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La maison des élections en Gambie © Amnesty International
Liberté d'expression

Après les élections en Gambie, le climat de peur commence à disparaître

Stephen Cockburn est le directeur adjoint pour l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale à Amnesty International. Il se trouvait en Gambie afin d’observer la situation des droits humains, en particulier celle des droits à la liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique, avant, pendant et après l’élection.

En avril, j’ai rencontré un homme nommé Solo Sandeng dans un restaurant de Serekunda, une ville de Gambie proche de la côte atlantique. À l’époque, Solo Sandeng était l’une des principales figures d’opposition en Gambie et à huit mois de l’élection présidentielle, il parlait avec passion de son désir de l’emporter sur le président Yahya Jammeh lors du scrutin de décembre.

J’ai été profondément impressionné par le courage de Solo Sandeng, mais j’avais vraiment peur qu’il ne se montre imprudent ; les forces gambiennes de sécurité sont connues pour leur comportement brusque et brutal face à l’opposition politique. Il est tragique que mes pires craintes se soient réalisées lorsque Solo Sandeng a été arrêté et torturé à mort par la police environ une semaine après notre rencontre. Son corps n’a jamais été restitué. (Les registres médicaux de l’hôpital de Serekunda indiquent que Solo Sandeng est décédé des suites d’un « choc » après son arrestation.)

Solo Sandeng a été arrêté lors d’une série de manifestations de relativement faible ampleur - mais dont l’influence a été énorme - qui se sont tenues en avril et mai, durant lesquelles des dizaines d’autres manifestants pacifiques ont été frappés et appréhendés. Un autre homme, Ebrima Krummah, est lui aussi mort en détention en août, dans des circonstances n’ayant toujours pas été élucidées.

À cette époque, il était tout simplement impossible d’imaginer ce qui s’est passé en Gambie ces dernières semaines.

Nous parlons d’un pays où pendant des années des personnes ont été tuées et brutalisées pour s’être exprimées, et où des Gambiens ordinaires avaient trop peur de critiquer le gouvernement devant les caméras ou de voir leurs propos accompagnés de leur vrai nom dans la presse. Et pourtant, lorsque la campagne électorale a débuté en novembre, quelque chose a changé. Soudain, des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour soutenir des candidats de tous les partis participant à l’élection.

Alors que j’assistais en tant qu’observateur à un rassemblement d’opposition le dernier jour de la campagne officielle, j’ai eu du mal à reconnaître ce pays que je pensais si familier. Le slogan « Nous voulons le changement, pas un tueur » a été répété si souvent qu’il est devenu aisé d’oublier que dans un passé très récent ce genre de déclarations auraient pu déboucher sur un emprisonnement, voire pire.

Le jour de l’élection, le 1er décembre, pas même la rupture des télécommunications ni le déploiement menaçant de soldats en fin d’après-midi n’ont altéré l’enthousiasme des citoyens allant voter. Les mêmes jeunes femmes et jeunes hommes étaient encore nombreux dehors lorsque l’incroyable résultat est tombé : Adama Barrow avait gagné et Yahya Jammeh avait admis sa défaite. Après un moment de stupéfaction, de nombreux Gambiens se sont pris dans les bras, ont pleuré, dansé et sont descendus dans la rue. Ils ont parlé de changement, de libération, de leur fête d’indépendance.

Des véhicules de la police et de l’armée - institutions historiquement responsables de violations graves des droits humains en Gambie - sont passées, leurs passagers souriant à la foule et la saluant de la main, et recevant des acclamations en retour. C’était aussi rassurant qu’extraordinaire.

Il n’y a pas d’explication simple à tout cela, mais quelques indices. Les experts estiment que le décompte instantané devant des observateurs et des représentants de partis aux bureaux de vote a fortement réduit le risque de fraude.

La campagne électorale officielle, qui a duré deux semaines, s’est accompagnée de libertés inédites - les voix d’opposition ont pu s’exprimer dans les médias d’État et des meetings ont pu se tenir - pour une période limitée. Et cela a encouragé les Gambiens à investir cet espace et à exercer avec vigueur leurs droits de s’exprimer et de se réunir librement.

Il y a peu de doutes que le mécontentement du peuple montait. Le fait que tant de personnes aient été forcées à émigrer à cause de la répression politique et du manque d’opportunités économiques, et soient mortes en chemin a suscité de la colère. La population en avait également assez des menaces et insultes proférées par le président contre divers groupes sociaux et ethniques.

La disparition du climat de peur est au cœur de l’histoire de cette remarquable élection en Gambie. Il est possible que cela ait commencé avec des personnes telles que Solo Sandeng, qui ont risqué leur vie afin de pouvoir s’exprimer librement quand personne d’autre ne pensait qu’un changement était possible, mais elles ont ensuite été rejointes par des milliers d’autres, dont le nombre représentait une force et une sécurité rendant quasiment impossible que les dissidents soient individuellement pris pour cible.

Libérés de la crainte des représailles qui les empêchait d’agir auparavant, de nombreux Gambiens ont trouvé le courage d’exercer leurs droits, et plus rien ne les a arrêtés. À certains moments, je ne pouvais m’empêcher de penser aux scènes finales du Magicien d’Oz - comme lorsque le chien Toto tire sur le rideau et découvre que le grand magicien n’est qu’un homme armé d’un mégaphone, les Gambiens se sont aperçus qu’un État tout puissant n’était pas de taille contre eux lorsqu’ils étaient tous ensemble.

Bien entendu, l’histoire de la Gambie n’est pas finie - elle ne fait que commencer. Adama Barrow avait promis de libérer les prisonniers politiques, d’abroger les lois répressives et de ramener la Gambie au sein de la Cour pénale internationale. Les Gambiens voudront voir ces promesses tenues, ainsi qu’une réforme des tristement célèbres services de sécurité du pays et le respect de l’obligation de rendre des comptes pour les crimes passés. Ce ne sera pas chose aisée, et le président aura besoin du soutien de partenaires à l’intérieur comme à l’extérieur de la Gambie. Il a heureusement derrière lui une population qui n’aura plus peur de lui dire quand il a tort.

- Par Stephen Cockburn, directeur adjoint pour l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale à Amnesty International

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