La condamnation à mort de 15 personnes par le Tribunal pénal spécial mardi 6 décembre à l’issue d’un procès inéquitable constitue une grave violation des droits humains.
Les hommes condamnés comptent parmi 32 personnes arrêtées dans différentes villes d’Arabie saoudite en 2013 et 2014 qui étaient accusées d’espionnage pour le compte de l’Iran. Quinze autres prévenus ont été condamnés à des peines d’emprisonnement allant de six mois à 25 ans, et les deux derniers ont été relaxés. Ces hommes étaient aussi poursuivis pour divers chefs d’inculpation telles que « soutien à des manifestations », « diffusion de la religion chiite » et « détention de livres et de vidéos interdits ».
Torture et secret, une parodie de justice
Les personnes condamnées sont toutes de nationalité saoudienne, à l’exception d’un ressortissant iranien qui a été condamné à quatre ans d’emprisonnement. Un ressortissant afghan figure parmi les deux hommes relaxés.
Selon Taha al Hajji, l’un des avocats qui ont défendu la plupart des prévenus, les 32 hommes jugés ont été arrêtés sans mandat et détenus au secret pendant près de trois mois, durant lesquels ils ont été interrogés à plusieurs reprises sans avocat, ce qui augmente le risque qu’ils aient été torturés. Beaucoup n’ont appris la raison de leur arrestation qu’au cours de ces interrogatoires.
Certains ont indiqué au tribunal qu’ils avaient été menacés d’être placés à l’isolement et empêchés de communiquer avec leurs proches s’ils ne signaient pas une déclaration d’« aveux ». On leur aurait dit que, s’ils refusaient de signer ce document, leurs proches seraient emprisonnés dans des cellules à côté d’eux.
Après avoir été détenus pendant presque trois ans sans inculpation ni procès, ces hommes ont été soudainement conduits devant le Tribunal pénal spécial de Riyadh – une juridiction chargée des affaires liées à la sécurité et au terrorisme dont les procédures sont entourées de secret – en février 2016. La plupart d’entre eux ont assisté à la première audience sans avocat et les autres n’ont rencontré le leur que brièvement la première fois qu’ils sont arrivés au tribunal. Certains des prévenus ont dû préparer leur défense eux-mêmes.
Dans cette affaire, la procédure judiciaire a tourné la justice en dérision du début à la fin. Au vu du fait que ces hommes ont été détenus au secret pendant trois mois, privés d’accès à un avocat lors des interrogatoires, et que le tribunal n’a pas étudié comme il se doit leurs déclarations indiquant qu’ils ont été forcés à signer des “aveux”, ce procès n’est rien d’autre qu’un simulacre.
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Un simulacre de procès
Alors que le procureur général a eu presque trois ans pour réunir des éléments à charge contre les 32 prévenus, leurs avocats ont disposé de moins d’un mois pour préparer leur défense après la première audience et se sont vu refuser l’accès à des informations essentielles pour présenter une plaidoirie correcte.
Ils se sont plaints en expliquant qu’ils avaient besoin de plus de temps pour préparer leur défense car il s’agissait d’une affaire très complexe, dans laquelle 32 personnes étaient mises en cause, mais leur demande a été ignorée par le juge. Au début de la période de préparation, ils n’ont pas pu accéder aux documents du dossier ni à des éléments à charge sur lesquels ont reposé les condamnations, notamment les « aveux » forcés des hommes.
Lors de la première audience, en février 2016, un acte d’accusation de près de 100 pages a été remis aux 32 prévenus. La plupart étaient accusés de « haute trahison » ou d’infractions similaires, soit pour avoir créé ou rejoint une cellule d’espions, soit pour avoir rencontré des agents du renseignement iranien et partagé des informations militaires et relatives à la sécurité avec eux. Les chefs d’inculpation retenus contre ces hommes ne constituent pas des infractions dûment reconnues par les normes internationales. Il s’agit de faits tels que « soutien à des manifestations », « diffusion de la religion chiite » (par exemple en créant un centre chiite à la Mecque), « détention de livres et de vidéos interdits » ou encore « incitation de la population à rompre l’allégeance au souverain et à nuire à sa réputation et à celle de la famille royale ».
L’un des prévenus, qui fait partie de ceux condamnés à mort, était même poursuivi pour avoir eu en sa possession des articles écrits par Mikhlif al Shammari, un éminent défenseur des droits humains et de la communauté chiite d’Arabie saoudite qui a été condamné à une peine d’emprisonnement et 200 coups de fouet pour son militantisme.
Pas une première dans ce pays
Ce n’est pas la première fois qu’une juridiction saoudienne prononce des condamnations à mort à l’issue d’un procès collectif injuste. Le 1er juin 2016, 14 musulmans chiites ont été condamnés à mort par le Tribunal pénal spécial à l’issue d’un procès qui reposait sur des « aveux » arrachés sous la torture concernant une série d’infractions parmi lesquelles figurait la participation à des manifestations violentes dans la province de l’Est en 2012.
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Les procédures du Tribunal pénal spécial sont entourées de secret. Étant donnée leur opacité, dans certains cas, le simple fait d’être conduit devant un tribunal semble être une raison suffisante pour que les juges déclarent le prévenu coupable.
Dans une lettre présentée au Tribunal pénal spécial lors de la deuxième audience, plusieurs avocats ont annoncé qu’ils boycotteraient le procès pour protester contre la manière dont il se déroulait, notamment le fait qu’ils n’aient pas été autorisés à rendre visite à leurs clients, à examiner les éléments à charge et à préparer leur défense correctement. Ils se sont également élevés contre la « guerre médiatique » faite aux prévenus. Les autorités saoudiennes ne laissent aucun média critique ou indépendant exercer ses activités dans le royaume.