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Gambie
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 155 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Gambie en 2023.
D’importants progrès ont été constatés en matière de droit à la vérité, à la justice et à des réparations pour les violations massives des droits humains commises pendant la présidence de Yahya Jammeh, mais l’accès des victimes à la justice et à des réparations justes était lent. Des lois très restrictives continuaient de représenter une menace pour les droits humains, notamment le droit à la liberté d’expression et la liberté de la presse. Une loi de prévention et de répression de la torture a été adoptée. L’interdiction des mutilations génitales féminines n’était pas appliquée comme il se devait. Un procès s’est ouvert dans l’affaire de la mort, en 2022, de plus de 60 enfants qui avaient pris du sirop contre la toux. La surpêche et les activités des usines de farine de poisson mettaient en danger le droit à un environnement sain.
CONTEXTE
L’année a été marquée par des affaires judiciaires concernant des crimes commis durant la présidence de Yahya Jammeh, resté 22 ans au pouvoir. Ousman Sonko, qui avait exercé des fonctions ministérielles sous le régime de Yahya Jammeh, a été déféré devant un tribunal fédéral suisse pour crimes contre l’humanité en avril. Il lui était notamment reproché d’avoir participé à des meurtres, des actes de torture, des viols et des détentions illégales, d’avoir ordonné ou facilité de tels actes ou de ne pas les avoir empêchés.
Le procès d’un homme soupçonné d’être un ancien jungler (membre d’un escadron de la mort paramilitaire), traduit devant la justice allemande pour sa participation présumée au meurtre, en juillet 2005, de quelque 55 migrant·e·s d’Afrique de l’Ouest, s’est poursuivi. En décembre, l’Assemblée nationale a adopté un projet de loi contre la corruption.
DROIT À LA VÉRITÉ, À LA JUSTICE ET À DES RÉPARATIONS
Une étude commandée par l’organisation à but non lucratif Journalists for Justice et publiée en avril a mis en évidence des défaillances dans le programme de réparation de la Commission vérité, réconciliation et réparation (TRRC), notamment un manque de communication, une définition restreinte du terme « victime », l’exclusion de certaines personnes ayant subi des violences sexuelles ou fondées sur le genre et l’insuffisance de l’indemnisation financière. On retrouvait dans cette étude une grande part des préoccupations exprimées par une organisation de victimes et des conclusions d’un rapport publié en 2022 par plusieurs ONG, dont le Centre international pour la justice transitionnelle, sur les réparations en faveur des victimes de violences sexuelles ou fondées sur le genre en Gambie.
Le gouvernement a publié en mai un plan de mise en œuvre des recommandations de la TRRC et a annoncé que l’UE s’était engagée à verser neuf millions d’euros pour aider la Gambie dans son processus de justice de transition, en partenariat avec le Programme des Nations unies pour le développement qui devait apporter un appui technique. Ce plan de mise en œuvre prévoyait la création d’un Bureau du procureur spécialisé et d’un tribunal hybride en collaboration avec la CEDEAO afin de « juger les personnes ayant la plus grande responsabilité ». Le gouvernement a indiqué en juillet qu’il allait créer un groupe de travail, comprenant des membres de la société civile, pour poursuivre la tâche déjà accomplie par la TRRC sur les disparitions forcées.
Dans une décision rendue en juillet, la Cour de justice de la CEDEAO a jugé que la Gambie avait violé le droit à la vie de Saul Ndow, un détracteur du gouvernement de Yahya Jammeh victime d’une disparition forcée. Elle a considéré que l’État n’avait pas mené de poursuites contre les responsables présumés dans un délai raisonnable (près de 10 ans s’étaient écoulés depuis les faits), malgré l’instauration de la TRRC. La Cour a également ordonné au gouvernement de mettre en œuvre les recommandations de cette dernière.
LIBERTÉ D’EXPRESSION
La Gambie occupait en 2023 le 46e rang mondial et le cinquième rang en Afrique du Classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières. L’organisation a noté que le pays avait fait des progrès, mais a également appelé le gouvernement à abroger les lois draconiennes sur la presse qui limitaient toujours le droit à la liberté d’expression et la liberté de la presse. L’article 51 du Code pénal érigeait ainsi en infraction pénale la sédition contre le président, tandis que l’article 59 créait une infraction assez vague de publication de fausses informations en vue « d’effrayer et d’alarmer la population », passible de deux ans d’emprisonnement.
En juin, le Syndicat de la presse de Gambie a condamné l’agression commise contre deux journalistes lors d’un rassemblement politique. Il a demandé que la police mène une enquête et exhorté le gouvernement à mettre fin au cycle de l’impunité. Selon le syndicat, aucun des 15 cas d’agression contre des journalistes qu’il a recensés entre 2017 et 2022 n’avait fait l’objet d’une enquête.
TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
L’Assemblée nationale a adopté en mars la Loi sur la prévention de la torture. Le texte visait à prévenir les actes de torture et les autres mauvais traitements, et à faire en sorte que les responsables présumés de faits commis rendent compte de leurs actes.
DROITS DES FEMMES ET DES FILLES
La Loi sur les infractions sexuelles ne reconnaissait toujours pas le viol conjugal comme une infraction pénale malgré les appels en ce sens lancés par des militant·e·s des droits humains.
La responsable de l’organe des Nations unies chargé des questions de santé sexuelle et reproductive a indiqué en mars qu’une jeune fille gambienne sur deux avait subi une mutilation génitale féminine. Elle a signalé que la mise en œuvre de l’interdiction de ces pratiques, instaurée par la loi en 2015, était faible, précisant que deux affaires seulement avaient été jugées jusqu’alors et qu’aucune ne s’était soldée par une condamnation. Elle a aussi souligné que la précarité menstruelle, à savoir l’incapacité de s’offrir des produits d’hygiène menstruelle, était forte dans le pays, en particulier dans les zones rurales.
En août, trois femmes ont été condamnées par un tribunal de première instance de la division de Central River à une amende de 15 000 dalasis (223 dollars des États-Unis) ou un an d’emprisonnement pour avoir infligé des mutilations génitales féminines à huit filles. Il s’agissait de la première condamnation pour mutilation génitale féminine jamais prononcée en Gambie.
Un projet du Fonds international de développement agricole visant à accroître l’accès des femmes à la terre a été mis en œuvre pendant l’année. La législation reconnaissait aux femmes les mêmes droits de propriété qu’aux hommes, mais de nombreuses femmes pâtissaient de la confusion fréquente entre les pratiques coutumières et le système juridique, selon les données initiales recueillies à la fin de 2022 et au début de 2023.
Un rapport publié par le Gender Management Information System a révélé qu’entre janvier et juillet, la Gambie avait enregistré 117 cas de viol et 310 cas de violence fondée sur le genre.
DROIT À LA SANTÉ
En octobre, l’action en justice portée par 19 familles contre le ministère de la Santé, le procureur général, l’Agence du contrôle du médicament et une entreprise pharmaceutique indienne est arrivée devant les tribunaux après le décès en 2022 de plus de 60 enfants qui avaient pris un sirop contre la toux. Ayant découvert que le produit n’était pas enregistré auprès de l’agence, comme l’exigeait la loi, le gouvernement a limogé deux des responsables de celle-ci et indiqué qu’il envisageait d’intenter un procès contre l’entreprise pharmaceutique indienne.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
Le gouvernement a lancé un programme de 25 millions de dollars des États-Unis baptisé « PROREFISH Gambia » qui visait à renforcer la résilience au changement climatique dans le secteur de la pêche. Il était prévu qu’il soit mis en œuvre pendant la période 2023-2029, en partenariat avec l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le ministère de l’Agriculture et le ministère de la Pêche et des Ressources halieutiques.
Amnesty International a publié en mai un rapport mettant en évidence les conséquences négatives de la surpêche sur les droits socioéconomiques et environnementaux dans la ville côtière de Sanyang, notamment du fait de l’activité de chalutiers étrangers et d’une usine de farine de poisson qui y était implantée.