Bien que le Conseil constitutionnel ait largement censuré les mesures de la loi « asile et immigration », ce texte restera celui qui aura historiquement dégradé les droits des personnes exilées en France. Sa dernière version reste dangereuse. Décryptage des mesures censurées et des mesures adoptées.
Le Conseil constitutionnel a largement censuré les mesures de la loi « asile et immigration » le 25 janvier, mais ce texte reste dangereux et le gouvernement a franchi des lignes rouges en ayant encouragé un débat nauséabond autour de mesures qu’il savait être anticonstitutionnelles.
Depuis 30 ans, les textes relatifs à la politique migratoire de la France se succèdent et ont toujours les mêmes conséquences : le recul des droits des personnes exilées et la détérioration de leurs conditions d’accueil. Aujourd’hui, la désinformation et les clichés xénophobes bénéficient de relais inédits. La loi « asile et immigration » en est une manifestation : elle transforme les personnes migrantes en menace au lieu de répondre aux véritables enjeux documentés par les associations de terrain. Résultat : de nombreuses mesures répressives et indignes ont été votées et ont irrigué le débat public. Notre priorité est et restera le respect des droits humains.
Notre décryptage de certaines des mesures portant atteinte aux droits des personnes exilées.👇
Les mesures censurées par le Conseil constitutionnel
👉 Ce que proposait la loi
Ce délit avait été supprimé en 2012 pour respecter le droit européen suite à deux arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne. La loi souhaitait pénaliser la seule présence sur le territoire français d’une personne dépourvue de document de séjour.
Le Conseil constitutionnel a estimé que cette mesure avait été introduite en méconnaissance d'une règle de procédure prévue par la Constitution et a donc décidé de la censurer.
👉 Notre position
Le fait d’entrer de façon irrégulière dans un pays ne devrait jamais être considéré comme une infraction. Cette incrimination de l’immigration irrégulière précarise d’autant plus la situation des personnes exilées qu’elle les expose à d’autres séries de violations des droits humains qui peuvent inclure les discriminations, l’exploitation au travail ou encore le déni d’accès aux recours et à la justice.
👉 Ce que proposait la loi
➡️Seules les personnes en France depuis cinq ans (contre six mois actuellement) auraient pu bénéficier d’aides sociales, sauf exceptions.
➡️L’hébergement d’urgence n'aurait plus été accessible aux personnes sans titre de séjour et faisant l’objet d’une OQTF ou d’une mesure d’expulsion, sauf dans l’attente de leur éloignement.
Le Conseil constitutionnel a estimé que ces mesures avait été introduites en méconnaissance d'une règle de procédure prévue par la Constitution et a donc décidé de les censurer.
👉 Notre position
Ces mesures portaient atteinte au droit des personnes exilées à une vie digne.
De nombreuses personnes sont déjà contraintes de vivre à la rue ou sans ressources car elles ne bénéficient pas des conditions matérielles d’accueil, ces mesures auraient eu pour conséquence de plonger plus de personnes exilées dans la précarité.
👉 Ce que proposait la loi
Alors que le droit actuel prévoit la possibilité pour les mineurs protégés au titre de l’asile d’être rejoints par leurs parents, ainsi que par leurs frères et sœurs mineurs non mariés (réunification familiale) la nouvelle loi supprimait les frères et sœurs du texte.
Elle prévoyait aussi de limiter à 18 mois après l’octroi de la protection le délai pour réaliser une demande de réunification familiale.
Pour les demandes de réunification familiale, qui concernent les personnes exilées en situation régulière, il aurait notamment fallu justifier de 24 mois de présence en France (contre 18 actuellement) et d’un certain niveau de revenus. Les proches auraient également dû passer un examen de français en amont.
Le Conseil constitutionnel a estimé que ces mesures avait été introduites en méconnaissance d'une règle de procédure prévue par la Constitution et a donc décidé de les censurer.
Réunification familiale vs. regroupement familial
La réunification familiale s'adresse uniquement aux personnes ayant obtenu une protection, qu'elles soit mineures ou majeures. Le regroupement familial concerne les personnes exilées en situation régulière.
👉 Notre position
Ces mesures de durcissement de l’accès à la réunification et au regroupement familial portaient une atteinte évidente au droit à la vie privée et familiale.
Les mesures intégrées à la loi, attentatoires aux droits
Bien que des mesures n’aient pas été jugées comme anticonstitutionnelles, elles n'en sont pas moins attentatoires aux droits et aux libertés des personnes exilées. Voici trois mesures promulguées dans la loi qui nous inquiètent car elles portent atteinte aux droits des personnes exilées.
Jusqu'à aujourd’hui, les demandes de recours d’asile sont le plus souvent étudiées par trois juges qui possèdent des expertises différentes, lors d’une audience à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Ces trois juges siègent ensemble : c’est ce qu’on appelle le principe de collégialité.
Parmi les trois juges, la présence d’une personne nommée par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) fait la spécificité de la CNDA. C’est un acquis précieux car beaucoup ont une expertise sur les pays d’origine, qui permet de mieux comprendre les raisons pour lesquelles la personne est en exil.
Lire aussi : Qu’est-ce que la Cour nationale du droit d’asile ?
👉 Ce que dit la nouvelle loi
La nouvelle loi prévoit la généralisation d'un juge unique pour traiter les dossiers de demande d’asile devant la CNDA, sauf en cas d’affaire particulièrement « complexe ». Un juge seul, et non plus trois, aurait alors la responsabilité de décider d’accepter ou de refuser la demande d’asile, donc de décider seul de la vie de nombreuses personnes.
Un véritable affaiblissement du droit de recours pour les personnes qui demandent l’asile en France.
Cette mesure n’a pas été censurée par le Conseil constitutionnel. Elle figure donc dans la loi, qui a été promulguée.
👉 Notre position
Il est essentiel de conserver la collégialité des juges pour traiter les demandes d’asile. La présence de trois juges permet de croiser les regards et d’éviter de se laisser guider par des représentations personnelles pour juger de la crédibilité et la cohérence du récit. Cette collégialité est un gage d’impartialité.
Une journée d’audience, ce sont 13 dossiers examinés, 13 histoires de vie très différentes : d’un opposant politique sri-lankais, à une jeune fille fuyant l’excision en Guinée, en passant par des persécutions liées à l’orientation sexuelle… Trois juges ne sont pas de trop lorsqu’il s’agit de traiter de dossiers si sensibles. De nombreuses personnes qui demandent l’asile jouent leur vie et leur sécurité à ces audiences.
👉 Ce que dit la nouvelle loi
Le non-respect des principes de la République et la menace grave pour l'ordre public deviennent des motifs de non-renouvellement ou de retrait des titres de séjour.
Cette mesure n’a pas été censurée par le Conseil constitutionnel. Elle figure donc dans la loi, qui a été promulguée.
👉 Notre position
➡️ Le non-respect des « symboles fondamentaux de la République » (comme l’hymne national ou le drapeau) est couvert par le droit à la liberté d’expression et ne doit pas faire l’objet de sanctions, y compris le retrait ou le refus d’un titre de séjour.
La Cour européenne des droits de l’homme a maintes fois réitéré que le droit à la liberté d’expression couvre également les formes d’expression dérangeantes, choquantes ou offensantes.
➡️ La définition de la « menace grave à l’ordre public » semble aujourd’hui assez floue et interprétée de façon très différente selon les préfectures. Amnesty International France se désole de ce pas en arrière qui laisse aux seuls juges l’appréciation de la proportionnalité de l’atteinte à la vie privée et familiale.
👉 Ce que dit la nouvelle loi
➡️ Permet l’expulsion des étrangers réguliers, même présents depuis longtemps en France ou y ayant des liens personnels et familiaux.
➡️ Facilite l'éloignement des étrangers qui représentent une menace grave pour l'ordre public.
Cette mesure n’a pas été censurée par le Conseil constitutionnel. Elle figure donc dans la loi, qui a été promulguée.
👉 Notre position
Le droit actuel permet déjà d’éloigner la grande majorité des personnes étrangères représentant une menace grave à l’ordre public, à travers notamment l’arrêté d’expulsion qui couvre de nombreuses situations, et est applicable même sans condamnation pénale.
Certaines personnes sont néanmoins protégées contre les obligations de quitter le territoire – et dans de très rares cas contre les arrêtés d’expulsion – en raison des liens forts qui les unissent à la France : par exemple parce qu’elles ont un enfant ou un conjoint français, ou parce qu’elles sont arrivées avant l’âge de 13 ans. Cette nouvelle loi revient sur cette pratique protectrice de la vie privée et familiale. Ce changement entraînerait des conséquences disproportionnées pour des personnes qui, tout en disposant de solides attaches privées et familiales en France, pourront être éloignées sur simple décision préfectorale.
UNE mesure qui répond à notre demande
Depuis plus d’un an, des associations de terrain, des ONGs, le Défenseur des droits et la CNCDH alertent sur de nombreuses dispositions de cette loi qui ne répond pas aux enjeux en termes de migrations et va à l’encontre des droits des personnes exilées. Une seule de nos alertes a été entendue et concerne l’enfermement des mineurs.
👉 Ce que dit la loi
Le texte interdit en métropole le placement en rétention des mineurs de moins de 18 ans.
👉 Notre position
Un des seuls points positifs des mesures de cette loi est l'interdiction de l'enfermement des mineurs de moins de 18 ans, que nous n'avions cessé de demander. La France, régulièrement sanctionnée sur ce sujet, s'alignera ainsi sur les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme. Cependant, l'interdiction ne sera effective à Mayotte qu’en 2027.
Nos militant.es se sont mobilisé.es contre la loi asile et immigration lors de la marche organisée à Paris le 25 janvier / © Benjamin Girette
S’attaquer aux droits des personnes exilées, c’est s’attaquer à l’universalité de nos droits. Nous ne pouvons l’accepter.
Nous étions des milliers à nous mobiliser contre la loi « asile et immigration » lors des marches organisées partout en France dimanche 25 janvier.
Une marche pour défendre l’égalité des droits et répondre à notre devoir d’humanité.
Une marche pour empêcher un recul historiques des droits des personnes exilées.
Nous avons eu de cesse de scander : "Solidarité, avec les exilées du monde entier !"
L'humanité doit prévaloir.
© Photos : Benjamin Girette
Et l’aide médicale d’État (AME) ?
L'AME, dispositif qui permet actuellement aux personnes en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins, ne figure plus dans le texte de loi. Dans la version du texte proposée par le Sénat, il était question de supprimer l‘aide médicale d’État en la remplaçant par une aide médicale d’urgence qui limitait drastiquement les accès aux soins des personnes exilées. La suppression de cette aide a finalement été abandonnée mais le gouvernement promet une réforme en 2024 qui pourrait la fragiliser.
👉 Notre position
Nous nous opposons fermement au démantèlement de l’AME. Sa fragilisation représente un véritable danger pour la santé des personnes en situation irrégulière et pourrait avoir une incidence sur la santé publique en général.
Le système de l’asile et de l’accueil en France dysfonctionne depuis de nombreuses années.
Ce texte est le 22ème présenté en 30 ans sur les questions liées à l’immigration. Au lieu d’une énième loi, c’est d’abord et surtout le respect des droits déjà prévus par le droit national, européen et international qui est nécessaire pour améliorer la situation dramatique sur le terrain: des personnes contraintes de vivre sous des tentes au cœur de nos villes, des atteintes graves aux droits fondamentaux à nos frontières - pour ne citer que ces problèmes.
Dans l’attente de ces mesures de fond, nous continuerons à nous opposer à ces mesures indignes qui contreviennent aux obligations de la France. Nous surveillerons l'application de la loi et son impact sur les personnes exilées. Et surtout, nous resterons aux côtés des personnes exilées et réclamerons, avec elles, leurs droits.