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Mexique. L’État doit garantir le devoir de mémoire, la vérité et la justice pour les familles des étudiants d’Ayotzinapa
- Les enquêtes doivent continuer de se focaliser sur la nécessité de respecter pour les familles des étudiants disparus les obligations de transparence et de respect de la procédure judiciaire, du droit à la vérité et du droit à la mémoire
- Aucun recul ne doit être permis concernant l’enquête sur l’affaire d’Ayotzinapa qui a causé tant de souffrances aux familles des victimes et à la société mexicaine en général, et qui a mis en évidence les faiblesses structurelles de l’État mexicain qui entraînent l’impunité et l’oubli
- Les accusations visant des membres de l’armée renforcent les préoccupations relatives à la politique de militarisation de la sécurité du pays
Amnesty International est fortement préoccupée par les récents événements concernant l’enquête sur la disparition des 43 étudiants de l’école normale rurale Raúl Isidro Burgos. La démission du responsable de l’Unité spéciale d’enquête et de poursuites pour l’affaire d’Ayotzinapa (Unidad Especial de Investigación y Litigación para el Caso Ayotzinapa, UEILCA), due manifestement à des conflits entre cette unité et le parquet général, menace les avancées qui ont été réalisées et risque de retarder davantage encore l’accès des familles des étudiants à la vérité, à la mémoire et à la justice.
Les graves dissensions qui sont apparues entre les différentes autorités doivent être apaisées afin d’éviter que l’impunité ne perdure dans cette affaire tellement emblématique pour le Mexique
Erika Guevara-Rosas, directrice pour les Amériques à Amnesty International
Le procureur de l’UEILCA, Omar Gómez Trejo, a démissionné le 27 septembre 2022, dénonçant des ingérences indues dans cette enquête à la suite d’informations rendues publiques indiquant que le parquet général avait renoncé à faire exécuter 21 mandats d’arrêt, 16 d’entre eux visant des militaires accusés d’avoir participé aux faits survenus il y a huit ans.
« Les problèmes qui sont apparus placent les familles des étudiants disparus et la société en général dans une situation de totale incertitude. Les graves dissensions qui sont apparues entre les différentes autorités doivent être apaisées afin d’éviter que l’impunité ne perdure dans cette affaire tellement emblématique pour le Mexique. Il faut également que les familles des étudiants soient tenues pleinement informées et qu’elles soient placées au centre du processus de prise de décision, que la transparence soit respectée à leur égard et que les droits à la vérité et à une pleine et entière réparation pour les immenses préjudices qu’elles ont subis au cours de ces huit années soient garantis, a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice pour les Amériques à Amnesty International.
« Nous ne pouvons pas tolérer de retard supplémentaire dans cette enquête. L’État mexicain doit mettre en place les conditions nécessaires pour que l’enquête puisse progresser, respecter l’autonomie et l’indépendance du travail de l’Unité spéciale d’enquête, et veiller à ce que cette unité dispose des ressources humaines et matérielles nécessaires pour l’accomplissement de sa mission. De plus, il doit garantir le respect de la procédure afin d’éviter toute erreur susceptible de faire obstacle à l’avancée de la justice et d’empêcher que les responsables présumés de ces terribles crimes soient sanctionnés », a déclaré Edith Olivares Ferreto, directrice d’Amnesty International Mexique.
Des avancées et des reculs
Le 26 septembre 2022, huit années s’étaient écoulées depuis la disparition des 43 étudiants normaliens de l’École normale rurale Raúl Isidro Burgos. Or, les familles n’ont toujours pas eu accès à la vérité sur ce qui s’est passé, ni obtenu justice.
Ces quatre dernières années, l’État mexicain a pris plusieurs mesures visant à déterminer ce qui est arrivé aux 43 jeunes normaliens de l’École normale rurale Raúl Isidro Burgos, notamment avec la création de la Commission pour la vérité et l’accès à la justice dans l’affaire d’Ayotzinapa (Covaj-Ayotzinapa) et de l’UEILCA, qui dépend du parquet général.
Récemment, la Covaj-Ayotzinapa a présenté d’importantes avancées dans cette affaire, avec la reconnaissance que les faits survenus à Iguala constituent un crime d’État et de la probable implication de l’armée mexicaine dans la disparition des étudiants.
Cela s’ajoute aux révélations faites fin septembre 2022 par l’agence de lutte contre les stupéfiants des États-Unis (DEA) concernant des communications entre des membres d’une organisation criminelle et des éléments de l’armée de terre, de la marine nationale et de la police locale d’Iguala et de Cocula préalablement à la disparition des jeunes normaliens.
Ces liens, en plus des autres agissements dans lesquels est impliquée l’armée mexicaine, incitent d’autant plus à remettre en question le bien-fondé de la participation persistante des forces armées à des tâches de sécurité publique dans le pays, indépendamment des autres activités qui relèvent directement d’institutions de l’État créées spécifiquement à cette fin.
L’UEILCA a réussi à arrêter des autorités de haut niveau qui pourraient avoir une part de responsabilité dans ces disparitions, et elle a émis plusieurs mandats d’arrêt contre d’autres autorités, notamment des membres de l’armée.
Les dissensions entre l’UEILCA et le parquet général ont été rendues publiques à partir du moment où ce dernier a décidé d’annuler 21 des 83 mandats d’arrêt émis en août contre d’anciens fonctionnaires soupçonnés d’être impliqués dans la disparition des 43 étudiants d’Ayotzinapa. Les informations rendues publiques indiquent également que des membres de l’armée pourraient avoir participé à ces disparitions.
Des avancées ont pu être obtenues dans cette affaire grâce à l’indépendance avec laquelle l’UEILCA a travaillé, et parce qu’elle était constituée d’une équipe de personnes qui se consacraient exclusivement à cette enquête, chapeautée par un procureur ayant la confiance des familles des étudiants et accompagnée par le Groupe interdisciplinaire d’experts indépendants (GIEI). Des avancées ont également été réalisées dans cette affaire parce qu’une attention particulière a été portée à la façon de communiquer les informations, afin de ne pas nuire au processus judiciaire et de préserver la confidentialité qui doit être respectée dans tout type d’enquête judiciaire.
Amnesty International estime donc qu’il est urgent que les institutions de l’État garantissent l’autonomie et l’indépendance de l’UEILCA et s’occupent des ingérences qui ont été dénoncées, car ces agissements, qui freinent une fois de plus les investigations, accroissent aussi l’angoisse et le désespoir des familles des 43 étudiants normaliens disparus ; ces familles sont constamment confrontées à des obstacles qui empêchent le bon déroulement de l’enquête et retardent l’accès à la vérité, à la justice et à la réparation intégrale des préjudices subis. Par ailleurs, Amnesty International demande à l’État mexicain de ne pas soumettre à des représailles ou réprimer pénalement le procureur spécial ni les fonctionnaires de l’UEILCA qui travaillent de façon indépendante sur cette affaire.
Les statistiques officielles mettent en évidence l’étroite relation entre l’augmentation de la présence des forces armées dans le domaine de la sécurité publique et l’accroissement du nombre de disparitions forcées dans le pays : 97 % des 105 000 cas de personnes disparues au Mexique ont été enregistrés au cours des 16 dernières années.
Nous ne pouvons pas tolérer de retard supplémentaire dans cette enquête. L’État mexicain doit mettre en place les conditions nécessaires pour que l’enquête puisse progresser, respecter l’autonomie et l’indépendance du travail de l’Unité spéciale d’enquête, et veiller à ce que cette unité dispose des ressources humaines et matérielles nécessaires pour l’accomplissement de sa mission
Edith Olivares Ferreto, directrice d’Amnesty International Mexique
Selon les chiffres de la CNDH, entre 2019 et 2022, 58 plaintes ont été déposées pour disparition forcée, et 55 % de ces plaintes ont été déposées contre les forces militaires.
Seize ans après l’instauration de la politique de militarisation de la sécurité publique dans le pays, les chiffres montrent que la crise des droits humains ne s’apaise pas.
Amnesty International demande également à l’État mexicain d’élaborer et de mettre en œuvre de toute urgence un plan de retrait ordonné, progressif et vérifiable des forces militaires dans le secteur de la sécurité publique, afin de garantir la non-répétition de faits tels que ceux qui se sont produits à Ayotzinapa.
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