Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles
© Nicolas Axelrod/Getty Images
Thaïlande
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 155 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Thaïlande en 2023.
Les autorités ont cette année encore réprimé l’exercice des libertés d’expression et de réunion pacifique. Parmi les personnes poursuivies ou traduites en justice pour avoir participé à des manifestations pacifiques figuraient plusieurs centaines de mineur·e·s. Des défenseur·e·s des droits humains ont également fait l’objet d’actes de harcèlement, notamment de harcèlement judiciaire. Une nouvelle loi réprimait pénalement la torture et la disparition forcée, mais les auteur·e·s de tels actes restaient largement impunis. Personne, par exemple, n’avait eu à rendre de comptes pour la disparition, en 2014, d’un défenseur des droits des populations autochtones. Un nouveau mécanisme de sélection des réfugié·e·s et des demandeurs et demandeuses d’asile a été mis en place, mais nombre de ces personnes ont été placées en détention illimitée, dans des conditions déplorables qui ont notamment coûté la vie à deux hommes ouïghours.
CONTEXTE
Lors des élections législatives du mois de mai, le parti prodémocratie Move Forward (« Aller de l’avant ») est arrivé en tête en nombre de sièges, mais il n’a pas recueilli suffisamment de voix au Parlement pour former un gouvernement. Le 5 septembre, un nouveau gouvernement a été investi, mené par le parti Pheu Thai (« Pour les Thaïlandais ») qui est arrivé en deuxième position et qui a formé un gouvernement de coalition comprenant notamment deux partis proches de l’armée.
LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE RÉUNION
Le gouvernement a poursuivi sa politique de répression face à des manifestant·e·s très majoritairement pacifiques qui demandaient des réformes politiques et sociales. Selon l’ONG thaïlandaise Thai Lawyers for Human Rights (TLHR, Avocats thaïlandais pour les droits humains), en décembre, au moins 1 938 personnes étaient poursuivies en justice en raison de leur participation depuis 2020 à des manifestations. La majorité d’entre elles (1 469 personnes) avaient été inculpées au titre d’un décret pris dans le cadre de l’état d’urgence, interdisant les rassemblements publics pendant la pandémie de COVID-19. Ce décret avait été abrogé fin 2022. Des centaines d’autres personnes ont été poursuivies pour lèse- majesté (diffamation, insulte ou menace envers le monarque) ou pour sédition. En décembre, 795 affaires étaient en cours de traitement.
Figurait au nombre des personnes condamnées l’avocat Anon Nampa, un éminent défenseur des droits fondamentaux déclaré coupable de lèse-majesté le 26 septembre et condamné à quatre ans d’emprisonnement pour avoir, lors d’une manifestation en octobre 2020, prononcé un discours appelant à un débat national sur le rôle de la monarchie. Il restait inculpé de 13 autres chefs de lèse-majesté.
Les demandes de libération sous caution déposées par Anon Nampa et 23 autres personnes arrêtés en lien avec des manifestations ont été rejetées à plusieurs reprises par les tribunaux. Deux militantes en faveur de la démocratie, Tantawan Tuatulanon et Orawan Phuphong, ont été hospitalisées en janvier après avoir mené une grève de la faim pour protester contre le refus des tribunaux de les libérer sous caution. Ces deux femmes avaient été inculpées de lèse- majesté en 2022 pour avoir effectué des sondages d’opinion sur les cortèges royaux motorisés.
Les autorités ont également continué d’invoquer la Loi relative à la cybercriminalité pour faire taire celles et ceux qui les critiquaient. Selon TLHR, au moins 195 personnes avaient été inculpées au titre de cette loi depuis 2020. C’était notamment le cas du militant politique Ekachai Hongkangwan, acquitté en juin de l’accusation d’entrave à un cortège royal lors d’une manifestation en faveur de la démocratie, mais condamné en juillet à un an d’emprisonnement au titre d’une disposition ambiguë de cette loi réprimant le fait de partager des informations obscènes.
DROITS DES ENFANTS
Les travaux de recherche d’Amnesty International ont révélé de multiples atteintes aux droits des enfants perpétrées par les autorités. Présents en première ligne des grandes manifestations qui ont eu lieu dans le pays, de nombreux mineur·e·s ont ainsi fait l’objet de poursuites judiciaires, d’une surveillance et d’actes d’intimidation.
Les statistiques consultées en octobre montraient que des poursuites judiciaires avaient été engagées contre 286 enfants en raison de leur participation à des manifestations, depuis 2020. Parmi ces mineur·e·s figurait notamment une adolescente de 15 ans, Yok, arrêtée en mars en raison de sa participation en 2022 à une manifestation demandant l’abrogation de la Loi relative au crime de lèse-majesté. Yok a passé 51 jours en détention provisoire avant qu’un tribunal ordonne enfin sa remise en liberté.
Noppasin « Sainam » Treelayapewat a été condamné le 20 juillet à une peine d’un an d’emprisonnement, assortie d’un sursis de deux ans, par le Tribunal central des affaires juvéniles et familiales, qui l’a déclaré coupable de lèse-majesté pour avoir participé en 2020 à une parodie de défilé de mode qui se voulait une satire de la monarchie. Sainam avait 16 ans au moment des faits.
DÉFENSEUR·E·S DES DROITS HUMAINS
Des informations de plus en plus préoccupantes faisaient état de harcèlement numérique exercé contre des défenseur·e·s des droits humains. En août, six expert·e·s des Nations unies chargés des droits humains ont écrit au gouvernement thaïlandais pour lui faire part de leur inquiétude face à l’absence de mesures de protection et de reddition de comptes concernant les actes d’intimidation et de harcèlement en ligne subis par Angkhana Neelapaijit et Anchana Heemmina, deux éminentes défenseures des droits fondamentaux. En février, un tribunal civil a rejeté la plainte déposée par les deux femmes contre l’Armée royale de Thaïlande et les services du Premier ministre, qu’elles accusaient d’avoir mené contre elles une campagne de dénigrement en ligne en raison de leur action légitime en faveur des droits humains.
DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE
Trois rapporteuses spéciales et un rapporteur spécial de l’ONU ont écrit en avril au Premier ministre pour lui faire part de leur inquiétude concernant l’utilisation du logiciel espion Pegasus, développé par la société de cyber- renseignement NSO Group, contre 35 personnes, dont des défenseur·e·s des droits humains, des personnalités politiques et des militant·e·s de la société civile, au moment des manifestations nationales de 2020 et 2021. Ils déploraient en outre le fait que le gouvernement n’avait pas protégé les personnes qui auraient ainsi été mises sous surveillance de manière illégale.
Jatupat Boonpattararaksa, un défenseur des droits humains dont le téléphone avait été contaminé par ce logiciel espion, a intenté le 13 juin une action en justice contre la société NSO Group, à laquelle il réclamait des dommages et intérêts pour violation de son droit à la vie privée.
TORTURE, AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS ET DISPARITIONS FORCÉES
La Loi sur la prévention et la répression de la torture et de la disparition forcée est entrée en vigueur en février, après des années de pression de la part de la société civile et des victimes. Elle réprimait pénalement la torture, les autres formes de mauvais traitements et la disparition forcée pour la première fois, et mettait en place des garanties procédurales contre ces pratiques. Cette loi ne comportait cependant aucune disposition prévoyant l’irrecevabilité dans le cadre d’un procès des déclarations extorquées sous la torture ou lors d’une disparition forcée.
Le 28 septembre, un tribunal a acquitté quatre agents d’un parc national accusés de l’enlèvement et du meurtre de Pholachi « Billy » Rakchongcharoen, un défenseur karen des droits fondamentaux. Au moment de sa disparition, en avril 2014, Billy participait à un procès intenté à des fonctionnaires du parc national de Kaeng Krachan accusés d’avoir procédé à l’expulsion forcée de communautés locales et d’avoir brûlé des maisons karens. Il avait peu avant été arrêté, apparemment pour « possession de miel sauvage ». L’un des accusés a toutefois été déclaré coupable de ne pas avoir signalé à la police l’arrestation de Billy. Il a été condamné à trois ans d’emprisonnement, mais a ensuite été libéré sous caution.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
Une directive destinée à établir un mécanisme de sélection des demandeurs et demandeuses d’asile sollicitant une protection face à des persécutions est entrée en vigueur le 22 septembre. Plusieurs organisations de défense des droits humains se sont inquiétées du fait que les travailleuses et travailleurs migrants originaires du Myanmar, du Laos, du Viêt- Nam et du Cambodge ne pouvaient pas bénéficier d’une protection, ainsi que des dispositions permettant aux autorités de refuser cette protection pour des raisons de « sécurité nationale » sans avoir à préciser les motifs de leur décision.
Des migrant·e·s en situation irrégulière, parmi lesquels se trouvaient des demandeurs·euses d’asile, ont été placés en détention de façon arbitraire et pour une durée indéterminée dans des centres des services de l’immigration où régnaient des conditions sordides. Deux hommes d’origine ouïghoure, Aziz Abdullah et Mattohti Mattursun, sont morts dans le centre de détention des services de l’immigration de Suan Phlu, à Bangkok, respectivement en février et en avril. Ils faisaient partie d’un groupe d’une cinquantaine d’Ouïghour·e·s originaires de la région autonome ouïghoure du Xinjiang, en Chine, qui étaient détenus depuis leur arrivée en Thaïlande, en 2014.
Le 13 avril, le youtubeur vietnamien Đường Văn Thái a disparu de son domicile de Bangkok dans des circonstances laissant penser que des agents de l’État vietnamien étaient impliqués dans cette affaire. Il a par la suite été placé en détention au Viêt-Nam et inculpé de « diffusion de propagande hostile à l’État ».
Dans le cadre d’une série d’agressions perpétrées contre des personnes affiliées à un réseau de défenseur·e·s des droits humains venant du Laos, Bounsuan Kitiyano, un ressortissant laotien dont le HCR avait reconnu le statut de réfugié, a été abattu le 17 mai par un tueur non identifié dans la province d’Ubon Ratchathani, dans le nord- est de la Thaïlande.
Le 7 juillet, les autorités ont arrêté Thol Samnang, militant politique cambodgien affilié au Parti de la bougie. Ce militant a été interpellé alors qu’il se rendait au bureau du HCR à Bangkok pour demander le statut de réfugié.
DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXES
Le 21 décembre, le corps législatif thaïlandais a examiné un ensemble de textes législatifs visant à légaliser le mariage entre personnes de même sexe. La proposition de loi sur l’égalité devant le mariage a été massivement soutenue par la Chambre des représentants et ce texte a entamé le parcours des multiples lectures et stades d’approbation à l’issue desquels il pourrait être adopté en tant que loi.
IMPUNITÉ
L’obligation de rendre des comptes n’avait toujours pas été respectée dans l’affaire de la mort, en 2004, de 85 hommes qui avaient été tués par balle ou étaient décédés après avoir été arrêtés lors de manifestations exigeant la libération de six musulmans appartenant à l’ethnie malaise détenus au commissariat de Tak Bai, dans la province de Narathiwat, l’une des provinces frontalières du sud du pays.