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Libye. Il faut lever les restrictions imposées aux médias et favoriser les opérations de secours après des inondations catastrophiques

Les Forces armées arabes libyennes (FAAL), groupe armé qui contrôle de fait l’est de la Libye et notamment la ville de Darnah, ravagée par les inondations, doivent immédiatement lever toutes les restrictions injustifiées imposées aux médias et faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire à toutes les populations touchées, a déclaré Amnesty International.

Le 18 septembre, les FAAL ont renforcé les restrictions visant les journalistes après que des milliers d’habitants et de secouristes bénévoles sont descendus sur la place Sahaba pour demander des comptes, face aux pertes humaines de grande ampleur causées par les inondations catastrophiques ayant suivi la rupture de deux barrages dans la ville le 11 septembre. Les manifestants ont également demandé des mesures de soutien aux efforts de reconstruction et de réhabilitation, ainsi que la démission de responsables politiques locaux et nationaux. Des témoins ont par ailleurs fait part à Amnesty International d’arrestations de détracteurs et de manifestants, dans le cadre des manœuvres des FAAL visant à manipuler et contrôler l’accès des médias.

« Les pertes humaines et la dévastation à Darnah et en Libye constituent une tragédie inimaginable, des milliers de personnes continuant à manquer à l’appel et des dizaines de milliers d’autres ayant été déplacées. Des familles et des quartiers entiers ont été emportés par la mer. Pourtant, au lieu de s’efforcer de favoriser l’accès de l’aide humanitaire à toutes les communautés touchées, les FAAL recourent une fois de plus à un mécanisme de répression bien rodé pour faire taire les critiques, museler la société civile et se soustraire à leurs responsabilités », a déclaré Diana Eltahawy, directrice régionale adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.

« Les autorités libyennes et celles qui contrôlent de fait les zones affectées doivent veiller à ce que les droits humains soient au cœur de la réaction à la crise et s’abstenir d’exercer des représailles contre les personnes qui les critiquent. En période de crise, une société civile dynamique et des médias indépendants sont essentiels afin de garantir les droits des rescapé·e·s à la vie, à un logement sûr, à l’alimentation, à la santé et à l’accès à l’information. »

Des personnes se rassemblent pour une manifestation à l’extérieur de la mosquée survivante d’al Sahaba, à Derna, une ville de l’est de la Libye, le 18 septemnre 2023 HUSSAM AHMED/AFP via Getty Images

Amnesty International s’est entretenue avec des habitants de Darnah, des journalistes, des travailleurs humanitaires, des acteurs de la société civile et des médecins participant à la réaction à la crise. Des informations supplémentaires ont été obtenues auprès d’un responsable des FAAL. L’obtention d’informations sur la situation à Darnah a été entravée par les perturbations des réseaux Internet et de télécommunications.

Les craintes que les FAAL réagissent à la crise en usant de leurs tactiques habituelles de répression des critiques ont commencé à croître après l’arrestation d’un créateur de contenu, Jamal El Gomati, qui a couvert la situation à Darnah en direct quelques heures après les inondations, et qui a accusé publiquement les représentants de l’État de corruption et de responsabilité dans cette catastrophe. Des militants en faveur des droits humains ont indiqué à Amnesty International que des hommes armés en civil, appartenant vraisemblablement au groupe armé de l’Agence de sûreté intérieure, affiliée aux FAAL, s’étaient emparés de lui dans sa ville natale de Shahhat, dans le district de Jabal al Akhdar (nord-est de la Libye), le 17 septembre. Il a été soumis à une disparition forcée pendant trois jours, avant d’être libéré le 19 septembre après qu’un haut responsable des FAAL fut intervenu.

Un paysage de destruction après les inondations causées par la tempête méditerranéenne à Derna, Libye, le 20 septembre 2023 Aydogan Kalabalik/Anadolu Agency via Getty Images

Depuis le début de cette crise, des journalistes ont évoqué la nécessité d’obtenir une habilitation de sécurité, et d’autres restrictions à l’accès, ainsi que les ingérences dans leur travail de groupes affiliés aux FAAL. Deux journalistes libyens ont déclaré à Amnesty International que des fonctionnaires locaux les avaient arrêtés et questionnés le 14 septembre, avant de leur ordonner de quitter la ville. Le 16 septembre, un militant résidant à Darnah a été arrêté après avoir accordé une interview sur la situation dans la ville à une chaîne perçue comme opposée aux FAAL, selon des proches. Après les manifestations ayant eu lieu à Darnah le 18 septembre, les FAAL ont ordonné aux journalistes de quitter la ville, revenant sur leur décision le lendemain mais demandant aux journalistes se trouvant toujours sur place de ne pas s’approcher des équipes de secours. Des journalistes ont régulièrement signalé avoir été suivis par des soldats chargés des médias au sein des FAAL et ont vu des responsables demander à des interprètes de ne pas traduire des propos critiques à l’égard des autorités.

Le 19 septembre, un porte-parole des Nations unies a indiqué aux médias qu’une équipe de l’ONU n’était « pas autorisée à se rendre » à Darnah, tout en confirmant que les secouristes et les travailleurs humanitaires présents à Darnah avaient la permission de poursuivre leur travail. Amnesty International a également reçu des informations faisant état de retards dans l’acheminement de l’aide vers certaines zones touchées, en partie à cause de la pléthore de postes de contrôle mis en place par les FAAL. L’organisation a aussi appris que des équipes médicales de l’ouest de la Libye et au moins une équipe de secours internationale ont reçu l’ordre de quitter les lieux.

Appels en faveur d’une enquête indépendante

Les appels en faveur de l’établissement des responsabilités se multiplient parmi les rescapés et les défenseurs des droits humains au lendemain des inondations, après des années de mauvaise gouvernance et de mauvaise gestion par des gouvernements rivaux, et toute la latitude donnée aux milices et aux groupes armés privilégiant leurs intérêts personnels au détriment de la vie et du bien-être des civil·e·s en Libye. Si le procureur général basé à Tripoli s’est rendu à Darnah et a annoncé l’ouverture d’enquêtes, le climat d’impunité qui règne en Libye suscite de graves inquiétudes quant à la capacité et à la volonté du système judiciaire libyen de faire émerger la vérité et de rendre justice.

« Nous ne cessons de demander la mise en place d’un mécanisme d’enquête international indépendant sur la situation des droits humains en Libye. Face à la faible probabilité que les responsables soient amenés à rendre des comptes au niveau national, il est urgent d’établir les faits et les circonstances entourant les pertes humaines et les destructions considérables causées par la tempête Daniel. Il s’agit notamment de déterminer si les autorités libyennes et les forces qui contrôlent de fait les zones affectées ont manqué à leur devoir de protection des droits de la population à la vie et à la santé, ainsi que d’autres droits fondamentaux », a déclaré Diana Eltahawy.

Il est urgent d’établir les faits et les circonstances entourant les pertes humaines et les destructions considérables causées par la tempête Daniel. Il s’agit notamment de déterminer si les autorités libyennes et les forces qui contrôlent de fait les zones affectées ont manqué à leur devoir de protection des droits de la population à la vie et à la santé, ainsi que d’autres droits fondamentaux

Diana Eltahawy, directrice régionale adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International

Depuis le conflit armé de 2011, des commandants puissants et des membres de milices et de groupes armés que l’on peut raisonnablement soupçonner d’avoir commis des crimes au regard du droit international ont non seulement bénéficié d’une impunité totale, mais ont également été intégrés aux institutions de l’État et ont reçu des financements publics. La réaction brutale des FAAL face aux protestations et aux critiques montre une fois de plus qu’elles ne sont pas disposées à garantir la vérité, la justice et des réparations pour les victimes.

Complément d’information

La Libye est en proie à un conflit armé et des divisions politiques depuis 2011, avec des gouvernements parallèles soutenus par des milices qui ne sont pas tenues de répondre de leurs actes et des groupes armés qui revendiquent la légitimité. Les FAAL exercent un contrôle et des fonctions similaires à celles d’un gouvernement à Benghazi, la deuxième plus grande ville de Libye, et dans de vastes régions de l’est et du sud de la Libye. L’utilisation par les FAAL de tactiques brutales pour étouffer l’opposition, imposer des restrictions à la société civile indépendante et maintenir leur emprise sur le pouvoir est bien établie.

Le 11 septembre, Darnah, Sousse, Bayada et d’autres zones de la Montagne verte ont été sinistrées après que la tempête Daniel (un cyclone méditerranéen de type tropical connu sous le nom de medicane) a provoqué l’effondrement de deux barrages dans la ville de Darnah, qui n’avaient pas été entretenus depuis des dizaines d’années. Amnesty International a appelé à une mobilisation mondiale rapide pour soutenir les efforts de sauvetage et de réhabilitation dans toutes les communautés touchées, sans discrimination, en accordant une attention particulière aux groupes à risque, notamment les réfugié·e·s, les migrant·e·s, les personnes déplacées à l’intérieur du pays et les autres personnes confrontées à des formes plurielles et croisées de discrimination.

Les FAAL et les groupes armés et forces de sécurité qui leur sont affiliés ont empêché des centaines de Tawerghis de retourner dans un camp de personnes déplacées de Benghazi, où ils vivaient depuis des années et d’où ils avaient été évacués le 10 septembre avant la tempête. Selon des militants, d’autres résident·e·s ont pourtant été autorisés à retourner à leur domicile dans la même zone.

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