En pleine pandémie de Covid-19, les juges de « tribunaux itinérants en charge des affaires de terrorisme » de la Cour pénale du Caire prolongent la détention provisoire de plus de 1 600 personnes. Ces décisions qui visent principalement des prisonnières et prisonniers d’opinion sont arbitraires et doivent être immédiatement annulées.
Des décisions arbitraires et massives
Le 3 mai, les « tribunaux itinérants en charge des affaires de terrorisme » ont repris les audiences sur la prolongation de la détention, elles étaient interrompues depuis le 16 mars, en raison des craintes liées à la pandémie de Covid-19. Pour autant, depuis la mi-mars, les personnes inculpées dans des affaires instruites par le SSSP (parquet de la Sûreté de l'État) sont détenues sans motif légal en Égypte. La semaine du 7 mai, des « tribunaux itinérants en charge des affaires de terrorisme » ont rendu des décisions rétroactives dans le but de régulariser ces périodes de détention provisoire.
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Alors qu’aucune des personnes concernées n’a pu être présente lors des audiences et que leurs avocats n’ont pu présenter leur plaidoirie, le 4 et le 6 mai, il a été décidé que dans l’attente des investigations du parquet de la Sûreté de l'État (SSSP), les inculpés seraient maintenus en détention de façon prolongée, et cela alors que certains d'entre eux le sont déjà depuis plus de deux ans. De plus depuis le 9 mars, en raison de la pandémie de Covid-19, les autorités égyptiennes n’autorisent ni les avocats ni les familles à communiquer de façon privée avec les personnes incarcérées. Certaines prisons ont toutefois autorisé des détenus à envoyer et recevoir des lettres.
Des détentions provisoires pour une durée indéterminée
On dénombre un certain nombre de personnes dont la période de détention provisoire a même été prolongée au-delà de la durée maximale de deux ans prévue par le Code de procédure pénale égyptien. Le cas de Moustafa Gamal est emblématique. Alors que le jeune homme de 25 ans est maintenu en détention provisoire depuis mars 2018, un juge a prononcé le 6 mai une prolongation de 45 jours de sa période de détention. C’est uniquement parce qu’en 2015 il a obtenu une marque de vérification pour la page de média social du chanteur Ramy Essam, où une chanson intitulée « Balha » qui fait la satire du président Abdelfatah al Sisi, a été publiée trois ans plus tard, qu'il a été mis en détention alors qu’il n’a pas participé à sa production.
Moustafa Gamal est la dernière personne maintenue en détention dans l'attente d'une enquête dans l’affaire liée à cette chanson, depuis le récent décès du cinéaste Shady Habash, âgé de 24 ans, dans la prison de Liman Tora. Il y était détenu depuis mars 2018 dans le cadre d’une enquête portant sur son rôle dans la production de cette chanson. La détention de Shady Habash dépassait la limite de deux ans prévue par la loi, au moment de son décès. Nous avons par ailleurs établi que cette chanson ne comporte aucune incitation à la haine, et qu’elle est de ce fait protégée par le droit à la liberté d'expression, un des droits fondamentaux.
Le droit international bafoué
En utilisant de façon systématique le maintien en détention provisoire de façon prolongée et pour une durée indéterminée, les autorités égyptiennes sanctionnent ainsi le personnes considérées comme des opposants politiques, des militants ou des défenseurs des droits humains. Elles donnent également une apparence de légalité à ce qui constitue de toute évidence des décisions concernant des détentions sommaires massives.
Parmi les personnes dont la détention provisoire a été prolongée la semaine du 7 mai, on retrouve des défenseurs des droits humains, notamment Mohamed el Baqer, détenu depuis le 29 septembre 2019, les journalistes Solafa Magdy et Hossam el Sayed, détenus depuis novembre 2019 et le militant Alaa Abdelfatah, détenu depuis septembre 2019. Toutes ces personnes sont incarcérées dans l’attente d’une enquête portant sur des accusations sans fondement liées à leurs activités pacifiques. Aux termes du droit international, la détention dans l’attente du procès est une mesure préventive destinée à empêcher des préjudices supplémentaires ou des entraves à la justice, et non une sanction. Elle ne doit pas être utilisée à des fins illégitimes ou constituant un abus de pouvoir, et ne doit pas durer plus longtemps qu’il n’est nécessaire. Les préoccupations en matière de santé publique liées à la pandémie de Covid-19 ne justifient pas le déni total des droits relatifs à l’équité des procès.
Ces mesures sont disproportionnées par rapport aux objectifs de lutte contre la pandémie de Covid-19. Elles portent atteinte aux droits à la liberté et à un procès équitable. Nous demandons aux autorités égyptiennes de libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes qui sont détenues pour avoir pacifiquement exprimé leurs opinions, défendu les droits humains ou participé à la vie politique. Il est primordial de veiller à ce que toutes les autres personnes maintenues en détention provisoire soient en mesure de contester la légalité de leur détention ou soient remises en liberté. Certains détenus le sont depuis plusieurs années dans le cadre d’une procédure entachée de graves violations des normes internationales relatives à l’équité des procès.« Comme il existe des motifs valables de s’inquiéter pour la santé et la sécurité des personnes détenues dans le cadre de la pandémie de Covid-19, les autorités égyptiennes devraient libérer toutes les personnes détenues de façon arbitraire et envisager de libérer toutes celles qui sont particulièrement vulnérables et qui sont incarcérées pour des infractions de faible gravité ne s'accompagnant pas d'actes de violence. Les autorités égyptiennes ont plutôt choisi de donner une apparence de légalité à ce qui constitue de toute évidence des décisions concernant des détentions sommaires massives.
Faites entendre votre voix !
Avec l'arrivée du Covid-19 dans le pays, il est plus qu'urgent de réduire la population carcérale et de protéger efficacement les détenus à risque.
Demandez aux autorités égyptiennes de libérer immédiatement et sans condition tous les défenseurs des droits humains et toutes les personnes incarcérées uniquement pour avoir exercé de manière pacifique leurs droits humains