Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles
Photo:©A Majeed/AFP/Getty Images
Pakistan
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 155 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Pakistan en 2023.
L’instabilité politique s’est accentuée et les autorités ont poursuivi leurs attaques contre les voix dissidentes, l’opposition politique et les personnes critiques à l’égard du gouvernement et de l’institution militaire. Les violations des droits humains, telles que les disparitions forcées, les arrestations et détentions arbitraires, les restrictions excessives des manifestations et les violences à l’encontre des minorités religieuses, ont perduré avec la même intensité, et les victimes n’ont que rarement obtenu justice. Les personnes transgenres ont été confrontées à une vague de violence, de harcèlement et de discrimination à la suite d’une campagne de désinformation malveillante et d’attaques contre la législation protégeant leurs droits. Le Pakistan a fait face à des événements météorologiques extrêmes et des catastrophes naturelles plus fréquents dus au changement climatique.
CONTEXTE
L’aggravation de la crise économique a été marquée par l’explosion de l’inflation, qui a atteint 29,66 % en décembre par rapport au même mois de l’année précédente, selon le Bureau pakistanais des statistiques. La hausse du coût de la vie et des prix du carburant a eu des graves répercussions sur la population, dans un climat de tensions politiques grandissantes.
Anwar ul Haq Kakar a pris ses fonctions le 14 août en tant que Premier ministre par intérim, dans l’attente des élections générales qui, selon la Constitution, devaient se tenir dans les 90 jours suivant la nomination d’un gouvernement provisoire. Cependant, la Commission électorale pakistanaise a demandé un délai plus long pour mettre à jour la délimitation des circonscriptions selon les résultats d’un nouveau recensement. En novembre, après l’intervention de la Cour suprême, la date des élections a été fixée au 8 février 2024.
LIBERTÉ DE RÉUNION PACIFIQUE
Le 8 mars, quelques heures avant le début du défilé annuel de l’Aurat March, le plus grand mouvement féministe du pays, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, et d’un rassemblement du Mouvement du Pakistan pour la justice (PTI), parti politique d’opposition, le ministère de l’Intérieur du Pendjab a publié un avis interdisant « toute forme de manifestation, de défilé et de sit-in » pendant les sept jours suivants dans le district de Lahore. Cette interdiction totale a été jugée illégale car les autorités n’ont pas suffisamment démontré sa nécessité, se contentant d’invoquer des motifs vagues comme « la situation générale en matière de sécurité ».
Cette interdiction des manifestations a été imposée en vertu de l’article 144 du Code de procédure pénale (législation datant de 1898, à l’époque coloniale), utilisé de façon excessive par les autorités des districts pour restreindre les rassemblements. Quelques jours plus tôt, le 3 mars, les autorités du district de Lahore avaient refusé d’autoriser le défilé de l’Aurat March dans la ville, citant notamment comme justification des « pancartes et affiches portant à controverse pour sensibiliser aux droits des femmes ». Cette décision avait été contestée, avec succès, devant la haute cour de Lahore, qui avait autorisé la tenue du défilé, avant que l’interdiction générale soit imposée le matin même de l’événement.
Le 8 mars, des manifestant·e·s pacifiques de l’Aurat March à Islamabad, la capitale du pays, ont été violemment dispersés par la police, et du fil barbelé et des conteneurs ont été utilisés pour bloquer le lieu de la manifestation. Des femmes et des personnes transgenres ont été blessées lors de cette répression brutale. Un homme a été tué pendant le rassemblement du PTI.
L’ancien Premier ministre Imran Khan, accusé de corruption, a été arrêté le 9 mai. Le même jour, ses sympathisant·e·s se sont rassemblés en nombre à travers le pays pour dénoncer son arrestation. Des groupes sont entrés de force dans le quartier général de l’armée à Rawalpindi, et d’autres ont mis le feu à la résidence officielle d’un commandant de l’armée à Lahore. Des manifestant·e·s ont certes commis des violences localisées, mais l’armée et la police y ont répondu en faisant usage d’une force excessive. Selon les médias, au moins huit personnes ont été tuées et plusieurs centaines blessées.
En décembre, à Islamabad, la police a utilisé des matraques, du gaz lacrymogène et des canons à eau contre les participant·e·s à la Longue marche des Baloutches ; plus de 200 manifestant·e·s pacifiques ont été arrêtés, dont un grand nombre de femmes, d’enfants et de personnes âgées. Ils ont été remis en liberté par la suite.
ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS ARBITRAIRES
Les autorités ont utilisé l’Ordonnance sur le maintien de l’ordre public et la Loi antiterroriste, une loi formulée en termes vagues, pour réprimer l’opposition politique. En mai, elles ont procédé à l’arrestation et au placement en détention arbitraire de plus de 4 000 personnes accusées d’avoir commis des infractions pendant les manifestations du 9 mai, dont des dirigeant·e·s politiques. Elles ont affirmé avoir utilisé le géorepérage, la veille sur les réseaux sociaux et la vidéosurveillance pour identifier les auteurs présumés d’infractions.
Quelque 103 civil·e·s inculpés en lien avec les manifestations du 9 mai ont été traduits devant des tribunaux militaires, en violation de leur droit à un procès équitable et des obligations du Pakistan aux termes du PIDCP. Alors que plusieurs affaires contestant la constitutionnalité des tribunaux militaires étaient en attente d’examen devant la Cour suprême, ces procès se sont poursuivis. La Commission nationale des droits humains (NCHR) a établi qu’il y avait eu des manquements dans les procédures d’arrestation et un non-respect des normes carcérales.
Au 9 juin, 295 affaires étaient enregistrées dans le Pendjab, la province qui comptait le plus grand nombre d’arrestations, dont 52 en vertu de la Loi antiterroriste de 1997. Bon nombre de manifestant·e·s, dont Khadija Shah, célèbre sympathisante du PTI, qui a été détenue pendant plus de sept mois, ont de nouveau été arrêtés après avoir été libérés sous caution. Beaucoup de cadres du PTI auraient été forcés de démissionner du parti.
L’avocat spécialiste des droits humains Jibran Nasir a été enlevé le 1er juin et retenu pendant une courte durée. Imaan Mazari, avocate et défenseure des droits humains, Ali Wazir, un des dirigeants du Mouvement de protection pachtoune (PTM), et d’autres militant·e·s de ce mouvement ont été arrêtés le 20 août, en violation de leurs droits à la liberté de réunion, d’association et d’expression, après avoir participé à un rassemblement public du PTM à Islamabad le 18 août. Ils étaient accusés de sédition, de dégradation de biens publics et d’entrave aux autorités. Le mode d’arrestation d’Imaan Mazari était contraire aux garanties prévues par la loi.
Imaan Mazari et Ali Wazir ont été libérés sous caution le 28 août avant d’être de nouveau arrêtés le jour même pour « terrorisme ». Tous deux ont bénéficié d’une remise en liberté sous caution le mois suivant. Ali Wazir a été une nouvelle fois arrêté le 14 novembre, cette fois pour avoir tenu, selon les autorités, des propos hostiles aux institutions étatiques. Il a été relâché au bout de huit jours.
Manzoor Pashteen, président du PTM, a été arrêté le 4 décembre après avoir pris la parole lors d’un sit-in organisé à Chaman, dans la province du Baloutchistan, pour protester contre l’obligation de détenir un passeport et un visa pour franchir la frontière avec l’Afghanistan. Il se trouvait toujours en détention à la fin de l’année.
LIBERTÉ D’EXPRESSION
Le 4 février, l’Autorité pakistanaise des télécommunications (PTA) a bloqué Wikipédia car la plateforme avait refusé de retirer des « contenus sacrilèges ». Ce blocage a été levé deux jours plus tard.
Le 5 mars, l’Autorité pakistanaise de régulation des médias électroniques (PEMRA) a imposé une interdiction totale de la diffusion des discours d’Imran Khan et a suspendu la transmission d’ARY TV, un réseau d’information privé. La PEMRA a accusé Imran Khan d’attaquer les institutions étatiques et de promouvoir la haine. Le 9 mai, après l’arrestation d’Imran Khan, la PTA a interdit « jusqu’à nouvel ordre » l’Internet mobile et bloqué plusieurs grands réseaux sociaux, dont YouTube, Twitter et Facebook. Bien que les autorités aient affirmé avoir rétabli l’accès à l’Internet mobile le 12 mai, les internautes avaient toujours du mal à consulter les réseaux sociaux. En décembre, l’accès à ces réseaux a été interrompu durant des heures dans tout le pays, pendant le rassemblement « virtuel » du PTI.
Avant la nomination du gouvernement provisoire en août, le Parlement a adopté au moins six lois et modifications législatives visant à restreindre la liberté d’expression et l’espace civique, y compris le débat parlementaire et la possibilité d’exprimer des opinions dissidentes.
Le 15 août, le président, Arif Alvi, a promulgué la Loi de 2023 portant modification de la loi relative à la PEMRA, un texte formulé en termes vagues. La NCHR et les médias ont exprimé leur crainte que ce texte soit utilisé pour limiter encore davantage le droit à la liberté d’expression.
DROITS DES FEMMES ET DES FILLES
Les femmes et les filles étaient toujours en butte à une violence endémique, et l’accès à la justice restait hors de portée de beaucoup d’entre elles. Bien que le gouvernement ait promis, lors de son quatrième EPU, d’adopter la proposition de loi de 2021 sur la prévention et la protection contre la violence domestique, aucune mesure concrète en ce sens n’avait été prise à la fin de l’année.
Une plainte pour meurtre a été enregistrée le 16 août à Hyderabad après la mort d’une fillette de neuf ans, employée comme domestique. Des vidéos de cette fillette au domicile de ses employeurs, montrant des signes de violences physiques, ont été rendues publiques, et l’autopsie a révélé qu’elle avait été violée et agressée. En juillet, une jeune fille de 15 ans employée comme domestique a été hospitalisée ; elle présentait des signes de violences physiques, de négligence et de malnutrition. En novembre, une femme a été victime d’un crime « d’honneur » dans le district de Kohistan. L’ordre de l’assassiner avait été donné par une jirga (assemblée tribale).
DISPARITIONS FORCÉES
Comme les années précédentes, les autorités se sont rendues coupables, en toute impunité, de disparitions forcées de journalistes, de défenseur·e·s des droits humains et de détracteurs du gouvernement et de l’institution militaire. Les familles des victimes ont continué de militer publiquement pour obtenir vérité et justice pour leurs proches disparus.
Une vague de disparitions visant des personnes critiques à l’égard du gouvernement a fait suite aux violentes manifestations du 9 mai. Parmi les personnes concernées figuraient le youtubeur Imran Riaz Khan, enlevé le 11 mai, et plusieurs personnalités politiques, dont Usman Dar. Ces deux hommes sont réapparus respectivement au bout de quatre mois et d’un mois, sans avoir été inculpés. Personne n’a été amené à rendre de comptes pour leur disparition ni celle d’autres personnes.
De nombreuses disparitions survenues dans la province du Baloutchistan ou visant des étudiant·e·s baloutches dans d’autres provinces ont été signalées tout au long de l’année. Abid Mir, journaliste baloutche de premier plan, a ainsi disparu le 8 mars, et deux étudiants baloutches, Salim Baloch et Ikram Naeem, le 4 juillet. Ikram Naeem et Abid Mir ont été relâchés respectivement au bout de trois et cinq jours, tandis que Salim Baloch a été libéré après plus d’un mois. À la fin de l’année, on ignorait toujours ce qu’il était advenu de nombreux autres Baloutches disparus, dont des étudiant·e·s. Des exécutions extrajudiciaires ont également été signalées, dont celle de Balach Mola Bakhsh, tué en novembre par des agents des services de lutte contre le terrorisme.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
Le Pakistan a continué de subir fortement les répercussions du changement climatique, malgré sa faible contribution aux émissions de gaz à effet de serre au fil de l’histoire. Il a connu des températures parmi les plus élevées au monde ces dernières années, et l’OMS a prédit une intensification et une plus forte fréquence des épisodes caniculaires.
Les recherches menées par Amnesty International ont montré que les vagues de chaleur liées au climat avaient eu des répercussions négatives sur la santé des habitant·e·s de Jacobabad et de Lahore en provoquant, entre autres symptômes, des coups de chaleur, de la fatigue, des difficultés respiratoires et de la fièvre. Les personnes vivant dans la pauvreté ou travaillant dans le secteur informel, qui avaient un accès limité ou inexistant aux moyens d’adaptation, ont été particulièrement touchées. Les plans de gestion des vagues de chaleur et des catastrophes naturelles n’incluaient aucune protection sociale solide, et beaucoup de personnes n’étaient pas en mesure de suivre les conseils de santé publique, comme réduire les heures de travail et garder la fraîcheur dans les habitations.
Dans un rapport d’IQAir, entreprise suisse spécialisée dans les technologies en matière de qualité de l’air, Lahore était systématiquement classée parmi les villes enregistrant la plus forte pollution atmosphérique au monde, ce qui nuisait aux droits de la population à la vie, à la santé et à un environnement sain.
DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXES
Les personnes transgenres et de genre variant ont été confrontées à une hausse des cas de violence, de harcèlement, d’intimidation et de meurtre. Des groupes politiques et islamistes ont mené une campagne de désinformation dangereuse quant à la Loi de 2018 relative à la protection des droits des personnes transgenres, qui permettait une reconnaissance du genre à l’état civil fondée sur l’autodétermination et protégeait les personnes transgenres de la discrimination liée à leur identité de genre réelle ou supposée.
En avril, le Comité permanent du Sénat chargé des droits humains a confirmé qu’une nouvelle proposition de loi visant à abroger et remplacer la Loi de 2018 allait être présentée, afin de « garantir la cohérence avec les préceptes de l’islam ». Cette proposition de loi supprimait les dispositions autorisant l’autodétermination sans se soumettre à un examen médical, remplaçait le mot « transgenre » par « intersexe », et prévoyait des sanctions pour les soins de réattribution sexuelle.
Plus tard, le Tribunal fédéral de la charia a écarté certaines dispositions de la Loi de 2018 concernant l’identité de genre, le droit à l’identité de genre ressentie et le droit des personnes transgenres à l’héritage, arguant qu’elles étaient « contraires à l’islam ». Un recours contre cette décision a été déposé devant la Cour suprême.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
De nombreux Afghan·e·s ont fui au Pakistan après l’arrivée au pouvoir des talibans en Afghanistan en 2021. Ces réfugié·e·s ont par la suite été la cible d’arrestations arbitraires, de détention et de harcèlement, notamment de menaces d’expulsion, de la part des autorités pakistanaises.
En octobre, le gouvernement a annoncé des mesures de répression contre les personnes migrantes « en situation irrégulière » et leur a donné un délai de 30 jours pour quitter le pays. Plus de 490 891 Afghan·e·s qui avaient trouvé refuge au Pakistan ont été expulsés entre septembre et décembre.
Le harcèlement, la discrimination, les arrestations et la détention arbitraire des personnes réfugiées à travers le pays se sont intensifiés après l’annonce du délai de 30 jours. Les personnes enfermées dans les centres de rétention créés dans tout le pays se sont vu refuser les garanties juridiques auxquelles elles avaient droit, l’assistance d’un·e avocat·e et toute communication avec leur famille.
LIBERTÉ DE RELIGION ET DE CONVICTION
Les minorités religieuses étaient toujours en butte aux violences et au harcèlement. Des lois draconiennes relatives au blasphème, formulées en termes vagues, ont encore été fréquemment utilisées pour s’attaquer à ces minorités et ont permis à des groupes extrémistes d’agir en toute impunité.
En février, à Nankana Sahib, un homme accusé d’avoir profané le Coran a été traîné hors d’un poste de police par des membres de groupes d’autodéfense et battu à mort. Le 7 août, un enseignant accusé de blasphème a été abattu à Turbat. Le 16 août, à la suite d’accusations de blasphème portées contre deux habitants chrétiens de Jaranwala, dans le district de Faisalabad, des groupes d’autodéfense ont attaqué au moins 24 églises et 80 habitations de familles chrétiennes. Selon des informations parues dans les médias, plus d’une centaine de personnes ont été arrêtées en lien avec ces violences, et 21 procès-verbaux introductifs ouvrant la voie à des poursuites ont été enregistrés. La police a annoncé que les procès commenceraient début 2024.
Des lieux de culte et des cimetières ahmadis ont cette année encore été profanés, sans que personne ne soit amené à rendre des comptes et sans que justice soit rendue. Le 19 janvier et le 2 février, deux mosquées ahmadies du quartier de Martin Quarters, à Karachi, ont été attaquées par des groupes d’hommes. Le 25 juillet, une autre mosquée ahmadie a été la cible d’une attaque dans le quartier de Shah Faisal Colony, à Karachi, et des graffitis anti-ahmadis ont été écrits sur les murs. De même, en août, un média a rapporté que huit musulmans ahmadis avaient été arrêtés pour avoir « prêché leurs croyances » à Lahore.
La NCHR a fait état d’au moins 34 attaques de sites religieux ahmadis entre janvier et septembre. Un porte-parole de la communauté ahmadiyya a informé les médias que, en l’espace de deux semaines en septembre, 74 tombes ahmadies avaient été vandalisées à Daska, dans la province du Pendjab. Dans plusieurs endroits du Pendjab, des musulmans ahmadis se sont vu empêcher de pratiquer le sacrifice animal rituel à l’occasion de l’Aïd el Kébir, fête religieuse importante pour les musulmans.