Quand en août 2013, le Brésilien David Miranda, en voyage pour Rio de Janeiro, a transité comme d’habitude par Londres, il ne s’attendait pas à se retrouver dans la ligne de mire des lois antiterroristes britanniques. Cet exemple reflète bien les dérives de la lutte antiterroriste en Europe, y compris contre des journalistes.
En juin 2013, Edward Snowden se retrouvait avec les journalistes Laura Poitras et Glenn Greenwald dans une chambre d’hôtel à Hong Kong pour leur remettre les milliers de documents de la NSA qui allaient faire éclater le scandale de la surveillance de masse à l’échelle internationale. Seulement deux mois après, le mari de Glenn Greenwald, David Miranda, était interpellé, fouillé, puis interrogé pendant neuf heures alors qu’il transitait par Londres pour se rendre au Brésil, pour une participation présumée à des actes d’« espionnage » et de « terrorisme ». Son téléphone mobile, son ordinateur portable, son disque dur externe et d’autres appareils furent confisqués.
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Interpellation terroriste sans motif terroriste
A l’aéroport de Londres, David Miranda a été interpellé en vertu de l’annexe 7 de la loi de 2000 relative au terrorisme, laquelle confère à diverses instances des pouvoirs larges et radicaux pour interpeller, fouiller et arrêter des personnes dans des ports, des aéroports et des gares internationales. Ces pouvoirs peuvent être appliqués en l’absence de soupçon raisonnable d’une quelconque implication dans des actes terroristes – ou de toute autre activité criminelle. Le refus de répondre aux questions pendant un interrogatoire constitue en soi une infraction. La portée de cette loi a été vivement critiquée, et des voix se sont élevées pour demander des modifications.
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Dès le lendemain de l’interrogatoire de David Miranda, nous déclarions qu’il n’y avait « simplement aucun motif » de croire que David Michael Miranda représentait une quelconque menace pour le gouvernement du Royaume-Uni. La seule explication plausible à cette arrestation était la volonté de harceler cet homme et son partenaire, le journaliste du Guardian Glenn Greenwald, pour le rôle de ce dernier dans l'analyse des données révélées par Edward Snowden.
Quand la lutte antiterroriste sert à réprimer la liberté d’expression
Lorsqu’il a contesté sa détention devant la Haute Cour, David Miranda a déclaré que cet interrogatoire visait à l’intimider et à punir les personnes qui participeraient à la diffusion et à la publication d’informations d’intérêt public sur les opérations de l’agence américaine de sécurité nationale (NSA) et de l’agence de renseignement britannique (GCHQ). Mais en février 2014, la Haute Cour a jugé légaux l’interrogatoire et la détention de David Miranda. Cette décision est profondément dérangeante car elle confirme la possibilité de recourir aux lois antiterroristes contre des personnes participant à des reportages présentant un intérêt public fondamental, de plus, elle ne peut avoir qu’un effet dissuasif sur l’exercice de la liberté d'expression.
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La Cour d’appel, devant laquelle cette décision a par la suite été contestée, a rendu une tout autre décision, considérée comme une victoire pour la liberté de la presse. Dans un arrêt de janvier 2016, la Cour d’appel a estimé que « si des journalistes et leurs sources ne peuvent pas espérer la moindre confidentialité, ils risquent de décider de ne pas fournir des informations portant sur des questions sensibles d’intérêt public. C’est pourquoi il est si important que de telles informations portent le sceau de la confidentialité. » La Cour d’appel a statué que l’interpellation était légale en vertu de la loi en vigueur, mais que les pouvoirs relatifs à la lutte contre le terrorisme étaient contraires au droit relatif aux droits humains – car ceux-ci n’étaient pas assortis des garanties empêchant qu’il y soit recouru de façon abusive – et elle a expressément invité le Parlement à instaurer une protection contre ces abus.
Des décisions de justice rejetées par l’exécutif
L’avocate de David Miranda, Kate Goold, s’est félicitée de cet arrêt et a déclaré au Guardian :
L’idée selon laquelle un journaliste pourrait devenir un terroriste par accident a été rejetée sans réserve .
En octobre 2016, le ministre de l’Intérieur a rejeté l’arrêt de la Cour d’appel sans autre forme de procès, déclarant que la loi ne serait pas modifiée, car le moment était « inopportun ». L’annexe 7 relative à ces pouvoirs demeure donc inchangée. Comme partout en Europe, des lois antiterroristes liberticides continuent d’être votées et mises en œuvre alors que le judiciaire, garant de l’indépendance de nos institutions, est de plus en plus mis à mal face au pouvoir de l’exécutif.