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Pologne
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 155 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Pologne en 2023.
La Pologne dépendait toujours des énergies fossiles et a contesté de nouvelles lois européennes visant à lutter contre le changement climatique devant la Cour de justice de l’Union européenne. Une commission sénatoriale a conclu que l’utilisation du logiciel espion Pegasus avait nui à la probité des élections législatives de 2019. Le Parlement a examiné une proposition de loi controversée qui interdirait aux ONG de sensibiliser les élèves à la discrimination dans les établissements scolaires. L’accès à l’avortement demeurait limité. Une modification de la législation relative à la violence domestique a étendu son champ d’application aux cyberviolences et aux violences économiques. Les gardes- frontières ont continué de bafouer les droits des personnes réfugiées et migrantes arrivant en Pologne par la frontière bélarussienne. Le gouvernement s’en est pris cette année encore aux juges et aux procureur·e·s qui se sont inquiétés publiquement des réformes de l’appareil judiciaire.
CONTEXTE
Les partis d’opposition ont remporté la majorité des sièges lors des élections législatives d’octobre. Le nouveau gouvernement a annoncé une série de mesures visant à rétablir l’état de droit et la répression des crimes de haine.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
En juillet 2022, des milliers de poissons et d’autres espèces avaient péri après une catastrophe écologique dans le fleuve Oder. À la fin de l’année 2023, le gouvernement n’avait toujours pas pris de mesures efficaces pour restaurer l’écosystème malgré la pollution persistante et les risques pour la faune aquatique, la santé de la population et certains de ses moyens de subsistance.
La Pologne continuait de dépendre des énergies fossiles, notamment du charbon. En juillet, elle a contesté devant la Cour de justice de l’UE des mesures pour le climat récemment adoptées au niveau européen, telles que l’interdiction de la commercialisation des véhicules thermiques neufs à partir de 2035.
DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE
Le 6 septembre, la commission spéciale créée par le Sénat pour enquêter sur la surveillance illégale a fait savoir que l’utilisation du logiciel espion Pegasus contre des figures de l’opposition et des personnes critiquant les autorités était illicite et avait nui à la probité des élections législatives de 2019.
DROIT À L’ÉDUCATION
En août, le Parlement a continué d’examiner une modification de la Loi sur le système éducatif, dite « Lex Czarnek 3.0 ». Cette dernière version faisait suite à une proposition citoyenne et visait à interdire aux ONG d’intervenir dans les écoles pour des séances de sensibilisation aux discriminations et d’éducation à la sexualité non couvertes par le programme scolaire. Elle n’a finalement pas été adoptée.
Les difficultés d’accès des enfants réfugiés ukrainiens à l’éducation, notamment en raison de la barrière de la langue, se posaient toujours. Environ 200 000 enfants ukrainiens en âge d’être scolarisés restaient exclus de tout dispositif d’enseignement.
DROIT À LA SÉCURITÉ SOCIALE
En juillet, le Parlement a adopté une loi visant à augmenter le montant des allocations familiales versées dans le cadre du programme Famille 500+ pour le faire passer à 800 zlotys (environ 184 euros).
En revanche, la Pologne n’avait encore accepté aucun des mécanismes de l’ONU permettant de déposer plainte au niveau international en cas d’atteintes présumées aux droits sociaux, économiques et culturels.
DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS
L’accès à l’avortement restait limité et les personnes enceintes étaient en danger, car les hôpitaux ne pratiquaient pas d’interruptions volontaires de grossesse même dans des situations de péril vital. Au moins une femme serait décédée après s’être vu refuser des services d’avortement en mai.
En mars, la militante Justyna Wydrzyńska a été déclarée coupable, en vertu de lois draconiennes et discriminatoires, d’avoir informé et aidé une femme enceinte victime de violence domestique qui avait besoin d’un avortement sécurisé. Elle a été condamnée à huit mois de travaux d’intérêt général. Ce jugement n’était pas définitif, car ses avocat·e·s ont fait appel.
La police a, cette année encore, harcelé des femmes soupçonnées d’avoir avorté. En avril, une habitante de Cracovie a été soumise à une fouille corporelle et ses appareils électroniques ont été saisis par des fonctionnaires de police après qu’elle a déclaré à une médecin consultée pour un autre motif qu’elle avait avorté la semaine précédente.
VIOLENCES FONDÉES SUR LE GENRE
Une modification de la loi relative à la violence domestique est entrée en vigueur en juin. Ce texte comportait une nouvelle définition de ce type d’infraction intégrant les cyberviolences et les violences économiques, et il élargissait le champ des auteurs potentiels pour inclure les ex-conjoints.
La définition du viol dans le droit pénal n’était toujours pas conforme à celle de la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul).
LIBERTÉ D’EXPRESSION
En décembre, le nouveau ministre de la Culture et du Patrimoine national a licencié unilatéralement les membres des conseils d’administration de plusieurs médias publics. Même s’il était urgent de réformer les médias publics, la forme de cette intervention ne respectait pas les normes relatives aux droits humains en ce qui concerne la liberté d’expression.
DISCRIMINATION
En décembre, un député a utilisé un extincteur pour éteindre une ménorah qui avait été allumée au Parlement à l’occasion de la fête juive de Hanoukka. Bien qu’il ait été suspendu de son parti et que le Parlement ait levé son immunité, son action a recueilli l’approbation d’une partie de la société.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
Les personnes réfugiées ou migrantes qui arrivaient en Pologne par la frontière bélarussienne continuaient de se heurter à l’hostilité des autorités. Des gardes-frontières ont repoussé violemment des personnes vers la frontière en leur refusant la protection internationale. Certaines ont ensuite été maltraitées par des fonctionnaires bélarussiens et renvoyées dans la forêt frontalière de Białowieża. Entre le début de la crise migratoire en 2021 et la fin de l’année 2023, au moins 55 personnes migrantes ou demandeuses d’asile seraient mortes de malnutrition, d’épuisement et de manque de soins médicaux.
Des milliers de personnes réfugiées ou migrantes ayant réussi à entrer en Pologne depuis le Bélarus, y compris des enfants, continuaient d’être détenues arbitrairement dans des centres fermés pour personnes étrangères. Le placement automatique en détention sans procédure individuelle de détermination du statut a donné lieu à de multiples décisions de justice ordonnant des réparations pour détention illégale.
De nombreux réfugié·e·s ukrainiens vivaient toujours dans des centres d’hébergement collectif, malgré le caractère théoriquement temporaire de ceux-ci, et rencontraient des difficultés pour louer un logement individuel. La plupart devaient payer jusqu’à 75 % du coût de l’hébergement collectif. Alors que cette obligation était censée ne pas s’appliquer à certaines catégories de personnes, elle était encore imposée à la majorité de celles hébergées dans ces centres, ce qui a conduit des réfugié·e·s à retourner en Ukraine.
Un référendum organisé en octobre a posé des questions orientées et trompeuses, dont une laissant entendre que les personnes réfugiées étaient des « immigrants illégaux ». Ce référendum a été précédé d’une augmentation notable des propos anti- immigration de la part de responsables politiques et de médias progouvernementaux. En signe de protestation, de nombreux électeurs et électrices ont refusé de voter, et le taux de participation final, inférieur à 50 %, a entraîné la nullité des résultats.
PROCÈS INÉQUITABLES
Le gouvernement s’en est pris cette année encore aux juges et aux procureur·e·s qui s’inquiétaient publiquement des réformes de l’appareil judiciaire. En janvier, le Parlement a accordé à la Haute cour administrative la compétence sur les procédures disciplinaires visant des juges, en violation de la Constitution polonaise. Cette mesure n’a pas résolu les problèmes concernant l’indépendance des juges, qui pouvaient toujours être démis de leurs fonctions s’ils remettaient en cause la légalité et les décisions du Conseil national de la magistrature, chargé de participer à leur nomination. Cet organe a été restructuré afin que le pouvoir exécutif puisse mieux maîtriser le pouvoir judiciaire et exercer un contrôle politique sur la nomination des magistrat·e·s.
En juillet, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a estimé dans l’arrêt Tuleya c. Pologne que la chambre disciplinaire de la Cour suprême, qui avait levé l’immunité judiciaire du juge Igor Tuleya et l’avait suspendu de ses fonctions, n’était pas une juridiction indépendante et impartiale. La CEDH a considéré que les mesures prises à l’encontre de ce magistrat portaient atteinte à ses droits à un procès équitable, au respect de la vie privée et à la liberté d’expression.
En juillet, le Parlement a adopté une modification de la Loi sur la défense de la patrie afin d’empêcher un juge, Piotr Raczkowski, de continuer d’exercer ses fonctions. La modification prévoyait que tout juge militaire libéré du service actif devait également renoncer à ses fonctions de juge. Or, au moment où elle a été adoptée, Piotr Raczkowski était le seul juge dans ce cas. Il était connu pour avoir critiqué le gouvernement, qui avait déjà tenté de l’évincer par différents moyens.
Une loi relative à la commission chargée d’enquêter au sujet de l’influence russe sur la sécurité intérieure, dite « Lex Tusk », a été adoptée en avril, malgré de nombreuses inquiétudes concernant ses possibles conséquences négatives pour les droits humains. Ces craintes concernaient notamment la possibilité que cette loi soit utilisée pour cibler et mettre à l’index des membres de l’opposition, des voix dissidentes et toute autre personne susceptible de se présenter à des élections pour accéder à des fonctions politiques, ou d’émettre des critiques à l’égard du gouvernement.