenades assourdissantes Dae Kwang DK-44, de fabrication sud-coréenne, et à d'autres méthodes controversées de « contrôle des foules », sans compter les violences physiques inqualifiables infligées par des membres des forces de sécurité. 

Outre l'usage sans discernement d'armes à létalité réduite, chaque jour qui passe montre que l'ordre a semble-t-il été donné de déployer de plus en plus d'armes lourdes pour réprimer les manifestations. Il ne fait aucun doute que le Myanmar est entré dans une nouvelle phase de la crise, plus meurtrière.

Des armes de guerre utilisées dans les villes

Les vidéos montrent clairement que les hommes de la tatmadaw – le nom de l’armée au Myanmar – sont  de plus en plus équipés d'armes adaptées aux seuls champs de bataille, et non aux opérations de maintien de l'ordre. Dans certaines vidéos, on voit des membres des forces de sécurité agir de façon irresponsable, tirant sans discernement et à balles réelles dans des zones urbaines et en plein centre-ville.

Nous avons identifié des membres des forces de sécurité équipés d’un véritable arsenal militaire: mitrailleuses légères RPD, de fabrication chinoise, ainsi que des armes fabriquées au Myanmar, comme des fusils à lunette MA-S. Ces armes sont totalement inadaptées à un usage dans le cadre du maintien de l'ordre pendant des manifestations. Selon les Principes de base des Nations unies sur le recours à l'utilisation des armes à feu par les forces de sécurité, elles ne doivent utiliser des armes à feu qu'en cas de menace de mort ou de blessure grave et en l'absence de toute autre solution appropriée.

Le déploiement de divisions militaires tristement célèbres

Selon les vidéos que nous avons examinées, plusieurs membres de l'armée, dont des hauts gradés, avaient déjà été impliqués dans des crimes passés : crimes de guerre perpétrés dans le nord de l'État chan en 2016 et 2017 et crimes contre l’humanité visant les Rohingyas dans l’État d’Arakan en 2017. 

Comprendre : Crime de guerre et crime contre l'humanité

Pendant des années, les minorités ethniques, parmi lesquelles les peuples chan, chin, kachin, karen, rakhine, rohingya et ta'ang, ont été les principales victimes des violences effroyables commises par la tatmadaw. Avec d'autres groupes de défense des droits humains, nous avons appelé le Conseil de sécurité des Nations unies à saisir la Cour pénale internationale sur la situation au Myanmar et à demander que les hauts responsables de l'armée soient traduits en justice. Or, le Conseil de sécurité n'a rien fait en ce sens et, aujourd'hui, ces mêmes unités militaires s'en prennent aux manifestants.

Les autorités militaires doivent immédiatement mettre un terme à ce massacre, désenvenimer la situation dans le pays et libérer toutes les personnes qui sont arbitrairement détenues.

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