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République dominicaine. Les autorités doivent mettre un terme à leur politique raciste et garantir le droit à la nationalité
À l’occasion du dixième anniversaire d’une décision de justice qui a officialisé la déchéance de nationalité des enfants de personnes migrantes en situation irrégulière, la République dominicaine doit mettre un terme au racisme structurel qui touche de manière disproportionnée des dizaines de milliers de personnes d’ascendance haïtienne, victimes de la politique raciste et discriminatoire qui leur est imposée de longue date par l’État dominicain, a déclaré Amnesty International le 22 septembre 2023.
Depuis la modification de la Constitution du pays en 2010, les personnes nées sur le territoire dominicain et dont les parents sont en situation irrégulière n’obtiennent plus la nationalité dominicaine. Le 23 septembre 2013, le Tribunal constitutionnel a rendu une décision (168-143) interprétant de manière rétroactive cette réforme et imposant l’application des dispositions de la réforme aux personnes nées entre 1929 à 2010. Cette décision a privé des milliers de personnes dominicaines d’ascendance haïtienne de leur nationalité, les laissant apatrides. Après cette décision, les autorités administratives ont procédé à l’annulation massive d’actes de naissance et de documents d’identité.
« Dix ans après cette décision absolument rétrograde, les autorités dominicaines n’ont pris presque aucune mesure pour remédier à ses effets néfastes et reconnaître les droits des milliers de personnes touchées. Les autorités n’ont pas démantelé le système de racisme structurel ni la politique de déchéance de nationalité imposée aux personnes dominicaines d’ascendance haïtienne », a déclaré Ana Piquer, directrice pour les Amériques à Amnesty International.
La République dominicaine a continué d’imposer une politique bafouant le droit à la nationalité des personnes d’ascendance haïtienne. L’État a eu recours à un discours stigmatisant, des pratiques administratives, des modifications juridiques, des décisions de justice et la force publique pour persécuter, décourager et expulser des personnes haïtiennes et des personnes dominicaines d’ascendance haïtienne. La Cour interaméricaine des droits de l’homme a condamné à deux reprises le pays en raison de la déchéance arbitraire de nationalité imposée à des personnes dominicaines d’ascendance haïtienne.
Depuis les années 1990 au moins, les fonctionnaires de l’état civil compliquent la déclaration des naissances d’enfants de personnes migrantes en situation irrégulière. En 2004, l’État dominicain a légalisé cette pratique, qui était jusque-là contraire à la loi, par une réforme de sa législation relative à l’immigration.
En 2010, une réforme constitutionnelle mettant un terme à l’octroi automatique de la nationalité aux personnes nées en République dominicaine et dont les parents sont en situation irrégulière est entrée en vigueur. La Constitution prévoyait jusque-là que toute personne née sur le territoire obtenait la nationalité, à quelques rares exceptions près. Cette réforme a été interprétée par la décision 168-13.
Les autorités n’ont pas démantelé le système de racisme structurel ni la politique de déchéance de nationalité imposée aux personnes dominicaines d’ascendance haïtienne
Ana Piquer, directrice pour les Amériques à Amnesty International
La décision du Tribunal constitutionnel a été sévèrement critiquée par des militant·e·s et organisations de défense des droits humains de République dominicaine, par la communauté internationale et par des organes de défense des droits humains. En 2014, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a conclu que la décision bafouait les obligations de la République dominicaine au titre de la Convention américaine relative aux droits de l’homme et qu’elle devait être déclarée sans effet juridique.
« La décision de 2013 n’a été qu’une mesure de discrimination à caractère raciste de plus. L’État dominicain a continué d’imposer des procédures d’exclusion fondées sur l’origine ethnique et sur l’ascendance réelle ou perçue », a déclaré Ana Piquer.
En 2014, l’État a promulgué la Loi 169, afin de remédier à certaines conséquences de la décision à travers un plan national de naturalisation. Cette loi a créé des problèmes supplémentaires en exigeant de milliers de personnes qui n’avaient jamais pu obtenir de papiers dominicains qu’elles se déclarent étrangères, alors même qu’elles étaient dominicaines, afin que leur dossier puisse, par la suite, être étudié.
Cette mesure, entre autres, n’a pas rendu aux personnes concernées leurs droits, et la nationalité de dizaines de milliers de personnes n’est, encore aujourd’hui, toujours pas reconnue. N’ayant pas d’autre nationalité, la majorité de ces personnes sont apatrides, une situation qui les met en danger et les prive de certains droits, notamment à l’éducation, à la santé et au travail.
« Priver des personnes d’un droit aussi fondamental que le droit à nationalité revient à se rendre complice de l’exploitation sexuelle, de l’exploitation par le travail, de la traite des êtres humains et des trafics illégaux, bafouant ainsi les libertés personnelles et alimentant l’extrême pauvreté nationale », a déclaré Maria Bizenny Martinez, coordinatrice du département de droits humains du Mouvement socio-culturel pour les travailleurs haïtiens (MOSCTHA).
D’autres obstacles s’opposent par ailleurs à la reconnaissance des droits des personnes nées en République dominicaine, notamment des restrictions arbitraires de leurs droits à la personnalité juridique, à un nom et à une nationalité et à une vie libre de toute discrimination, ce qui a des conséquences profondes pour leur vie, pour leur famille et pour l’ensemble de cette population.
Amnesty International rappelle une nouvelle fois que les lois et pratiques nationales ne doivent pas bafouer le droit de ne pas subir de discrimination ni l’obligation d’éviter l’apatridie, et que toutes les personnes sur le territoire ou sous la responsabilité de l’État dominicain doivent pouvoir jouir de leurs droits humains.
Le droit international interdit la privation arbitraire de nationalité. L’article 8 de la Convention sur la réduction des cas d’apatridie, que la République dominicaine a signée, prévoit que les États ne peuvent priver une personne de sa nationalité si cette privation la rend apatride. L’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme prévoit que tout individu a droit à une nationalité et que nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité. De même, l’article 20 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme prévoit que « toute personne a le droit d’acquérir la nationalité de l’État sur le territoire duquel elle est née, si elle n’a pas droit à une autre nationalité. »
Amnesty International appelle de nouveau l’État dominicain à rétablir la nationalité dominicaine de toutes les personnes nées en République dominicaine avant le 26 janvier 2010, indépendamment de la situation de leurs parents au regard de la législation en matière d’immigration, et à prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce qu’aucune personne née dans le pays ne se retrouve apatride. Enfin, les autorités doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin au racisme structurel et institutionnel, qui touche de manière disproportionnée les personnes d’origine haïtienne.
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